Bien avant le Pacte de 1943 dans les milieux intellectuels libanais, les milieux cléricaux et celui des élites économico-financières, on disait que la valeur du Liban provient de ses relations extérieures positives qui en font un trait d’union entre l’Orient et l’Occident, sans toutefois avoir à s’attacher à aucun de leurs agendas. C’est de là qu’est né le slogan " Ni Orient, ni Occident " adopté en tant que principe étatique. Critiquer ce principe, relèverait de l’ambiguïté, surtout qu’avec l’ancrage du slogan au pacte, qui lui-même est porteur d’une profonde philosophie de Neutralité, est venue se greffer la formule du " Vivre Ensemble " loin des ghettos confessionnels, du cloisonnement religieux ou régional. Ce modèle libanais inscrit dans une Constitution civile et dans une gouvernance associative, mènera ipso-facto à jouer un rôle constructif vers la paix universelle, loin des partis-pris dans des coalitions régionales ou internationales. En fait, cela se discerne clairement dans le " Pacte National ", et constitue la particularité identitaire du Liban.

Malgré la création de cet édifice étatique offrant la possibilité d’affirmer l’identité libanaise et la concrétisation de son existence réelle et productive, on le voit souffrir des difficultés existentielles et partisanes. Celles-ci étant liées à l’extension des conflits régionaux et internationaux à l’intérieur même de son territoire, qui par conséquence l’empêchent de prendre forme comme un modèle sérieux de gouvernance saine ayant une politique publique pérenne. De là, viennent les obstacles qui rendent quasi irréparables les dommages qu’a pu subir le concept libanais depuis sa naissance. Néanmoins, il faut admettre que ces préjudices aidèrent à épaissir l’opacité autour des deux composantes de la particularité libanaise. Dès lors, il faut noter que le concept du “Vivre Ensemble dans la Pluralité” sous l’égide du Pacte national, ne peut provenir que de la Neutralité.

L’opacité empêche donc totalement une résurgence du Liban originel terre de paix. Prenant en compte les actions aléatoires pouvant découler de cette opacité, il est primordial de redéfinir ces deux assises qui s’épousent organiquement.

Sa Béatitude le patriarche Elias al-Howayek, déclina les offres de création d’un Etat exclusivement chrétien, il refusa même d’en discuter. Du plus profond de son cœur et de son esprit il ne voyait que le Grand-Liban, dans sa formule fondée sur le pluralisme, où dominent les droits des citoyens. Tout en garantissant aux différentes confessions leurs statuts de composantes de sa société. C’est de cette conception qu’est née l’idée de l’Etat Civique érigé sur la base d’un Parlement non-confessionnel, et un sénat où seront représentées les sensibilités confessionnelles. Effectivement, en se référant à " l’Accord de Taëf ", son article 95 ouvre largement la voie à l’abolition progressive du confessionnalisme, préparant à l’adoption d’un Parlement laïc à côté d’un Sénat confessionnel consultatif. C’est ainsi que les Pères fondateurs exprimèrent leur souhait d’une citoyenneté protectrice de la pluralité.

L’expérience jusqu’à ce jour, d’un Etat Centralisé n’a pas abouti à un échec comme veulent l’affirmer certains protagonistes opposés à faire revivre la légalité de la Sigha libanaise, opposés aussi à l’application de l’Article 95 qui prône pour une " Décentralisation élargie " stipulée dans l’Accord de Taëf, comme mesure nécessaire à adopter. Les politicards au pouvoir, mirent en échec le projet d’un " Etat Souverain ", au profit d’un éventuel " Etat Fédéral " dont le statut ne peut être ni discuté ni adopté dans le chaos actuel où vit le Liban. Malgré qu’en temps normaux, cette option pourrait être débattue, car il existe tout un éventail de modèles valables d’Etats fédérés à travers le monde. Dans l’absolu, un Etat Fédéral exige à minima une unité en ce qui concerne la politique étrangère, la politique de la défense du pays. Le litige est en fait autour de ces deux dernières : Défense et Politique Etrangère. Or, c’est précisément là que la Neutralité s’impose comme solution, accompagnée de la formule utile du “Vivre Ensemble” suivant la philosophie du concept libanais. Ceci requiert une insistance sur la compréhension du statut de Neutralité, qui est en lien intime et organique avec cette philosophie, but de notre débat.

L’entrée en matière en la théorie de Neutralité, ne peut se réaliser qu’à travers un dialogue et une aptitude bienveillante à comprendre autrui (sûrement pas sous la menace des armes illégales), tellement fragile et compliquée est la formule pluraliste du Liban. Depuis la naissance de l’entité Mont-Liban (1862), toute composante avait ses adeptes et alliés. En ce temps-là, il existait aussi un relatif équilibre régional et international, équivalent à sa stabilité intérieure. On y trouvait même de supposés protectorats (Milleth), héritage laissés par les ottomans, tandis que la Russie avait soulevé la Question d’Orient. Alors que l’Occident anglo-saxon préparait la création d’un foyer juif, devenu Israël au dépens des droits historiques du peuple palestinien. Au milieu de ces contradictions et partages, il était nécessaire d’assurer une immunité à l’entité Mont-Liban, afin qu’elle résiste à être entraînée dans des alliances et alignements régionaux qui lui coûteront de graves troubles intérieurs. Ceci jusqu’au Mandat français, et la naissance de la jeune République Libanaise 1943.

Certaines personnalités influentes du nouveau Liban, notamment Michel Chiha et Charles Malek, avaient pressenti les aléas de la création d’Israël qui se préparait à violer les droits légitimes du peuple de Palestine. Ils ont même prévu que la formule du pluralisme libanais qui protège l’ensemble de ses communautés, même celles où se terrent des éléments qui insistent à collaborer avec l’étranger, ne pourrait garder son intégrité sans déclarer la Neutralité du Liban. Dans leurs pensées, cela ne voulait pas dire que le Liban devait se détourner des questions ayant trait à la liberté, la justice et les Droits de l’homme, en particulier la cause palestinienne. Evidemment il était hors de question de transformer le Liban en une base pour lancer des opérations armées qui mettrait en danger la sécurité de l’Etat au nom de ces causes légitimes. Ils prônaient une Neutralité positive soutenue par des actions diplomatiques méthodiques auprès des Nations Unies, la Ligue Arabe, l’Organisation de Coopération Islamique et l’Organisation des Pays Non-alignés. Mais les politiciens libanais s’étant détournés de la neutralité positive, le pays s’est empêtré dans de très vilaines affaires intérieures, régionales et internationales. Un rare exemple où le Liban exigea avec véhémence le respect de sa Neutralité : ce fut quand le président F. Chehab insista à ce que la rencontre avec le président G. Abdel-Nasser (Egypte-Syrie), se passe sous une tente dressée sur la ligne de frontière, moitié au Liban et moitié en Syrie (Fév 1959). Cela signifia une consécration et une reconnaissance officielle de la Neutralité du Liban.

Le Pacte National de 1943 ne fut pas la rencontre de deux négations comme certains le décrivent. Ce fut plutôt un appel national et solennel pour débarrasser le pays d’une éventuelle hypothèque envers un pays tiers. Mais aussi pour affirmer avec force la particularité de l’identité libanaise et son engagement pour les causes du monde Arabe. D’autre part, l’Accord de Taëf confirme le Pacte National qui insiste lui-même sur le choix du " Vivre Ensemble ", avec ses extensions pour assurer la création d’un Etat Civique, où l’appartenance citoyenne aura le pas sur les autres identités collatérales, toujours reconnues en particulier les religieuses. L’idée de la Neutralité du Liban dans son concept de base va plus loin que les arguments rétrogrades actuels, fabriqués de toutes pièces afin de se soustraire des responsabilités, en usant à volonté de la “Méthode d’arrondissements des angles” pratiquée par les politiciens corrompus. Ces méthodes ne sont que des chimères pour justifier les armes illégales des antagonistes qui pèsent dans la balance des discussions cruciales. On a plutôt besoin d’arguments cartésiens, présentant des caractères de rigueur, d’exigence et d’objectivité en relation avec la philosophie des Pères Fondateurs, qu’ils soient des intellectuels, des prélats et même des hommes d’état éminents. Il est nécessaire de réviser avec minutie toutes les déclarations des penseurs et érudits du passé libanais qu’ils soient résidents ou de la Diaspora, retournant jusqu’en 1918 et même au-delà. Depuis ces temps-là, il ressort nettement une évidence : il n’existe nul futur pour le Liban en dehors de la Neutralité positive. Cette dernière devrait lui garantir tous les besoins d’une défense solide, et l’exclusivité de celles-ci à l’Armée et aux forces de sécurité légales. Également, assurer par un effort diplomatique l’établissement d’une politique étrangère clarifiant l’idée de l’ordre public d’un Etat de Droit, et la sécurité sociale au peuple libanais. La Neutralité positive d’un Liban sécurisé est un reflet du concept de l’entité libanaise, ainsi que de sa philosophie du “Vivre Ensemble”.

Néanmoins, cela requiert d’avancer plus loin que de se contenter de faire des déclarations de bonne volonté. Il est fondamental d’appeler à l’organisation d’un congrès mondial sous l’égide du conseil de sécurité des Nations-Unies. Dès le début, il faudra concentrer le débat sur la nécessité de percevoir la neutralisation de la scène politique et sécuritaire du Liban comme étant une des pierres angulaires de la pacification régionale et internationale. Il est essentiel aussi de réaliser que la première des responsabilités à la réalisation de ce statut de neutralité, n’incombe pas à nos frères arabes ou à certains pays de la communauté internationale amis du Liban, mais à l’ensemble des Libanais résidents ainsi que ceux de la diaspora. Comme il est demandé à ces derniers d’assainir et de clarifier leurs liens d’appartenance au Liban, en œuvrant uniquement pour l’intérêt suprême du pays. Comme il est entendu que ces liens ne peuvent nullement passer à travers des intérêts étrangers. Finalement le fait de fermer la porte à ces douteuses interventions étrangères, doit représenter la marche inaugurale pour garantir le succès de cette procédure cruciale afin d’édifier un vrai Etat de Droit, comme aussi de lui assurer la pérennité.

(*) Directeur Exécutif du Civic Influence Hub (CIH)