Le coup de gueule du Premier ministre Nagib Mikati mardi, au terme d’une réunion des commissions parlementaires qui avaient rejeté un projet de loi sur le contrôle des capitaux, continue de faire couler de l’encre.

A tort, d’aucuns l’attribuent aux critiques virulentes des présidents des deux commissions des Finances et du Budget, Ibrahim Kanaan, et de l’Administration et de la Justice, Georges Adwane, contre le texte de loi et les propositions de règlement du gouvernement à la crise financière. En réalité, l’explosion de colère de Nagib Mikati qui a dénoncé "un populisme" galopant et "une exploitation électorale" de dossiers vitaux se justifie par le fait que le pouvoir et l’opposition conjuguent involontairement leurs efforts pour empêcher son équipe de mener à bien sa politique de redressement. C’est du moins l’explication qui est donnée dans l’entourage du chef du gouvernement où l’on énumère de façon exhaustive tous les crocs-en-jambe qui l’empêchent d’avancer.

Pour résumer, rien ne marche dans le pays qui a désespérément besoin d’un plan solide pour lui éviter de sombrer au plus profond de l’abîme dans lequel l’amateurisme et l’irresponsabilité de la classe gouvernante l’ont plongé. Deux ans après la crise existentielle qui frappe le Liban, aucun plan économique et de réformes, notamment du secteur de l’électricité, n’a été mis en œuvre. L’acheminent de courant et du gaz de l’Égypte et de la Jordanie se fait toujours attendre et les pourparlers indirects avec Israël pour la délimitation des frontières maritimes sud piétinent. En revanche, le débat rhétorique autour des ébauches de plan est d’une richesse qui détonne effroyablement avec le vide abyssal au niveau des actions concrètes, alors que le Liban n’a plus le luxe du temps. Ce ne sont surtout pas les promesses électorales creuses, formulées par ceux qui tiennent aujourd’hui les rênes du pouvoir dans le pays qui vont cacher cette réalité ou masquer leur incapacité à proposer des solutions viables.

Selon ses proches, Nagib Mikati se sent combattu aussi bien par l’opposition qui critique en permanence l’action de son gouvernement que par le mandat qui désapprouve celle-ci.

Le régime, souligne-t-on, est hostile au plan de redressement proposé par le gouvernement Mikati qu’il a combattu dès le départ et plaide pour l’adoption d’une version embellie de celui qui avait été élaboré par l’équipe de l’ancien Premier Hassane Diab. Cette hostilité a culminé avec la transmission du projet de loi sur le contrôle des capitaux la semaine dernière au Parlement, où il avait été rejeté par les deux principales commissions de la Chambre, avant qu’il ne soit amendé mercredi en Conseil des ministres.

Le CPL avait accusé le Premier ministre d’être lui-même à l’origine de ce texte, estimant qu’il avait  supervisé son élaboration par le ministre des Finances, le gouverneur de la Banque du Liban et l’Association des Banques, avant que le vice-Premier ministre Saadé al-Chami ne le révise. Pour le parti fondé par le chef de l’État, ce projet de loi vise à protéger les banques et non les déposants et légaliserait l’interdiction à ces derniers d’intenter des actions en justice au Liban et à l’étranger contre les banques afin de réclamer leurs avoirs. Un autre argument avancé par les aounistes est que ce texte freinerait la guerre menée par la justice contre le secteur bancaire qu’elle protégerait.

Or le camp présidentiel auquel le CPL appartient ne veut pas qu’un terme soit mis à cette guerre, dont il sait qu’il peut tirer profit politiquement, notamment pour essayer de redorer son image ternie par l’échec de ses politiques, quitte à provoquer l’effondrement du secteur bancaire avec les résultats qu’on peut deviner, au double plan financier et social.

A plusieurs reprises Nagib Mikati a essayé de réorienter le débat vers les dossiers sous examen, en essayant de les soustraire aux surenchères politiciennes, et de mettre en garde dans le même temps contre le danger des dérives judiciaires. Peine perdue. "Cela ne peut plus continuer. Je ne peux plus continuer", répétait-il dans ses cercles privés.

Il redoutait principalement que la chasse aux sorcières contre les banques n’aboutisse à un report des élections si jamais les banques sont acculées à fermer et si les déposants descendent dans la rue, et que le retard injustifié dans l’adoption d’un plan de redressement ne compromette les négociations du Liban avec le FMI.

Le chef du gouvernement a répercuté ses craintes à plusieurs reprises devant le chef de l’État, en insistant sur la nécessité de geler les dossiers conflictuels jusqu’à après les élections du 15 mai pour que l’échéance électorale puisse se tenir et pour que les pourparlers avec le FMI puissent avancer. Peine perdue. Sauf que lorsque la guerre contre les banques a commencé à prendre une dimension qui menaçait du pire, avec la mise sous scellés de certains établissements bancaires et l’arrestation de Raja Salamé, le frère du gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé, ciblé par le camp aouniste, il est sorti de son silence pour dénoncer des abus dangereux et prendre position franchement contre le camp présidentiel.

Dans un souci de calmer le jeu, une entente politique se serait dégagée afin d’éviter au pays une nouvelle secousse, mais la trêve qui s’est manifestée par un rééquilibrage, même de forme, d’une procédure judiciaire débridée et abusive ne devait pas durer. Le rejet du projet de loi sur le contrôle des capitaux devait de nouveau mettre le feu aux poudres. De guerre lasse, Nagib Mikati a explosé et exigé au Parlement un vote de confiance. Question de mettre toutes les parties devant leurs responsabilités.