Le 27 mars 2021, l’Iran et la Chine signaient un accord stratégique, donnant le coup d’envoi à une coopération renforcée sur 25 ans. Censé remettre sur les rails l’économie iranienne, il est dénoncé au sein de la population iranienne, qui y voit en sous-main la vente au rabais du pays par les mollahs.

Le président chinois Xi Jinping et son homologue iranien (de l’époque) Hassan Rouhani lors d’une rencontre à Téhéran en 2016.

 

Ce " pacte de coopération stratégique " est entré pleinement en vigueur en janvier 2022. Il recouvre de nombreux domaines, notamment politique, diplomatique, sécuritaire, et surtout économique. S’il a été théoriquement conclu dans l’intérêt des deux parties, les quelques détails ayant pu filtrer laissent penser que les intérêts du peuple iranien en seront largement exclus.

Pourquoi cet accord ?

En raison des sanctions occidentales, spécialement américaines, motivées par le programme nucléaire et la situation des droits humains, l’Iran est de plus en plus isolé sur la scène internationale. La République islamique traverse par conséquent l’une des pires crises économiques de son histoire, une crise exacerbée par la pandémie de Covid-19.

L’Iran et la Chine ont conclu en mars 2021 un accord de coopération stratégique et commerciale sur 25 ans en discussion depuis plusieurs années. Le " pacte " a été signé par le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, et son homologue chinois, Wang Yi, en visite à Téhéran.

 

Inflation galopante, (52% en août 2022), forte dépréciation de la monnaie nationale, qui a perdu 500% de sa valeur, fuite des cerveaux, creusement des inégalités sociales… des facteurs qui ne font qu’aggraver le marasme économique. Par ailleurs, le régime peine à exporter ses ressources en hydrocarbures, principales sources de devises et pilier de l’économie nationale.

" L’Iran a besoin de partenaires. Le choix de se tourner vers la Chine est un choix de politique actuelle motivé par l’impossibilité de commercer avec les Occidentaux ", relève Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’Iran.

Cette nécessité de trouver un débouché pour sa production pétrolière et gazière va venir épouser des besoins énergétiques chinois grandissants. À cela s’ajoute le besoin d’écouler les produits manufacturés par les usines chinoises sur le marché iranien.

Sur le plan stratégique, l’accord s’inscrit dans le prolongement des " nouvelles routes de la soie ": développer les infrastructures de transport iraniennes faciliterait une liaison terrestre allant du Xinjiang à Istanbul, en passant par Samarcande et Téhéran. Enfin, il offre à Pékin la possibilité de renforcer sa stature au Moyen-Orient, dans un contexte de rivalité exacerbée avec Washington.

Que prévoit l’accord?

Concrètement, les spécificités de ce pacte restent floues, aucun document officiel n’ayant filtré jusqu’à ce jour. On sait toutefois qu’il implique des investissements directs à l’étranger (IDE) chinois à hauteur de 400 milliards de dollars sur 25 ans. Seraient notamment concernés, outre les infrastructures de transport, l’industrie pétrochimique, l’extraction de minerai, la construction, les télécommunications et la cybersécurité. En outre, ces IDE doivent être facilités par la mise en place d’un accord de libre-échange entre les deux pays.

Dans les faits, tous ces domaines voyaient déjà arriver des investissements chinois sans cesse croissants. L’innovation réside dans la promesse de montants sans précédent, ainsi que dans la contrepartie iranienne, qui promet à la Chine d’y exporter ses hydrocarbures à des prix particulièrement bas.

Un pétrolier décharge sa cargaison de brut dans le port chinois de Qingdao.

 

Selon Homayoun Falakshahi, spécialiste du secteur pétrolier et enseignant à Sciences Po Grenoble, "on estime la ristourne aux alentours de 15-20$ par baril actuellement. L’accord prévoit probablement une augmentation des flux entre les deux pays (autour de 800.000 barils par jour cette année) vers le million de barils par jour, en échange d’un maintien d’une remise plus importante pour les acheteurs chinois ".

Pourquoi l’accord est déséquilibré?

L’accord est présenté comme " gagnant-gagnant " par les responsables politiques iraniens, à grands renforts de communication. Ceux-ci mettent en avant une porte de sortie de crise et un moyen d’échapper aux sanctions américaines. Mais en l’état actuel, le " pacte de coopération " favorise très clairement la Chine.

Que peut faire l’Iran face à la géante machine exportatrice chinoise?

 

Au niveau commercial, d’abord: le déséquilibre de la balance commerciale risque de se creuser entre des hydrocarbures échangés au rabais contre des produits manufacturés en Chine. Il s’agit de fait d’une forme de troc, au lieu de transactions financières, dont le véritable objectif consiste surtout à assurer l’approvisionnement de l’Empire du Milieu en énergie. Par ailleurs, les produits chinois, dont les coûts de production sont particulièrement bas, viennent concurrencer ceux d’un marché local déjà fortement fragilisé par les sanctions américaines.

Une inflation galopante a fini par déprécier fortement la monnaie iranienne.

 

Cette asymétrie pourrait devenir encore plus criante si les investissements chinois prenaient modèle sur ceux effectués en Afrique et au Sri Lanka: les compagnies chinoises mandatées y emmenaient leurs employés, rendant ainsi les retombées en termes d’emploi négligeables au sein des pays hôtes. De plus, ces investissements s’accompagnent souvent de prêts à taux d’intérêt exorbitants. Si les pays récipiendaires se trouvent en situation de défaut de paiement, ils se voient forcés de céder une partie de leurs infrastructures aux créanciers chinois: il en résulte donc une perte de souveraineté, comme ce fut récemment le cas au Sri Lanka.

Ce danger pourrait-il menacer désormais l’Iran? " On n’en est pas là " tempère B. Hourcade. " Le régime actuel reste très nationaliste et très soucieux " de défendre l’économie nationale, " même s’il se déclare islamique. Les investissements restent encore limités, à l’heure actuelle, et nous ne disposons pas encore d’informations dans ce sens", poursuit-il.

Des milliers de véhicules destinés à l’exportation dans le port chinois de Tanyan.

 

" Il apparaît logique que Téhéran soit prêt à faire des concessions importantes, comme les remises sur le prix du pétrole ", commente M. Falakshahi. " Le régime n’a en réalité pas vraiment le choix et doit miser sur sa seule source de revenus extérieurs pour sa survie. A terme, si le régime se maintient, il est fort à parier que nous verrons des concessions importantes signées avec des entreprises chinoises, comparables à celles que nous avons vues en Afrique et au Sri Lanka. " Le risque semble donc faible à ce stade de l’accord, mais reste une hypothèse envisageable si l’Iran s’enfonçait davantage dans la crise.

Une diplomatie tous azimuts: l’Iran a conclu également en 2022 un accord de partenariat avec la Russie et la Turquie. (AFP)

 

Par ailleurs, les inquiétudes au sein de la population concernant le risque de perte de souveraineté sont exacerbées par le volet sécuritaire de l’accord. Celui-ci autoriserait le déploiement de forces de sécurité chinoises pour défendre les nouvelles infrastructures construites sur le territoire iranien. La Constitution iranienne, à travers l’article 146, prohibe pourtant le déploiement de forces étrangères sur le territoire national. " Ce n’est pas à l’ordre du jour ", considère B. Hourcade, jugeant l’hypothèse hautement improbable même à l’avenir. Encore une fois, c’est le nationalisme imprégnant profondément la société iranienne dans son ensemble qui justifie cela: passer outre l’article 146 constitue ainsi une ligne rouge, y compris pour le régime.

Qu’implique-t-il pour les Iraniens?
Le Guide suprême de la révolution islamique Ali Khamenei.

 

C’est ce nationalisme qui explique les réactions accusant la République islamique de " vendre les joyaux de la couronne " à la Chine, selon H. Falakshahi. Nombreux sont ceux dénonçant ce qu’ils considèrent finalement être plutôt une hypothèque d’au moins une partie du pays par l’élite au pouvoir, qu’une tentative de sortir l’Iran de son marasme économique. Est-ce le cas en l’état actuel des choses? " Ces accusations sont souvent exagérées et une partie de la réalité est tronquée par les groupes d’opposition situés à l’extérieur du pays " répond H. Falakshahi. Et à B. Hourcade d’ajouter que " La Chine ne veut pas faire de l’Iran son vassal ".

Le président iranien Ebrahim Raïssi.

 

En revanche, si le risque d’une vente des richesses iraniennes au rabais est écarté pour l’instant, l’accord stratégique est surtout destiné à permettre au régime actuel de se maintenir au pouvoir. Un exemple particulièrement prégnant réside dans les investissements de la compagnie chinoise de télécoms ZTE qui, selon Reuters, déploie un puissant système de surveillance pour le compte du régime. Ce système est capable d’analyser les communications téléphoniques et internet, afin de pouvoir contrôler la population. Le dispositif serait même déjà utilisé pour contrer la contestation sans précédent en cours dans la République Islamique, l’encourageant à accélérer le processus. Le régime des mollahs prend donc, grâce à cet accord, une trajectoire véritablement orwellienne.

 

Le président chinois Xi Jinping lors d’un défilé militaire à Pékin: le partenariat entre les deux régimes totalitaires iraniens et chinois ne profitera point aux peuples des deux pays.

 

Le grand perdant dans ce nouvel accord est en conséquence la population iranienne. Elle sera la première à en subir les répercussions économiques, et il est peu probable qu’elle en voie les bénéfices. Dans les faits, le pacte stratégique entre l’Iran et la Chine constitue une preuve supplémentaire de la situation de faiblesse dans laquelle se trouve le régime à l’heure actuelle, notamment en raison des sanctions occidentales. Celui-ci est désormais forcé de s’appuyer sur une assistance étrangère pour se maintenir au pouvoir et sécuriser son avenir; toutefois, ceci pourrait s’avérer insuffisant au vu des derniers développements.