La crise ukrainienne, qui pousse des milliers de réfugiés ukrainiens à se ruer vers l’Europe, s’invite dans le dossier des réfugiés syriens au Liban, gelé depuis plus de deux ans pour différentes considérations, et le ramène à la case départ, et ce, en dépit des récentes tentatives de relance du dossier par le ministre des Déplacés, Issam Charafeddine, à l’issue de sa visite en Syrie, alors que ce dossier est placé sous l’égide de son ministère depuis belle lurette.

L’esclandre qui a eu lieu jeudi dernier, lors de la réunion du Conseil des ministres qui se tenait au palais de Baabda, ne s’est pas limité à l’objection du ministre Charafeddine et à son départ de la réunion en signe de protestation contre son empêchement de poursuivre son exposé sur l’étude préparée pour relancer le dossier de retour des réfugiés. Il s’est avéré que le fond du problème n’est autre qu’une question de prérogatives entre le ministère des Déplacés et celui des Affaires sociales, lequel considère avoir la charge de ce dossier au motif de l’approbation du gouvernement, en 2020, du plan de retour des réfugiés syriens et du placement de ce dossier sous sa tutelle exclusive, notamment dans le cadre du Plan de réponse à la crise syrienne. Depuis, ce dossier n’a pas progressé d’un iota. Pour le superviseur général adjoint pour ce Plan de réponse, le Dr. Ola Boutros, ce surplace est dû à la crise de la COVID-19, à la fermeture des frontières, à l’explosion du port de Beyrouth et à "l’absence d’une réelle volonté internationale pour encourager le retour des réfugiés en l’absence d’une solution politique en Syrie". Dr. Boutros souligne à Ici Beyrouth que, "lorsque ce Plan a été adopté en juillet 2020, la présidence de la République avait commencé à mettre en place le mécanisme du retour par le biais d’ateliers de travail  s’étalant sur deux jours, le premier jour étant dédié aux ministères concernés et le deuxième à la collaboration avec les agences des Nations unies, la communauté internationale qui finance et la Ligue arabe. Mais la conférence a été annulée suite à l’explosion du 4 août". En outre, Boutros estime que "la crise des réfugiés ukrainiens et leur ruée vers l’Europe poussera les bailleurs de fonds à concentrer leurs efforts sur l’aide humanitaire envers les Ukrainiens, devenus une priorité à l’heure actuelle, malgré le fait que la crise des réfugiés syriens reste la plus importante de l’histoire moderne".

En dépit du mandat délivré au ministère de l’Intérieur, en 2021, pour procéder à un recensement officiel des Syriens déplacés en précisant leur nombre et leur répartition dans les régions et villes libanaises, ainsi que les villages d’où ils ont été déplacés, en vue de leur remettre des cartes qui permettront de les identifier, ce processus n’a pas été achevé à ce jour. Le Dr. Assem Abi Ali, ancien superviseur pour le Plan de réponse à la crise syrienne, qui suit de près le dossier des réfugiés, indique pour sa part que le ministère de l’Intérieur a simplement avancé des chiffres sur le nombre global des réfugiés, soit un million deux cent mille, alors qu’on s’attendait à avoir bien d’autres détails qui auraient permis de relancer le dossier de retour des réfugiés syriens, d’autant plus que la partie syrienne exige toujours de préciser la région dont sont issus les réfugiés afin de faciliter leur accueil une fois que les conditions de subsistance, pour un nombre donné dans une zone donnée, sont réunies. Au cours de son entretien avec Ici Beyrouth, M. Abou Ali a considéré que "le dossier du retour des réfugiés syriens est gelé à l’heure actuelle en raison de l’absence d’une volonté politique nationale libanaise de se rapprocher de la partie syrienne qui montre sa disposition à coopérer", et insiste sur l’importance d’avoir une approche humanitaire et non politique de la question, notamment avec la présence de 5.000 camps de fortune, dispersés à travers le Liban, qui accueillent 350.000 réfugiés syriens dans des conditions particulièrement difficiles.

Le ministre des Déplacés, qui avait visité la Syrie le mois dernier, a évoqué un certain nombre de mesures prises par le gouvernement syrien pour faciliter le retour des réfugiés. On compte parmi ces mesures, les décrets d’amnistie, le report du service militaire, l’enregistrement des nouvelles naissances, la mise en place de services de transport et de soins médicaux, le soutien aux projets, la résolution des problèmes des déplacés illégaux et la régularisation de leur situation, la sécurisation des foyers collectifs, l’indemnisation des maisons détruites, la distribution d’un panier pour le logement en coopération avec les Nations unies et les organisations internationales, la réhabilitation des centres de santé et des routes, le déblaiement etc. Cependant, le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, Rami Abdel Rahman, estime que le régime syrien ne souhaite pas vraiment le retour des réfugiés "parce qu’ils constitueront un nouvel obstacle à la consolidation de son front intérieur à l’aune de la détérioration de la situation économique" et assure à Ici Beyrouth "qu’on peut même parler d’un mouvement inverse visant à faciliter les départs des zones contrôlées par le régime en raison des conditions économiques difficiles sous lesquelles elles ploient".

Selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui répertorie 839788 réfugiés syriens enregistrés au Liban, un peu plus de 71000 sont retournés en Syrie depuis 2016. En 2021, le HCR a pu vérifier le retour de 3609 réfugiés chez eux, sans compter les opérations de relocalisation de réfugiés syriens dans des pays d’accueil. C’est d’ailleurs ce que souhaite la majorité des réfugiés qui estiment que le Liban et la Syrie se disputent la palme des pays où les conditions économiques et financières sont les plus difficiles.

Toujours selon le HCR, 8.100 réfugiés ont été relocalisés dans différents pays d’accueil, dont environ 6000 en 2021.