C’est la réponse du berger à la bergère. Le président du Parlement Nabih Berry et le député Tony Frangié n’ont pas attendu avant d’envoyer une réplique cinglante au chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, qui avait critiqué la Troîka des années 90, représentée par les trois pôles du pouvoir de l’époque, le chef de l’État Élias Hraoui, le président de la Chambre Nabih Berry, et le chef du gouvernement Rafic Hariri, pour faire part de son opposition à l’accession du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la magistrature suprême.

"Dans tous les cas, la situation durant les années 1990 était meilleure que celle qui a prévalu au cours des six dernières années et qui se résume par le trinôme Aoun-Bassil-Jreissati", a soutenu le bureau de presse de M. Berry dans un communiqué, en allusion au sexennat de l’ex-président Michel Aoun, à son gendre Gebran Bassil, qui était considéré comme le président de l’ombre, et au conseiller de M. Aoun, Sélim Jreissati.

"Sleiman Frangié restera une personnalité nationale fédératrice qui outrepasse les tentatives de cloisonnement confessionnel et autres qui ont épuisé le pays. Nous aussi, nous ne nous entendons pas avec vous au sujet du programme politique et de réformes pour édifier un État. Nous avons bien vu les résultats du vôtre. Vous nous avez conduit en enfer", lui a lancé à son tour Tony Frangié, fils du chef des Marada.

Dans un enregistrement qui remonte à mercredi soir et dont on dit qu’il a fuité, Gebran Bassil, actuellement en visite à Paris, a déclaré que la présidentielle ne pourra en aucun cas avoir lieu sans le CPL. "Si toutes les parties s’entendent sur le nom de Sleiman Frangié (candidat potentiel du Hezbollah), la position du Courant patriotique libre se résumera par un non", a-t-il martelé. "Il n’y aura pas de président si nous ne l’acceptons pas. Nous ne nous permettrons pas d’élire quelqu’un comme Sleiman Frangié. L’élection de Frangié nous ramènera à la période des années 1990. Nous passerons dans ce cas de la Troïka Hraoui-Berry-Hariri à celle Frangié-Berry-Mikati", a-t-il dit, en allusion au Premier ministre désigné Najib Mikati, contre qui le CPL mène campagne.

La réponse cinglante de Nabih Berry au chef des Marada a poussé Sélim Jreissati à réagir à son tour, en se disant "honoré" d’appartenir à ce trinôme "qui ne m’a jamais placé en opposition avec mes valeurs morales, nationales et académiques qui sont bien connues".

Le CPL essaie de tempérer

Peu après la fuite de l’enregistrement, jeudi, le CPL a demandé dans un communiqué aux membres de son courant de "n’attaquer personne lors de leurs réunions internes, dans les médias et sur les réseaux sociaux", parce que "le Courant politique libre est dans une phase de communication avec les différentes forces" politiques. "Le chef du CPL n’a attaqué personne, mais il a expliqué lors d’une rencontre interne avec le bureau du parti à Paris les raisons pour lesquelles il n’appuie pas la candidature de Sleiman Frangié", selon le communiqué. Il avait entre autres, expliqué cette opposition par "une divergence de vues sur le programme politique de réformes pour l’édification de l’État", alors que le sexennat au cours duquel le CPL a détenu la majorité au pouvoir jusqu’aux dernières législatives (2022) et dans lequel Gebran Bassil a joué un rôle prépondérant, a porté le coup de grâce à un État affaibli par le Hezbollah, une corruption endémique et une classe politique qui faisait passer ses intérêts avant ceux du pays.

C’est dans le contexte d’une interview accordée à France 24 que Gebran Bassil a justifié son opposition à l’élection de Sleiman Frangié par une divergence de vues au sujet d’une vision de réformes. "Nous comprenons parfaitement la position d’autres parties, notamment le Hezbollah au sujet de la nécessité de protéger le pays, la Résistance et autres, mais nous considérons que la priorité est aujourd’hui à l’édification de l’État, sans que cela n’aille à l’encontre de la protection du Liban", a avancé celui qui a été sanctionné par les États-Unis pour corruption et dont le seul succès a été de placer ses partisans dans tous les services et dans toutes les administrations-clé de l’État où ils obéissent directement à ses ordres. Un procédé qui va à l’encontre du concept même de l’État que le chef du CPL prétend vouloir édifier. Il n’en demeure pas moins que Gebran Bassil s’est efforcé, comme il s’acharne à le faire depuis le soulèvement du 17 octobre 2019 notamment, de se démarquer de la classe politique, conspuée par la population, alors qu’il en fait partie intégrante. "Nous sommes venus changer les politiques de cette structure politique, mais le changement doit s’opérer de l’intérieur. (…) Lorsque vous entrez dans les institutions dans cet objectif, cela ne signifie pas que vous faites partie de cette structure", a-t-il dit.

Pour ce qui est des sanctions américaines, il a estimé qu’elles lui ont été imposées "à cause de ses relations avec le Hezbollah". Il a indiqué qu’il "mène ouvertement des démarches pour obtenir leur levée parce qu’il n’existe aucun document ou preuve" contre lui. Divers responsables américains, interrogés sur le sujet, ont salué tout appel que M. Bassil interjetterait contre la décision de Washington, parce qu’à ce moment-là tous les documents rassemblés contre lui seront rendus publics durant la procédure judiciaire.

Gebran Bassil a par ailleurs démenti de nouveau tout lien entre ses efforts pour obtenir une levée des sanctions contre lui et l’accord entre Israël et le Liban sur la démarcation de leur frontière maritime commune, conclu grâce à une médiation américaine.

Concernant sa visite à Paris, il a dit avoir "rencontré les personnes qu’il était supposé voir", à sa propre demande, afin de "présenter une idée et un programme pour le déblocage de la présidentielle". Selon lui, il n’y a pas d’initiative française en faveur du Liban.