Une série de coups d’État en cascade a eu lieu ces derniers mois dans plusieurs pays africains. À cela s’ajoute des tensions grandissantes entre la junte malienne, la France et la Cédéao. Ici Beyrouth a effectué un tour d’horizon des derniers développements avec Saidik Abba, analyste politique.

Après l’éviction forcée des forces danoises de la force européenne " Takuba " (sous commandement français), la junte au pouvoir au Mali a donné soixante-douze heures à l’ambassadeur de France pour quitter le territoire malien. " Des mesures irresponsables ", selon le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui a dénoncé la " confiscation inacceptable " du pouvoir par la junte malienne, aidée des paramilitaires russes du groupe Wagner.

Depuis le coup d’État du 24 mai 2021, le Mali vit sous le joug d’un régime militaire dirigé par le nouvel homme fort du pays, Assimi Goïta. Contre toute attente, la junte proroge son mandat pour les cinq ans à venir, en dépit des promesses d’élections qui devaient avoir lieu en ce mois de février. Placé sous un régime de sanctions financières par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le Mali s’enfonce peu à peu dans une crise sans issue, en s’isolant de ses partenaires habituels.

Engagés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, les quelque 4000 militaires français pourraient devoir plier bagage si la junte accentue ses pressions. Paris s’est donné deux semaines pour faire le point avec ses partenaires européens. " Les pays prendront dans les 14 prochains jours une décision sur ce à quoi devrait ressembler le futur de la lutte contre le terrorisme au Sahel ", avait déclaré vendredi la ministre danoise de la Défense Trine Bramsen, alors que " Takuba " est aujourd’hui dépendant du bon vouloir de Bamako pour exister.

Les relations bilatérales n’ont cessé de se détériorer depuis que des colonels ont pris par la force en août 2020 la tête du Mali, plongé depuis 2012 dans une profonde crise sécuritaire et politique. Peu pressés de rendre le pouvoir aux civils, les putschistes sont entrés ces derniers mois en résistance contre une grande partie de la communauté internationale, dont les voisins du Mali, et soufflent sur les braises d’un sentiment antifrançais régional latent.

En expulsant l’ambassadeur de France et les troupes danoises, quel est le but de la junte au pouvoir ?

Saidik Abba : Le bras de fer entre la junte et la France a commencé en juin 2021, lorsque le président Macron a annoncé la suppression pure et simple de l’opération Barkhane, ce qui a froissé les autorités maliennes. Le Premier ministre malien avait même parlé d’un " abandon " devant la tribune des Nations unies. Suite à cela, les autorités se sont tourné vers la Russie. Dans les négociations, il y a eu une incompréhension qui est montée crescendo : les Maliens annoncent une collaboration avec la Russie, la France soupçonne un engagement à grande échelle des paramilitaires russes de Wagner.

Ensuite, il y a eu la force Takuba : le Mali estime que le déploiement des Danois n’a pas obéi à un processus régulier. La France souligne qu’en vertu d’un accord passé avec le régime antérieur (avant le Coup d’État), ce déploiement est justifié. En octobre dernier, l’ambassadeur de France avait déjà été convoqué à Bamako, suite aux propos du président Macron. Donc la tension diplomatique est montée crescendo, jusqu’à l’expulsion de l’ambassadeur du Mali.

Pour Bamako, refuser les troupes danoises procède de leur réaffirmation de leur souveraineté ; ils estiment que certaines décisions prises par leurs partenaires étaient contraires à leurs positions. On ne sait pas jusqu’où peut aller cet imbroglio, l’opération Barkhane pourrait être en danger.

Il y a aussi la question de la durée de la transition. Le gouvernement actuel propose une transition de 4 ans, refusée par la Cédéao et la France. Les propos de Jean-Yves Le Drian, qualifiant la junte " d’illégitime " et " d’irresponsable " n’ont pas arrangé les choses. Nous nous dirigerons vers de nouvelles négociations entre la junte et la Cédéao pour trouver une date acceptable pour la tenue des élections. Aujourd’hui, il y a un espoir de médiation de l’Algérie, qui a de bonnes relations avec la junte malienne et la Cédéao. Le sommet de l’Union africaine de ce week-end, présidé par le Sénégal pourrait aborder le dossier malien.

Quels scénarii sont envisagés par les puissances européennes concernant notamment le combat contre le terrorisme au Mali ?

La France et l’UE avaient affirmé que, s’il était prouvé que la force Wagner était déployée au Mali, ils en tireraient des conséquences. Ce discours a évolué vers le pragmatisme. Il ne faut pas oublier que le terrorisme en Afrique de l’Ouest est originaire du Mali. Ce terrorisme s’est exporté au Niger et au Burkina depuis le Mali. On ne peut pas gagner cette guerre sans le Mali. Les pays de l’UE cherchent à poursuivre leurs opérations.

Actuellement, la force Wagner est présente au centre du Mali, elle pourrait continuer à y opérer tandis que les forces de l’UE resteraient dans la zone des trois frontières, communes au Mali, au Burkina et au Niger. L’armée française a quitté les bases de Kidal et Tombouctou pour se replier à Gao. Il y aura une stratégie d’évitement maximale, comme nous avons pu l’observer en Syrie, où le contingent russe important côtoie des forces américaines. Ce scénario est envisageable.

Comment expliquer ces coups d’État en série qui traversent le Mali et les pays voisins ?

Deux facteurs ont créé les conditions de ce retour aux coups d’Etat. Premièrement, le recul de la démocratie, notamment en Guinée : il résulte de la décision du président Alfa Condé de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat. L’atteinte aux libertés et à l’indépendance de la justice a accentué les tensions. Le climat politique délétère a permis à l’armée de le renverser le 5 septembre 2021.

Dans les autres pays du Sahel, le retour des coups d’État s’explique par l’aggravation de la situation sécuritaire, y compris dans le cas du Mali, conjointement au contentieux électoral de 2020. La crise post-électorale et la crise sécuritaire ont créé l’insatisfaction de la population. Le cas du Burkina est très intéressant, car le président y a été élu l’année dernière. Son incapacité à gérer la situation sécuritaire, après des massacres qui ont fait 160 morts en juin 2021 dans un village du nord-ouest. La dégradation du cadre sécuritaire a créé les conditions d’un coup d’État. Globalement, il y a donc une conjugaison de plusieurs facteurs : le contexte marqué par un recul des libertés, la contestation des élections et la situation sécuritaire.

Tags :

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !