"Dirigez vos attaques contre moi au sujet du communiqué sur l’Ukraine. J’ai une armure". C’est en ces termes que le ministre des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib a répondu à ceux qui ont critiqué la déclaration officielle du Liban au sujet de la guerre déclarée par Moscou contre l’Ukraine.

Le texte publié par le ministre des Affaires étrangères "condamnant l’invasion de l’Ukraine par les forces russes et appelant Moscou à cesser immédiatement les opérations militaires et à se retirer du territoire ukrainien" a mécontenté le tandem chiite qui a reproché à l’Exécutif de ne pas l’avoir consulté auparavant. Un des députés du Hezbollah, Hassan Fadlallah, devait ainsi fustiger le communiqué du Palais Bustros qui ne représente, selon lui, pas la position officielle libanaise. Ce qui n’est pas le cas bien entendu puisque le texte du communiqué a fait l’objet de consultations entre Baabda et le Sérail. Et cela, Amal et le Hezbollah le savent bien.

Pourquoi le Liban a-t-il choisi d’adopter ce ton très inhabituel pour un pays soucieux de maintenir de bonnes relations avec tous et qui, du moins officiellement, applique une politique de distanciation? De nombreuses lectures ont été données à ce sujet et le plus saisissant est qu’aussi bien celle qui est avancée par le tandem chiite que celle que l’opposition s’articule autour d’un lien présumé avec les négociations indirectes avec Israël au sujet des frontières maritimes sud.

Pour le duopole chiite, le président Michel Aoun aurait ainsi voulu adresser un message indirect aux États-Unis, dans le cadre d’efforts menés par son camp pour obtenir une levée des sanctions américaines à l’égard de son gendre, le chef du CPL Gebran Bassil. L’opposition y ajoute son grain de sel en situant le communiqué dans le prolongement du retrait de la note officielle – selon laquelle la zone qui s’étend entre les lignes 23 et 29 constitue une zone de litige – adressée par le Liban aux Nations unies, le 28 janvier 2022, du site officiel du département des Affaires maritimes et du droit de la mer pour se retrouver aux archives. A noter que la lettre est de nouveau sur le site de l’ONU. La finalité de cette manoeuvre pour l’opposition est également de parvenir à une levée des sanctions qui frappent Gebran Bassil. Une finalité que le secrétaire d’État adjoint pour les affaires du Proche-Orient David Schenker, n’avait ni infirmé ni confirmé dans son interview à Ici Beyrouth le 16 février, lorsqu’il avait déclaré avoir entendu parler d’un marché au sujet des frontières maritimes en contrepartie d’une levée des sanctions contre le chef du CPL, en précisant qu’il doutait que Washington l’accepterait.

D’autres, en revanche, lient la position libanaise aux négociations de Vienne sur le nucléaire iranien, parce qu’ils considèrent qu’il existe une corrélation entre les réunions à Vienne et l’évolution des pourparlers sur la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël. Cette vision des choses est d’ailleurs partagée par un responsable occidental. Citant un ambassadeur européen, un homme politique libanais rapporte que "la délimitation des frontières et Vienne sont deux dossiers interdépendants. Le revirement de la position du Liban au sujet de le ligne 29 n’a pas pour but de lever les sanctions sur Gebran Bassil. Elle répond plutôt à une demande iranienne dans la mesure où Téhéran veut s’en servir comme levier à Vienne pour marquer des points face aux États-Unis. Toujours selon cet ambassadeur, des responsables iraniens auraient aussi conseillé à M. Bassil de "s’activer et d’essayer de tirer profit de la situation".