Alors qu’en dehors de la Chine – l’ampleur des exécutions étant inconnue – l’Iran est déjà le pays ayant le plus recours à la peine capitale dans le monde, le régime entend utiliser la peine de mort pour étouffer le mouvement de contestation. Des ONG dénoncent cette stratégie de la peur, déjà employée lors des grandes purges des années 1980 au lendemain de l’instauration de la République islamique.

La justice a déjà prononcé six condamnations à mort depuis le début des manifestations liées à la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, une Kurde de 22 ans arrêtée pour infraction au code vestimentaire. Ce nombre devrait augmenter puisque, selon Amnesty International, au moins 21 personnes sont actuellement jugées pour des crimes passibles de la pendaison.

 

" Simulacres de procès "
(Twitter Masih Alinejad)

 

L’Iran est le pays qui exécute le plus au monde en dehors de la Chine, selon les groupes de défense des droits humains. Au moins 314 personnes y ont été mises à mort en 2021 d’après l’ONG, tandis que le groupe Iran Human Rights (IHR), basé en Norvège, fait état de plus de 482 exécutions cette année.

Pour Amnesty, les " simulacres de procès " organisés ces dernières semaines par les autorités sont " destinés à intimider ceux qui participent au soulèvement populaire et à dissuader d’autres personnes de rejoindre le mouvement ". Cette stratégie vise à " instiller la peur au sein de la population ", ajoute l’organisation, qui fustige " une escalade effrayante dans l’utilisation de la peine de mort comme outil de répression politique ".

" Corruption sur terre "
(Agence MEHR)

 

 

Les tribunaux iraniens ont jugé les six condamnés à mort coupables d’être des " ennemis de Dieu " (" mohareb " en persan) " ou de " corruption sur terre " (" efsad-e fel arz "), selon l’agence de l’Autorité judiciaire Mizan Online. Selon Amnesty, parmi eux figure Mohammad Ghobadlou, un jeune homme dont la mère est apparue sur les réseaux sociaux en plaidant avec émotion pour la vie de son fils.

Dans la liste des 21 personnes menacées d’être condamnées à la peine capitale figurent Farzaneh Ghare-Hasanlou et son mari, Hamid, un médecin, selon Amnesty. De même que Saman Seydi, alias Saman Yasin, un rappeur téhéranais de la minorité kurde, qui a soutenu la contestation sur les réseaux sociaux et est accusé d’avoir tiré en l’air.

" Exécutions de masse "

Les ONG s’inquiètent de la proportion particulièrement forte de membres des minorités ethniques, comme les Kurdes ou les Baloutches du sud-est du pays, parmi les condamnés à mort. Dans ce contexte tendu, les groupes de défense des droits humains exhortent la communauté internationale à lancer une action commune pour tenter de convaincre le régime iranien de stopper les exécutions.

Le sujet devrait être abordé au cours d’une rare session sur l’Iran au Conseil sur les droits humains de l’ONU jeudi. " À moins que la communauté internationale n’envoie un message très, très fort, à la République islamique, nous allons faire face à des exécutions de masse ", a averti le directeur de l’IHR, Mahmood Amiry-Moghaddam, au Congrès mondial contre la peine de mort à Berlin.

 

" Le diable n’existe pas "

Il a mis en avant non seulement les exécutions politiques, mais aussi " celles ayant un moindre poids politique, surtout liées au trafic de drogue ". Face à cette recrudescence des pendaisons, la mobilisation contre la peine de mort s’est amplifiée depuis un an en Iran comme à l’étranger, notamment sur les réseaux sociaux avec le mot-clé #edam_nakon (" n’exécutez pas " en persan), devenu viral.

Parmi les Iraniens croupissant dans les geôles, figure le réalisateur Mohammad Rasoulof, dont le film sur la peine de mort " Le diable n’existe pas " a obtenu l’Ours d’Or au festival de Berlin en 2020. Il a été arrêté avant le début de la contestation. " La République islamique a utilisé la peine capitale pour consolider le mur de la peur depuis 43 ans ", et la révolution islamique de 1979, souligne Mahmood Amiry-Moghaddam. " Les manifestations actuelles ont abattu ce mur, mais les autorités tentent de le reconstruire avec la répression et les condamnations à mort. "

Maxime Pluvinet avec AFP