Dictature de la majorité

Les détracteurs du projet fédéral s’imaginent un fédéralisme qui va singer un modèle de fédéralisme américain dit "géographique" totalement inadapté au Liban. Le fédéralisme géographique est au Liban tout aussi néfaste que la décentralisation administrative et pire encore que le système actuel. La tare première du fédéralisme géographique (et de la décentralisation administrative) étant de faire appliquer de manière indifférenciée sur des populations hétérogènes la dictature de la majorité locale ou régionale.

Le fédéralisme libanais ne peut se construire que de manière différenciée "à la Suisse". C’est le fédéralisme ethno-géographique (que le Liban a connu avec grand succès entre 1864 et 1915) qui prend ses racines dans le fameux principe d’Augsbourg de 1555: cuius regio, eius religio (tel prince, telle religion). Ce qui signifie que pour sortir des conflits confessionnels et religieux, pour assoir le sécularisme, pour promouvoir le développement, encore faut-il que gouverneurs et gouvernés soient de la même religion. Chose que la doxa dominante ne peut accepter. Cependant, la cohérence intellectuelle est à ce prix.

Civil, laïc et séculaire

La perle des arguments antifédéralistes réside dans l’opposition du fédéralisme ethno-géographique – perçu et imaginé comme sectaire et rétrograde – à un système alternatif aux contourx mal définis pour ne pas dire indéfinis, fantasmé comme "civil, laïc et séculaire". Ils supposent, à tort évidemment, que le système fédéral ethno-géographique n’est ni civil, ni séculaire, ni laïc.

Mais le ridicule est ailleurs. Ces phrases sont reprises en boucle sans que leur plus fervent supporter n’en comprenne le sens. En effet, les Constitutions libanaises successives depuis la chute du régime monarchique en 1842 et la fin du féodalisme en 1864 sont civils (non militaires), laïcs (non cléricaux) et séculaires (non théocratiques). Le système libanais actuel est civil, laïc et séculaire. Le partage du pouvoir entre communautés (identités, nations, millets) est un partage inclusif, une discrimination positive, pour associer les différentes nations/identités/millets au système et éviter précisément la tare congénitale associée à tout régime démocratique en milieu multiethnique: la dictature indifférenciée de la majorité.

Décentralisation administrative

S’agissant du projet de "décentralisation administrative", le pathétique débute à l’article 1 de ce projet qui insiste sans équivoque sur le fait que le Liban est et reste sous régime "centralisé". Le ridicule ne tue donc pas. Sans rentrer dans les détails, ce projet de décentralisation administrative présente les tares suivantes: d’abord (a) il propose un fond "centralisé" de décentralisation! Encore une perle. Ce fonds est financé par les "riches" en faveur des pauvres. Bien. Mais les "riches" sont au Liban, on le sait, non pas les plus fortunés, mais tout simplement ceux qui paient leurs impôts. D’où le transfert "spoliatif" des richesses de l’ordre de 25% du budget annuel de l’État ponctionné sur trois régions: Metn, Kesrouan et Beyrouth.

Ensuite, (b) la démocratie au niveau régional va permettre aux communautés majoritaires dans une région de dominer et à terme de chasser celles minoritaires. L’alternance y est impossible, car dépendante des changements démographiques. Enfin, (c) ce projet de loi prévoit une inégalité de traitement entre résidents municipaux et "autochtones". En effet, les "résidents originaires" d’une municipalité ont trois fois plus de poids électoral que les "résidents non originaires" de cette localité. Une hérésie constitutionnelle. Sans parler des problèmes de transfert de population, et des conséquences irréversibles sur des communautés millénaires.

La décentralisation administrative est donc prise entre deux feux. Réduite, elle ne sert à rien. Élargie, elle est fatale aux minorités locales (40% des ressortissants des diverses communautés en sont concernées). Voici donc qu’on nous présente une réforme qui, au mieux, ne sert à rien et au pire est fatale pour la mosaïque libanaise.

Les 10 commandements

La vraie solution au problème du Liban réside en l’adoption d’un nouveau contrat social basé sur les dix principes suivants:

1- Le Roman national: Le Liban est un pays multinational dans le sens où ses populations se reconnaissent de multiples " Romans Nationaux ". La diversité ethnoculturelle est donc la donnée sociologique première qui se matérialise ici par le terme "communauté". Au Liban, "communauté" équivaut à "identité" non pas à théologie ni à foi religieuse.

2- L’Autogestion: Selon le principe fondateur de l’Europe moderne, cuius region eius religio, et afin de permettre au sécularisme de se développer, à la bonne gouvernance de s’imposer et à la responsabilisation de s’appliquer, gouverneurs et gouvernés se doivent d’être de la même "communauté".

3- La Subsidiarité et le localisme: principe par lequel l’autorité est dévolue du plus bas échelon vers le plus haut. C’est donc à partir de la municipalité que se construit le système politique. C’est à elle de déterminer (par vote) à quel ensemble de souveraineté cantonale elle souhaite appartenir. La municipalité devra, de même, déterminer l’étendue des pouvoirs qui sont transférés en vue de l’accomplissement du "bien public".

4- La Solidarité: Avec la subsidiarité vient la responsabilité. Toute communauté humaine organisée et libre (la municipalité) doit être responsable. Ces devoirs sont proportionnels à ses droits. Plus elle est libre plus elle doit être solidaire. Le développement humain se doit donc d’être partagé.

5- La Souveraineté cantonale: Les élections législatives se font au niveau du canton. Il n’y a pas d’élections législatives fédérales. Les conflits sont tranchés en ultime recours au niveau cantonal.

6- La Structure: Le modèle est à trois niveaux fixes: Municipal, Cantonal et Fédéral. Le modèle permet des regroupements d’ensembles à "géométrie variable" (des regroupements de municipalités) afin de trouver, au cas par cas, l’optimalité économique et la "taille critique" nécessaire permettant la faisabilité et la viabilité des projets d’infrastructure.

7- La gouvernance fédérale: toutes les autorités fédérales sont construites sur le principe du "conseil de décision" où siège chaque canton en y déléguant un représentant. Les décisions y sont systématiquement prises à l’unanimité.

8- La démocratie directe: les résidents municipaux, les citoyens cantonaux, et les nationaux peuvent se saisir de tout sujet et/ou de toute décision afin de la soumettre à une décision ultime par referendum à initiative populaire.

9- La Feuille de route: Le projet fédéral doit être formaté de manière inclusive et non pas exclusive. C’est seulement s’il est adopté par les différentes "communautés/nations" libanaises qu’il pourra devenir une réalité.

10- La mise en place: Les Libanais seront appelés au vote au niveau municipal (municipalité par municipalité) afin de s’exprimer librement de leur volonté d’appartenance cantonale.

Les dix principes énoncés plus haut sont un archipel de pensée politique, un monde de cohérence intellectuelle qui s’articule autour de dix principes difficilement discutables tant leur portée est universelle et leur validation ancrée dans la réalité sociologique du Liban. De ces dix principes découle un cadre constitutionnel cohérent qui épouse le vécu multiséculaire libanais et son tissu social imbriqué.