Le secrétaire pour les Relations avec les Etats au Vatican, Mgr Paul Richard Gallagher, a averti contre un affaiblissement des chrétiens au Liban qui impacterait les équilibres internes et l’identité du pays. Il a par ailleurs promis de transmettre au pape François les doléances des familles des victimes de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, après avoir présidé une messe à la mémoire de leurs proches tués dans la déflagration.

Journée chargée à Beyrouth pour Mgr Paul Richard Gallagher, secrétaire pour les Relations avec les Etats au Vatican, qui a entamé lundi soir une visite officielle de trois jours au Liban où il doit notamment prendre part mercredi à l’ouverture d’un symposium organisé par l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) sur le thème: " Jean-Paul II et le Liban-message ".

Mardi le responsable pontifical a eu des entretiens avec le président libanais, Michel Aoun, le chef du Parlement, Nabih Berry et le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. L’occasion pour lui de faire part à ses hôtes de la sollicitude et de l’inquiétude du pape François à l’égard du Liban et de s’enquérir des mesures envisagées par les autorités pour commencer à régler la grave crise économique et sociale sous laquelle les Libanais ploient.

Mgr Gallagher a répercuté l’inquiétude du souverain pontife lors de sa conférence de presse à Baabda lorsqu’il a fait observer que l’avenir du pays est “incertain” et abordé la présence chrétienne, mettant en garde indirectement contre son “affaiblissement” et l’impact de celui-ci sur " les équilibres internes et l’identité du pays ". Un thème qu’il devait aborder plus tard dans la journée, lors d’une intervention à l’Université Saint-Joseph où il a plaidé en faveur de la convivialité islamo-chrétienne.

Mgr Gallagher a encouragé la communauté internationale à venir en aide au Liban qu’il a également pressé de lancer le chantier de réformes exigé de lui. “Des réformes accompagnées du soutien de la communauté internationale aideront le Liban à préserver son identité propre”, a affirmé l’archevêque Et d’ajouter :  " Le Liban a été, est et doit rester un projet de paix. Son message est d’être le pays de la tolérance, du pluralisme et un havre éternel où se retrouvent toutes les communautés et religions plaçant l’intérêt public au-dessus des leurs.  "

Non aux ingérences extérieures

Mgr Gallagher a en outre affirmé que le Saint-Siège serait prêt à être un médiateur entre les différentes parties politiques libanaises  " s’il y est invité " . Il a également encouragé la société civile et les leaders politiques à discuter ensemble puisque   " on ne peut prédire le résultat d’un dialogue ", et fustigé les " ingérences extérieures " dans les affaires libanaises, mais sans citer les parties qu’il accuse de s’immiscer dans les affaires libanaises, affirmant qu’ " il appartient aux Libanais de décider de leur sort ".

En réponse à une question de la presse, il a indiqué que le pape envisage de venir au Liban, mais sans fixer de date.

Après un entretien avec Nabih Berry puis avec le général Joseph Aoun, Mgr Gallagher a pris part à une conférence-débat à l’Université Saint-Joseph. Dans le discours qu’il a prononcé devant un parterre de personnalités politiques et culturelles, le secrétaire pour les relations avec les Etats du Saint Siège a plaidé pour la convivialité islamo-chrétienne, ainsi que pour la consolidation de la culture " qui favorise la justice, la paix et le développement ".

Mgr Gallagher a d’emblée souligné qu’il se trouve au Liban pour " exprimer la proximité du Saint Père, le pape François, à toutes les Libanaises et Libanais, en cette période très complexe et délicate ", avant de s’étendre sur la présence et le rôle du Liban, dans l’Histoire, depuis l’antiquité, citant de nombreux " points de référence pour montrer l’importance du pays (…) en tant que berceau d’anciennes civilisations ".

Abordant la convivialité islamo-chrétienne au Liban à travers les siècles, l’archevêque a souligné " la symbiose " qui s’est développée entre les deux communautés musulmane et chrétienne, relevant que celle-ci " a engendré une forme de culture où les différentes traditions et pensées ont été capables d’entrer dans un dialogue significatif ". " Cet aspect précieux de l’histoire culturelle du Liban ne peut être perdu, car il constitue les fondements historique et national du bien-être de ce pays ", a-t-il insisté..

Et d’ajouter : " Nous sommes conscients que les chrétiens, avec les musulmans, ont joué un rôle remarquable dans la consolidation de la culture arabe, par leur participation active à la Renaissance arabe. A travers les siècles, le Liban a été pionnier dans le journalisme, la littérature, l’art, la musique et l’histoire. Il suffit de nommer juste un exemple connu mondialement : Gibran Khalil Gibran ".

Pilier de paix et de développement

Soulignant, en citant le pape St. Jean Paul II, que " la culture élève l’être humain vers son vrai dessein, le vrai humanisme, ", Mgr Gallagher s’est dit persuadé que celle-ci " favorise la justice et la paix, car tout bon penseur se doit de constater que “humanisme vrai” signifie que “l’autre”, quel qu’il soit, appartient à la même famille humaine ". " En effet, la culture est un pilier pour la paix et le développement.  Une société qui manque de culture plonge facilement dans l’animosité, l’adversité et l’extrémisme ", a-t-il soutenu, avant de constater : " L’éducation et l’apprentissage des jeunes générations sont une part essentielle et un devoir pour toute société ".

" Récemment, le pape François, avec le grand imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb, a lancé un appel aux intellectuels, philosophes, personnalités religieuses, artistes, professionnels des médias et aux femmes et hommes de culture de partout dans le monde, “afin qu’ils retrouvent les valeurs de la paix, de la justice, du bien, de la beauté, de la fraternité humaine et de la coexistence commune, pour confirmer l’importance de ces valeurs comme ancre de salut pour tous et chercher à les répandre partout.”. (S.S. François, Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune).

" Il n’est pas possible qu’au Liban on n’entende pas cet appel ", a-t-il fait valoir, en relevant que la " coexistence (vivre ensemble) fait partie de la vie ".  Mgr Gallagher a insisté dans ce contexte sur " la culture de la rencontre " entre les différentes religions, traditions et cultures, et jugé que celle-ci " doit être cultivée dès le jeune âge ". " La vie quotidienne au Liban doit permettre cette interaction ", a-t-il constaté.

Selon lui, " la culture, assurée par les institutions éducatives, est une garantie cruciale pour la paix et le développement, et pour un humanisme toujours plus renouvelé, basé aussi sur des valeurs spirituelles ".Ceci signifie que culture et religion doivent être vus et encouragés à se compléter l’un l’autre, en travaillant pour établir les valeurs citées plus haut ", a-t-il martelé.  Dans ce contexte, " l’enseignement religieux authentique permet, selon lui, de rester enracinés dans les valeurs de l’entente mutuelle et de la coexistence harmonieuse, qui sont fondamentaux pour promouvoir l’humanisme et la fraternité (…) et protège les jeunes du croissant danger d’une vision du monde matérialiste, des dangereuses politiques de convoitises effrénées et de l’indifférence fondées " sur la loi de la force et non sur la force de la loi ".

Son utilité, a expliqué l’archevêque réside dans le fait qu’il aidera également les nouvelles générations à " voir que le dialogue entre croyants signifie converger ensemble, dans un vaste espace spirituel et humain, aux valeurs sociales partagées pour transmettre les hautes vertus morales et les objectifs de la religion ". Il a cité une autre utilité de la rencontre entre culture, religion et éducation : " Leur absence sape l’humanisme et fournit un terrain fertile au développement de l’extrémisme ".

Appel aux religieux et politiques libanais

Mgr Gallagher s’est ensuite adressé à " tous les religieux libanais et aux leaders politiques, les invitant à renforcer les valeurs de fraternité, paix et harmonie, et à dénoncer et bannir toute action qui recherche son contraire ".

" L’importante et noble relation entre culture et religion a un impact positif sur la vie quotidienne de chaque personne et de chaque société. Elle influence la qualité de vie dans la “cité” (polis), à travers la politique, dans chaque pays et société, au niveau national et mondial ", a commenté Mgr Gallagher qui a plaidé en faveur de la justice, de la charité et du pardon dans l’exercice de la politique. " Culture, religion et politique, lorsqu’ils sont promus et cultivés chez les jeunes, peuvent mener vers une société plus juste et plus équitable. Cela n’est pas vrai seulement pour le Liban mais pour tout le Moyen Orient. Nous devons commencer par les intégrer jour après jour dans notre comportement. Nous devons commencer par cette perspective d’un monde plus fraternel et juste ", a-t-il défendu.

Après avoir exposé les différents problèmes politiques, économiques et écologiques auxquels le Moyen-Orient Mgr Gallagher a encouragé la " promotion d’une culture et d’une politique de la Rencontre, de pair avec un dialogue sincère et plus fraternel entre les grandes religions présentes (judaïsme, christianisme et islam), qui permettrait à cette région de devenir cohésive et unie et de représenter un point de rencontre important sur le plan de l’économie internationale et du système politique ".

" C’est dans ce cadre-là que le Liban pourrait jouer un rôle important, offrant un exemple de fraternité et de dialogue pour tout le Moyen Orient et la région Méditerranéenne ", a-t-il estimé avant de réitérer l’appel du pape François durant son discours au corps diplomatique, il y a quelques semaines au Vatican : “Au cher peuple libanais, aux prises avec une crise économique et politique qui peine à trouver des solutions, je désire aujourd’hui renouveler ma proximité et ma prière, tout en souhaitant que les réformes nécessaires et le soutien de la communauté internationale aident le pays à rester ferme dans son identité de modèle de coexistence pacifique et de fraternité entre les différentes religions ”.

Prière pour les victimes du 4 août

Avant de se rendre à l’USJ, Mgr Gallagher s’est rendu à Mar Mikhaël où il a présidé, en présence de l’archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Abdel Sater, une messe à la mémoire des victimes de l’explosion cataclysmique au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Il a notamment prié pour le rétablissement des blessés et pour que " les responsables libanais oeuvrent afin de la lumière sur ce qui s’était passé et que la justice soit faite ".

Dans une brève allocution, Mgr Abdel Sater a prié le Vatican d’ " exercer des pressions (sur les autorités libanaises) pour que la vérité sur l’explosion soit connue ". " Les habitants de la région ont perdu leurs proches et leurs habitations et ont quand même décidé d’y rester. Ils ont le droit de savoir qui est responsable de cette catastrophe, surtout que certaines parties essaient de noyer les investigations " dans des considérations politiques, a-t-il affirmé, dans une allusion à la guerre menée par le tandem Amal-Hezbollah contre le juge d’instruction, Tarek Bitar, qu’ils accusent de politiser l’enquête. " Nos vous demandons de ne pas permettre que cela arrive. Ceci n’est pas une position politique, mais il est de notre devoir de savoir qui a fait abattre cette catastrophe sur nous et tué nos enfants. Nous n’allons pas oublié ce qui s’est passé le 4 août ", a insisté Mgr Abdel Sater qui a prié le prélat de transmettre ce message au pape, ce que Mgr Gallagher a promis de faire.

Au terme de la messe, le responsable pontifical a eu des échanges émouvants avec les familles de victimes qui lui ont raconté ce qu’elles ont enduré et partagé avec lui leur colère face aux tentatives de bloquer l’enquête.

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