Dans un entretien accordé au quotidien al-Akhbar, le président de la République, Michel Aoun, a assuré que ce qui s’est passé lors du dernier Conseil des ministres " n’aura pas de conséquences sur le gouvernement qui poursuivra ses réunions ", et qu’il n’y aura " certainement pas de retour au boycott ".

Le Conseil des ministres de jeudi dernier qui était consacré à l’examen final du projet de budget 2022 ne s’est pas déroulée en définitive comme prévu. Un climat de chaos a en effet été nettement perçu dans le sillage de la déclaration du chef du gouvernement Nagib Mikati au terme de la réunion. La cause de cette atmosphère de " fronde " est double : le tandem Hezbollah-Amal estime que le projet de budget a été approuvé à la va vite, " de manière contraire à la Constitution ", pour reprendre les termes du secrétaire général adjoint du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem ; pire encore, des nominations sécuritaires et militaires, qui ne figuraient pas à l’ordre du jour, ont été décidées également à la va vite sans l’aval du duopole Amal-Hezbollah.

Le ton est donc monté jeudi soir (indépendamment des réactions suscitées par le commentaire de M. Mikati " nous devons nous supporter les uns les autres " qui a enflammé les réseaux sociaux) du côté des ministres du tandem chiite, furieux du " coup orchestré et fomenté derrière leur dos, affirment-ils, par le Premier ministre et le président de la République ". Le ministre du Travail, Moustapha Bayram, est allé jusqu’à dire que " le projet de budget n’a pas fait l’objet de discussions préalables au Conseil des ministres ou de consultations ou de même de vote ", s’indignant d’avoir appris la nouvelle que le projet de budget avait été adopté " par le biais des médias et des réseaux sociaux ".

Même son de cloche chez le ministre de la Culture, Mohamad Mourtada, qui a confié que " jusqu’à la fin de la réunion, il n’était toujours pas clair si le projet de budget avait été adopté ou pas ". Une source proche du Sérail a fermement démenti ces faits et a assuré que chaque article du projet de budget avait été longuement étudié en Conseil des ministres lors de réunions budgétaires préalables.

Plus encore, des nominations militaires et sécuritaires ont été avalisées lors de la même réunion du gouvernement jeudi dernier, sans avoir été soumises au vote au sein du Conseil et sans faire l’objet d’une unanimité, ce qui a provoqué l’ire du duopole chiite, car ces points n’étaient pas prévus dans l’agenda gouvernemental. Le général Mohammad el-Moustapha a ainsi été nommé secrétaire général du Conseil supérieur de la Défense (sunnite) et le général Pierre Saab membre du Conseil militaire (grec-catholique). Le premier nom a été entériné par le Premier ministre et le second correspond au choix du chef de l’État, selon les informations recueillies par Ici Beyrouth. En outre, Ziad Nasr, directeur général de l’office du transport, a été nommé commissaire du gouvernement par intérim auprès du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), succédant à Walid Safi, passé à la retraite.

Dans ce contexte, des milieux de l’opposition affirment que le mécontentement chiite n’est que de la " gesticulation médiatique " dont le seul but est de " jeter de la poudre aux yeux et de se redorer le blason face à la rue chiite, pour gagner leurs voix aux prochaines élections législatives ". Une théorie qui mériterait d’être approfondie mais qui nécessiterait plus de recul et de temps pour assurer sa véracité.

À titre de rappel, le binôme chiite avait accepté de reprendre son activité gouvernementale (qui était suspendue depuis le 12 octobre 2021) au sein du Conseil ministres, le 24 janvier, après presque quatre mois de boycott, à condition de ne pas aborder trois dossiers litigieux et non-négociables :  les nominations judiciaires, militaires et sécuritaires ; la mise à l’écart du juge Tarek Bitar (chargé des investigations relatives à la double explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020) ;  ainsi que le sort du gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, que le camp aouniste cherche toujours à déloger. Le duopole aurait donc insisté pour que leur participation au Conseil des ministres se limite au traitement de sujets économiques et sociaux, parallèlement au projet de budget de 2022.

Plus encore, l’ordre du jour – fixé par le Premier ministre et approuvé par le président de la République – est distribué au moins 48h à l’avance à l’ensemble des ministres formant le cabinet, conformément à la Constitution. N’importe quel ministre a, par la suite, le droit de refuser de voter ou d’approuver une décision en cours de négociations au Conseil. Néanmoins, une fois la décision adoptée à la majorité absolue ou à la majorité des deux tiers (dépendamment de la nature de la décision) elle devient exécutoire et ne peut plus être contestée, à moins qu’un recours soit enclenché par les dispositifs cités et régis par la Constitution.

Sur ce plan, il reste à savoir si le tandem chiite essaye d’imposer un nouveau fait accompli (comme celui qui attribue systématiquement le ministère des Finances à la communauté chiite lors de la formation d’un gouvernement) qui serait d’avoir un droit de regard sur l’ordre du jour des réunions du cabinet, sachant que cette prérogative relève du Premier ministre. Ce cas de figure serait néanmoins grave s’il est légitimé, car le duopole chiite pourrait alors bloquer les décisions qui ne lui conviennent de manière totalement anticonstitutionnelle.

Quoi qu’il en soit, ce n’est un secret pour personne que les tensions entre la communauté chiite et MM. Aoun et Mikati ne font que s’accroître. Pourraient-elles atteindre un seuil de non-retour résultant dans la démission du Premier ministre ? La réponse pourrait être connue mardi 15 février, date de la prochaine réunion du Conseil des ministres, si toutefois elle a lieu…