Saisie par un ancien membre d’un groupe rebelle islamiste syrien qui conteste sa mise en examen pour torture, crimes de guerre et complicité d’enlèvements, la cour d’appel de Paris s’est penchée lundi sur la compétence de la justice française à poursuivre des étrangers pour des actes commis dans leur pays.

Lors d’une audience à huis clos devant la chambre de l’instruction, Majdi Nema, ancien porte-parole du groupe Jaysh al-Islam (Armée de l’Islam, JAI), a contesté sa mise en examen, en mettant en cause le principe de compétence universelle de la justice française. La cour rendra sa décision le 4 avril.

Selon la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), qui a porté plainte à Paris contre JAI, ce mouvement islamiste d’obédience salafiste formé au début de la guerre civile pour combattre le régime de Bachar al-Assad a fait " régner la terreur " au sein de la population civile de la région de la Ghouta orientale qu’il contrôlait avec d’autres factions rebelles, en pratiquant torture, enlèvements ou recrutement d’enfants-soldats.

La décision de la cour d’appel sera scrutée de près par les observateurs, car la Cour de cassation a récemment estimé que la justice française était incompétente dans l’affaire d’un autre Syrien, ex-soldat du régime de Bachar al-Assad, mis en examen pour complicité de crimes contre l’humanité.

La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français s’est appuyée sur le principe de la " double incrimination " prévu dans la loi du 9 août 2010: les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre doivent être reconnus dans le pays d’origine d’un suspect que la France entend poursuivre.

Or, la Syrie, comme d’autres pays, ne reconnait pas ces crimes et n’a pas ratifié le statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale.

Cet arrêt dit " Chaban ", rendu fin novembre, a provoqué un séisme dans le monde judiciaire et des organisations de défense des droits de l’Homme, qui craignent que cette décision ait de lourdes répercussions sur d’autres enquêtes de ce type.

" Conditions restrictives "

Et en particulier sur celle qui vise Majdi Nema, également connu sous son nom de guerre Islam Alloush.

Arrêté en janvier 2020 à Marseille, où il se trouvait pour un séjour d’études, et écroué depuis, cet homme âgé de 33 ans est soupçonné d’avoir participé, avec son groupe, à l’enlèvement de l’avocate et journaliste syrienne Razan Zeitouneh et de trois autres militants syriens le 9 décembre 2013. Ils n’ont plus donné signe de vie depuis.

Lui conteste les accusations, affirmant avoir quitté la Ghouta orientale en mai 2013, sept mois avant les enlèvements qu’on lui reproche, pour Istanbul.

Devant la chambre de l’instruction, ses avocats ont fait valoir qu’il ne pouvait être poursuivi en France pour " complicité de disparition forcée " car la compétence universelle dans ce cas " n’est applicable que si ce crime est le fait d’agents étatiques ou de personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’Etat ". Or, JAI n’est pas un groupe étatique.

Par ailleurs, selon eux, la justice française ne peut le poursuivre car la France n’est pas le lieu de résidence habituelle de leur client, celui-ci s’y trouvant seulement pour un séjour d’études de quelques mois.

Selon des sources proches du dossier, l’avocat général a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler les poursuites.

Pour Me Clémence Bectarte, Me Marc Bailly et Me Patrick Baudouin, avocats de la FIDH et de parties civiles dans ce dossier, ce dernier " a bien soulevé les enjeux derrière cette décision ".

" Nous espérons être entendus et que notre interprétation des textes sera retenue, pour cette affaire en particulier et toutes les autres qui sont en cours d’instruction ou d’enquête préliminaire ", ont-ils commenté à l’issue de cette audience de deux heures.

" Nous attendons que la chambre de l’instruction constate que la justice française n’a pas le droit d’enquêter sur les faits reprochés à Majdi Nema ", ont déclaré de leur côté Me Raphaël Kempf et Me Romain Ruiz, avocats du Syrien.

" Si la loi française pose des conditions extrêmement restrictives à la compétence universelle, c’est précisément parce que le législateur sait combien l’entreprise d’enquêter sur des faits commis à des milliers de kilomètres de la France est illusoire ".

Avec AFP.

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