Indépendamment de ce qu’ils pensent l’un de l’autre, le Hezbollah pro-iranien et le Courant patriotique libre (CPL) sont partis pour rester ensemble aussi longtemps que leurs intérêts réciproques le commandent. Isolés et décriés au plan local, boudés ou sanctionnés au plan international, le premier parce qu’il figure sur plusieurs listes internationales des organisations terroristes et le deuxième en raison de son alliance avec la formation pro-iranienne et de son implication dans la gestion désastreuse des affaires publiques, le Hezbollah et le CPL ne peuvent compter que sur l’union de leurs forces afin de constituer un front commun face aux changements qui se dessinent aussi bien dans la région que dans le monde.

La formation pro-iranienne a plus que jamais besoin de la couverture chrétienne et officielle que lui assure le camp présidentiel dont fait partie le CPL, comme le montrent les propos tenus par Michel Aoun mardi dans le cadre d’une interview qu’il a accordée au quotidien italien La Repubblica, à l’occasion de sa visite au Vatican. Le chef de l’État a défendu le Hezbollah et ses armes, développant une version des faits édulcorée concernant le rôle politique et militaire de cette formation, pendant qu’au Caire, le patriarche maronite Béchara Raï plaidait de nouveau pour la neutralité du Liban, à cause des problèmes et des difficultés dans lesquels le Hezbollah a entraîné le pays en raison de sa politique et de ses équipées régionales.

Le discours du chef de l’État s’inscrit cependant dans la logique de la stratégie suivie par son camp pour garantir son maintien au pouvoir et son ancrage dans l’État. La campagne menée par la procureure générale près la cour d’appel Ghada Aoun contre le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et le secteur bancaire fait partie de cette stratégie qui ne peut cependant réussir qu’avec le concours du Hezbollah, qui lui apporte une couverture discrète.

Le comportement électoral du camp présidentiel est un autre exemple de cette stratégie: pour atteindre ses objectifs de maintien au pouvoir, le parti du chef de l’État a sans hésiter pris le contrepied de principes qu’il défendait. Le CPL, qui avait mené bataille pour l’adoption en 2017 d’une nouvelle loi électorale qui corrige la représentation chrétienne à la Chambre en permettant aux chrétiens d’élire eux-mêmes leurs députés chrétiens, a aujourd’hui besoin des voix chiites pour avoir un groupe décent au Parlement.

Idem pour le Hezbollah. Il a besoin que son allié et garant chrétien de sa politique ait une présence quantitative décente à la Chambre pour qu’ils puissent à eux deux constituer, avec le mouvement Amal et les partis gravitant dans l’orbite syrienne, un bloc de taille pouvant imposer leurs choix. Un tel groupe s’avère essentiel surtout pour le CPL, à quelques mois de l’échéance présidentielle prévue en octobre prochain, après le repli du Courant du Futur et la fragmentation des forces du 14 Mars.

Michel Aoun caresse toujours le rêve de voir son gendre, Gebrane Bassil, lui succéder à la tête de l’État au moment où le Hezbollah, qui a toujours maintenu le flou quant à son candidat éventuel à la présidence, est soucieux de préserver la majorité parlementaire alors que des changements majeurs semblent sur le point d’intervenir dans la région. Parallèlement, la formation pro-iranienne considère qu’elle a tout à gagner des efforts acharnés menés par le sexennat pour se renflouer et renflouer Gebran Bassil qui, à l’approche du scrutin, a lancé une campagne de dénigrement soutenue contre ses adversaires politiques les accusant de faire partie du système politique à l’origine de la faillite de l’État. En omettant cependant un point fondamental: il a fait partie de ce même système qu’il dénigre et qui n’a pas été en mesure de lancer les réformes exigées du Liban depuis le début des années 2000, alors qu’il a participé depuis 2011 et jusqu’au soulèvement du 17 octobre 2019 aux gouvernements successifs.

Aujourd’hui, Gebran Bassil fait du dossier des réformes (qu’il avait ironiquement contribué à court-circuiter (dossier de l’électricité notamment) le cheval de bataille de sa campagne électorale. Celle du Hezbollah tourne autour de la lutte contre la corruption et l’hégémonie américaine.

Compte-tenu de sa dimension populiste dans un pays en faillite, la chasse aux sorcières lancée contre le secteur bancaire, sert les deux alliés. Gebran Bassil joue à la victime "qu’on a empêché de lancer des réformes", tandis que le Hezbollah attribue la faillite du pays, selon ses milieux, à "l’appareil politique qui a monopolisé le dossier économique et financier depuis que l’ancien Premier ministre (assassiné) Rafic Hariri a nommé en 1992 Riad Salamé à la tête de la Banque centrale". Dans ses milieux, on accuse les banques d’être "à la solde des États-Unis".

Dans les milieux souverainistes, on redoute que l’objectif de cette campagne ne soit de mettre la main sur les réserves en devises et en or de la Banque du Liban et d’étendre ainsi l’hégémonie du Hezbollah à toutes les institutions de l’État qui sera sous l’emprise entière de l’Iran, politiquement et financièrement, au moment où un accord sur le nucléaire entre Téhéran et Washington semble sur le point d’être conclu. Pour illustrer ces craintes, on cite dans ces mêmes milieux une déclaration récente du chef du groupe parlementaire du Hezbollah Mohammad Raad. Ce dernier s’était vanté lors d’un meeting oratoire au Liban-Sud que "toutes les institutions américaines au Liban ont été détruites pendant qu’elles essayaient de détruire celles du Hezbollah", en allusion aux banques.