Alors que le Liban cherche en vain à élire un président depuis plus d’un mois, le Hezbollah essaie de retarder délibérément l’échéance de l’élection présidentielle, allant à l’encontre des principes démocratiques définis dans la Constitution libanaise. Paralysé économiquement et politiquement, le pays du Cèdre est dans l’attente d’un dénouement au niveau régional pour savoir ce que le destin lui réserve. Samedi 26 novembre, l’Iran a cherché à réaffirmer son pouvoir au niveau régional lors du discours télévisé de l’Ayotallah Ali Khamenei tandis que les manifestations anti-régime prennent de plus en plus d’ampleur dans plusieurs villes iraniennes.

Depuis le 31 octobre dernier, le Liban est à la recherche d’un président consensuel pour satisfaire les deux principaux blocs, du 8 et du 14 Mars. Mais au service de qui serait ce président consensuel en l’absence d’un État fort ? Le bloc du 8 Mars a été très clair à ce sujet, il n’accepterait pas de président qui remettrait en question le pouvoir militaire du Hezbollah. " Le parti de Dieu veut un président (qu’il soit issu du 8 ou du 14 mars) qui lui garantisse son pouvoir à l’interne ", souligne Ali Al Amine, fondateur du site web Al Jounoubia. Le discours du guide suprême vient renforcer l’exigence de son allié libanais lorsqu’il a réaffirmé le soutien de l’Iran " à la résistance au Liban et en Palestine ". " Ce discours confirme ce que nous savons tous déjà, le Liban est une base arrière de la politique iranienne ", souligne-t-il.

Selon lui, le Hezbollah attend qu’un accord soit conclu entre l’Iran et la communauté internationale pour élire un président. " Ils ont le pouvoir d’élire le président de leur choix, mais ils ne souhaitent pas le faire pour le moment. Ils ont même le pouvoir d’élire un président issu de l’opposition et de le dominer en lui imposant toutes ses décisions, rappelle M. Al Amine. Pour lui, le Hezbollah ne mettra jamais ses propres intérêts en danger et quand il accepte de céder certaines choses, cela ne sera jamais au détriment des intérêts de Wilayat el-Fakih.

" Ils se disent ouverts au dialogue mais ils n’acceptent pas de discuter avec l’opposition pour essayer de trouver une issue, insiste M. Al Amine. Concrètement, ils n’ont pas besoin de le faire car ils dirigent déjà le pays ". Avant d’ajouter, " d’un autre côté, ils savent également que le pays ne peut plus fonctionner comme avant et ils ont besoin du financement de l’Iran pour éviter l’effondrement, sinon c’est leur influence qu’ils risquent de perdre ".

L’Iran est aujourd’hui très affaibli par la contestation populaire et a révélé les failles du régime des mollahs. " Supposons que les États-Unis, la France et Israël… soient derrière ce mouvement social, comme aiment l’affirmer les dirigeants iraniens, cela signifierait que les États-Unis ont autant d’influence dans un pays qui se vante d’être anti-impérialiste. C’est tout simplement un signe de défaite du régime dictatorial ", fait remarquer Ali Al Amine.

La " résistance " comme alibi

L’Ayotallah Khamenei a réitéré l’objectif de la politique iranienne dans les pays satellites comme le Liban, qui est de lutter contre " l’impérialisme américain " au Moyen-Orient en soutenant la " résistance ". " Ce n’est pas la première fois qu’un responsable iranien affirme indirectement interférer dans les affaires internes libanaises au nom de la résistance ", rappelle Ali Khalifé, professeur à l’Université libanaise, spécialiste en affaires d’Éducation et de citoyenneté. Pour lui, le discours sur la " résistance " a perdu de sa crédibilité depuis bien longtemps car aujourd’hui ce que cherche le parti de Dieu, c’est de maintenir sa mainmise sur le pays. "Le Hezbollah est devenu l’interlocuteur incontournable des puissances régionales mais également internationales. La communauté internationale a indirectement reconnu son pouvoir en acceptant de négocier avec lui le tracé des frontières maritimes". M. Khalifé en profite pour rappeler que le parti islamique chiite n’a plus eu de conflits directs avec Israël depuis 2006. "La résistance ne peut pas être figée dans le temps et sa fonction doit évoluer. La dernière intervention militaire du Hezbollah était contre le peuple syrien, en Syrie. Ses actions militaires vont au-delà des frontières politiques nationales, précise-t-il. Pour justifier et légitimer ses armes, il s’accapare le discours sur la résistance. " De nombreux Libanais ont formé une résistance et combattu pour la libération du sud Liban bien avant la création du parti islamiste chiite ", rappelle-t-il.

En renforçant indirectement la corruption au sein des institutions étatiques, la milice armée du Hezbollah n’a pas laissé l’occasion à l’État de se construire et de défendre lui-même ses frontières et cela a remis en cause la souveraineté du pays. De plus, cela vient contredire leurs discours sur l’ingérence car ils dénoncent l’ingérence occidentale (" les espions des ambassades ") mais acceptent l’ingérence iranienne. " Ils acceptent l’ingérence iranienne car ils ont été fondés et sont financés par l’Iran. Refuser serait remettre en question leur raison d’être ", rappelle Ali Khalifé. Puis il ajoute qu’à ce stade, il ne s’agit plus d’ingérence mais d’allégeance complète au Wilayat el Fakih. Au point que le Liban n’existe pas comme un État à part entière à leurs yeux mais comme une région de l’Iran.

Ce discours intervient à un moment clé dans la vie politique libanaise mais également régionale qui peut être perçu comme un signe de faiblesse. " Quand on parle d’une grande puissance qui a su imposer sa vision politique et religieuse à un niveau régional et qui aujourd’hui risque d’éclater, oui c’est une façon de rappeler au monde que la République islamique d’Iran était, est et restera puissante ", dit M. Khalifé.

Pour lui, au-delà de l’interprétation de la chute du port du voile, c’est le régime tout entier qui risque de chuter. Une chute symbolique qui précède la chute réelle. " On assiste à une crise profonde qui n’entraînera peut-être pas la chute du régime dans l’immédiat mais l’affaiblira certainement. Et on peut espérer un impact positif sur le Liban ", souligne M. Khalifé.

Du côté du Hezbollah

Pour certains membres du Hezbollah, ce discours n’a pas de message caché ni de lien avec le Liban. " À chaque fois que le guide suprême en a l’opportunité, le guide suprême souhaite rappeler son soutien à la résistance au Liban et en Palestine, ce n’est pas quelque chose de nouveau ", affirme M. Sahili, député membre du Hezbollah. Selon lui, ce n’est pas une intervention dans les affaires internes du pays. " L’Iran ne se mêle pas de la politique libanaise et n’a aucune influence sur les élections présidentielles. D’ailleurs c’est souvent l’Iran qui sollicite le Hezbollah pour les affaires régionales et non pas le contraire ", insiste-t-il.

Pour Kassem Kassir, journaliste et chercheur pro-Hezbollah, le discours du guide suprême est pourtant porteur de message. " A travers cette intervention télévisée, l’Ayatollah Ali Khamenei a voulu amortir l’impact de la campagne menée contre l’Iran à l’intérieur du pays comme à l’extérieur ", explique M. Kassem Kassir. Il s’accorde à dire que c’est une manière de réaffirmer le pouvoir de l’Iran à un niveau régional face aux pressions américano-israéliennes. Tout en dédouanant la République islamique de toute ingérence au pays des Cèdres. " Ces propos n’ont pas de lien avec la situation politique au Liban et le dossier de la présidentielle est lié aux évolutions en interne.  Le Hezbollah a toujours appelé au dialogue et à l’entente entre tous les partis ", précise M. Kassir. Le journaliste n’a pas souhaité s’étendre sur la relation qu’entretient le Hezbollah avec l’Iran. " Elle est bien connue depuis la création du parti ", évoque-t-il. Comme le rôle de l’Iran dans la région est connu. L’Iran soutient les forces de la résistance que certains considèrent comme ingérence mais que d’autres voient comme un soutien infaillible, conclut-il.

L’Iran affaibli, le Hezbollah pourrait-il opter pour le prélude d’une guerre civile comme lors du 7 mai 2008 s’il sent qu’il n’a plus d’autres choix et plus rien à perdre ? Sachant que toute décision qu’il prendra, aura des conséquences graves sur l’avenir du parti et du pays.