La 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a déclaré l’homme d’affaires proche des cercles d’extrême droite, Omar Harfouch, coupable de diffamation envers le photojournaliste franco-syrien Ammar Abd Rabbo. Le procès en soi s’était accompagné de manœuvres diverses, que déconstruit pour Ici Beyrouth, un proche du plaignant.

Le tribunal de Paris a déclaré lundi l’homme d’affaires franco-libanais Omar Harfouch, coupable de diffamation envers le photojournaliste franco-syrien Ammar Abd Rabbo. Ce dernier avait porté plainte contre M. Harfouch en juillet 2022 pour des accusations de " chantage " et de " proximité avec le régime syrien " que ce proche des cercles européens d’extrême-droite lui avait adressées sur les réseaux sociaux en mai dernier. Par son jugement, la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a rejeté toutes les " exceptions " soulevées par Omar Harfouch, et l’a déclaré " coupable de diffamation publique envers un particulier ".

Rappel des faits

Les faits remontent au mois de février 2020, lorsque, après un premier procès en diffamation devant le tribunal de Paris sur une autre affaire, qui s’était achevé en faveur de Ammar Abed Rabbo, M. Harfouch était revenu à la charge en publiant sur les réseaux sociaux des propos accusant le journaliste d’être le photographe officiel du président syrien, Bachar el-Assad, et d’avoir exercé sur lui un chantage pour lui extorquer la somme de 25.000 euros. Ammar Abd Rabbo a contre-attaqué en lui intentant un nouveau procès, mais l’audience qui était prévue dans le cadre de cette affaire n’a pas eu lieu en raison d’un vice de forme, se rapportant à une mauvaise traduction des propos diffamatoires, ainsi qu’à une mauvaise mise en page de la documentation des supports électroniques sur lesquels M. Harfouch avait attaqué verbalement le journaliste. À cause de ces erreurs, M. Abd Rabbo a préféré se désister de son action en justice pour respecter l’esprit des tribunaux de presse qui demandent que les citations litigieuses soient claires, n’appelant aucune erreur, même minime.

Ce qui n’a pas retenu l’homme d’affaires libanais d’annoncer, quelques semaines plus tard, sur ses comptes Facebook et Twitter " la défaite judiciaire " du journaliste, en omettant toute référence au vice de procédure. Et c’est au milieu de sa campagne pour les législatives libanaises de mai dernier, que Omar Harfouch, qui en sortira défait, avait lancé à nouveau des accusations de chantage contre Ammar Abd Rabbo, invitant les journalistes français et francophones à ne pas croire les " histoires fictives et inventées " par le photographe.

Présenté par son détracteur comme un " maître chanteur " ou le " photographe officiel du régime syrien, renié par sa propre famille ", Ammar Abd Rabbo a alors intenté une nouvelle action judiciaire, en juillet 2022, contre celui qui était venu au Liban en 2017 comme conseiller politique de Marine Le Pen, et dont les attaches avec des personnalités d’extrême droite, comme le député européen (et défenseur du régime Assad) Thierry Mariani, sont affichées et assumées.

Lors d’une première audience en octobre 2022, la justice française a pris connaissance des arguments des avocats des deux hommes.

Un procès sur fond de campagne médiatique "mensongère"   

À l’ouverture du procès, Omar Harfouch s’était rendu à Paris en compagnie de plusieurs journalistes libanais, menant en parallèle une campagne de presse contre Ammar Abd Rabbo sur plusieurs sites libanais proches du Courant patriotique libre et du Hezbollah. Ces articles évoquaient par exemple le " procès du photographe de Bachar el Assad ", alors qu’Abd Rabbo est le plaignant (qui s’était constitué partie civile), et non l’accusé.

Ces mêmes articles de presse citaient des allégations que " le tribunal avait reconnues ", alors qu’aucun jugement n’avait encore été prononcé. Les mêmes journalistes avaient été présentés par les avocats de Omar Harfouch devant le Tribunal de Paris comme des " rédacteurs en chef " et des journalistes libanais " notoires ". Ils s’étaient faits remarquer en postant sur leurs pages Facebook respectives des photos à bord d’un jet privé loué par l’homme d’affaires pro-russe pour assurer leur déplacement à Paris. Ici Beyrouth avait d’ailleurs publié une vidéo où l’on pouvait les voir se presser derrière Omar Harfouch, avec leurs valises, dans l’enceinte du Palais de Justice de Paris, " offrant ainsi une piètre image des médias libanais ", rappelle à Ici Beyrouth un proche de Ammar Abd Rabbo.

Le Pen et le mensonge flagrant de Harfouch

Pendant le procès, l’homme d’affaires s’était montré particulièrement inventif en " histoires fictives ", selon la source précitée. Devant le tribunal, il aurait été jusqu’à démentir avoir voyagé au Liban en 2017 comme conseiller de Marine Le Pen, alors candidate de l’extrême droite française à la présidentielle. " Cette histoire avait été inventée de toutes pièces par Ammar Abd Rabbo ", aurait-il allégué devant la cour, alors que son voyage avec la candidate est officiellement documenté et confirmé par des témoignages de première main, notamment de journalistes.

Une autre " manœuvre " de Omar Harfouch lors du procès a été de défendre par tous les moyens l’existence de vices de forme, de manière à tenter de se dérober à la justice, rapporte la source précitée. Il aurait ainsi affirmé à cette fin ne pas avoir de compte Twitter, et aurait attribué à l’un de ses employés la responsabilité des propos litigieux publiés sur sa page Facebook.

Compétence territoriale

Omar Harfouch a en outre soulevé des " exceptions de nullité " en évoquant une " incompétence territoriale " du tribunal de Paris à statuer sur " épisode d’une campagne électorale lancée à l’occasion des législatives libanaises ".

Le tribunal a rejeté toutes ces exceptions, en affirmant que les propos diffamatoires ont été publiés sur les réseaux sociaux, et sont ainsi " accessibles sur l’ensemble du territoire français et notamment à Paris ". Relevant en outre que Omar Harfouch est lui-même domicilié à Paris, le tribunal s’est déclaré compétent à examiner cette affaire.

Le tribunal a estimé par ailleurs qu’aucune des " preuves " présentées par Omar Harfouch ne constituait une preuve " parfaite et complète ", y compris la transcription d’un appel téléphonique entre lui et son frère, qu’il a soumise à l’examen du juge comme " preuve décisive " des accusations portées contre Abd Rabbo sur sa page Facebook en mai dernier.

" Le tribunal m’a donné raison sur l’essentiel "

En revanche, le tribunal n’a pas estimé qu’être qualifié de " photographe officiel de Bachar El Assad " constituait une diffamation, le terme " officiel " renvoyant à des réalités distinctes, qui peuvent aller de l’ " accréditation a la simple reconnaissance symbolique ".

Contacté par Ici Beyrouth, le photographe Ammar Abd Rabbo s’est félicité du jugement, constatant que le tribunal avait rejeté toutes les exceptions de nullité soulevées par son détracteur, et lui avait donné raison sur l’essentiel, à savoir la diffamation.

Omar Harfouch dispose de dix jours à compter de la date du jugement pour interjeter appel.

C’est la troisième fois que le photographe Ammar Abd Rabbo fait condamner l’homme d’affaires par la justice française. En 2007 et 2008, après la sortie de son autobiographie, où il accuse le photographe de chantage, l’homme d’affaires libanais, ainsi que son éditeur, avaient été condamnés en première instance puis en appel par la même juridiction.

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