Rami Finge, qui a perdu son siège de député de Tripoli suite à une décision du Conseil constitutionnel, clarifie à Ici Beyrouth les failles qui entachent cette mesure. Soulignant son respect de la justice, il annonce qu’il " restera engagé et ne baissera pas la voix ".

La politique s’est-elle de nouveau immiscée dans l’action de la justice libanaise ?  Cette question se pose avec acuité depuis l’annonce le 24 novembre dernier de l’acceptation par le Conseil constitutionnel de deux recours en invalidation des résultats des élections parlementaires à Tripoli.

En vertu de ce verdict, Rami Finge, député du Changement, proche de la mouvance souverainiste, a perdu son siège (sunnite), au profit de Fayçal Karamé, ancien ministre et député, proche du Hezbollah et du régime syrien. Par ailleurs, Haïdar Nasser, ancien colistier de M. Finge, a succédé à Firas Salloum (indépendant) pour le siège alaouite de la même circonscription, et n’a pas tardé à prendre des positions en faveur des " armes de la résistance ". Cela change légèrement l’équilibre des forces au sein du Parlement issu des élections de mai 2022, qui a comme mission primordiale d’élire un chef de l’État.

Respect de la justice

M. Finge, activiste politique et dentiste, très estimé dans la capitale du Liban-Nord, se plie à la décision du Conseil constitutionnel, non seulement parce qu’elle est irréversible, mais aussi parce qu’il " respecte les institutions judiciaires, qui doivent sauver le pays ". Il est cependant résolu à poursuivre son activité politique, sociale et humanitaire hors du cadre du Parlement. Il annoncera d’ailleurs cela mercredi lors d’un point de presse à Tripoli, en présence des députés de la Contestation, avec lesquels il continuera à travailler. Il sera également entouré de Tripolitains membres, comme lui, du groupe Intafid (révolte-toi), rassemblant des notables de la classe moyenne de cette ville, attachés à la souveraineté.

S’il essaie de cacher son amertume, et garde le sourire serein et le ton posé qui le caractérisent, M. Finge souligne cependant plusieurs anomalies qui le poussent à estimer que la démarche du Conseil constitutionnel revêt un caractère politique. Il confie d’ailleurs que des hommes politiques et des diplomates lui avaient indiqué depuis un certain moment que sa députation sera annulée.

Cette opinion a été exprimée clairement par d’autres officiels, notamment le député de Tripoli Ashraf Rifi, qui a souligné que les décisions du Conseil " visent à changer l’équilibre au sein du Parlement au détriment des forces de l’opposition et du changement " et a rendu hommage à M. Finge. Il a en outre précisé que " les tentatives de torpiller les résultats des législatives et de falsifier la volonté des Libanais et des tripolitains en particulier " échoueront.

La position du juge Hamzé

M. Finge rappelle que le vice-président du Conseil constitutionnel, le juge Omar Hamzé, s’est opposé à la décision relative aux recours de Tripoli, relevant que les deux recours devaient être rejetés, en se basant sur le fond. M. Hamzé a d’ailleurs élaboré une réponse en quatre points, qui sera publiée dans le Journal officiel, à l’instar de la décision de cette instance. Les quatre raisons que soulève M. Hamzé sont relatives à: la validation sélective de bulletins qui avaient auparavant été annulés par les commissions de dépouillement ; la dualité des critères adoptés dans le choix des bulletins annulés ou acceptés ; les violations citées par les auteurs des recours qui ne se basent sur aucune preuve ; et l’occultation des résultats de plusieurs bureaux de vote.

Les autres anomalies

M. Finge fait état de plusieurs anomalies, apparues dès l’annonce des résultats du scrutin. " Je suis tombé des nues lorsque j’ai appris que mon colistier Haidar Nasser avait présenté un recours d’invalidation de ma députation ", confie-t-il. " Je l’ai aidé jusqu’au dernier jour, je lui ai trouvé des délégués, j’ai tout fait pour qu’il soit avec nous ", se souvient-il.

Par la suite, " après la présentation de ma réponse aux recours en juin dernier, personne ne m’a contacté, alors que d’autres députés qui faisaient l’objet de recours ont été contactés, écoutés, et on leur a même demandé de présenter des documents ", relève M. Finge, lequel a d’ailleurs été informé de l’acceptation des recours par les médias.

Le plus important reste peut-être le fait que les deux recours relatifs à Tripoli, soumis par Faycal Karamé et Haydar Nasser, ont été présentés contre les mêmes trois députés : Ihab Matar (sunnite), Firas Salloum (alaouite) et Rami Fanj (sunnite). Le CC a ensuite décidé de les "jumeler", et c’est cela qui lui a permis d’aboutir au résultat actuel : remplacement de Firas Salloum par Haydar Nasser, et de Rami Finge par Faycal Karamé.

" Ces deux recours étaient coordonnés et visaient à aboutir à ce résultat ", estime M. Finge, qui note que les " coefficients électoraux " de toutes les listes en lice à Tripoli auraient dû être revus, ce qui n’a pas été le cas. Il relève dans ce cadre qu’il est rare qu’un candidat malheureux, comme M. Nasser, présente un recours contre sa propre " tête de liste ". Il convient de noter que M. Finge a obtenu 5009 voix préférentielles, contre 313 à M. Nasser.

Il relève que certaines urnes ont été comptabilisées et d’autres pas, notamment celles de la diaspora, qui avait en grande partie voté pour lui. Par ailleurs, comme l’a dit le juge Hamzé, des bulletins annulés ont été de nouveau considérés valables. " Il y a beaucoup d’anomalies, et l’opinion publique jugera ", souligne Rami Finge.

Je resterai engagé

La particularité de M. Finge réside dans le fait qu’il est issu de la thaoura, mais il est dans le même temps attaché à la souveraineté. Il a d’ailleurs été le premier député de la contestation à voter pour Michel Moawad lors des séances électorales. " Je resterai engagé et je ne baisserai pas ma voix. J’ai travaillé avec professionnalisme, jusqu’à la dernière minute, dans toutes les commissions dont je faisais partie, et je n’ai manqué aucune séance parlementaire, par conviction ", souligne Rami Finge.

D’ailleurs, ce qui lui manquera le plus, c’est le travail sérieux auquel il a contribué au sein des commissions parlementaires. " Tous les blocs coopèrent ensemble dans les commissions, puis, quand on en vient à la politique, l’aspect constitutionnel disparait au profit des quotes-parts confessionnelles ", déplore-t-il..