Le retrait des soldats français laisserait le Mali en proie à la propagation jihadiste et une crise humanitaire aiguë, et la junte qui le dirige débarrassée d’un partenaire historique qui contrecarrait ses plans depuis des mois.

La question est de savoir si la junte aura les moyens de faire face, au-delà de sa volonté proclamée de " refondation ", et à quel avenir est promis un Etat largement considéré comme failli, épicentre de l’instabilité sahélienne depuis 2012.

Parmi les Maliens, le désengagement attendu de la part d’un allié avec lequel les forces nationales ont combattu les jihadistes pendant neuf ans sans enrayer leur progression suscite espoir chez les uns, inquiétude chez les autres.

" Ça va être dur, mais ça va aller Inchallah ", si Dieu le veut, sourit Souleymane Diakité, la trentaine, devant sa boutique à Bamako. " Ils n’ont pas réussi en neuf ans, on peut bien faire sans eux! ", juge-t-il en parlant des soldats français. Un sentiment partagé par de nombreux Bamakois.

A Gao (nord), où est installée la principale base française, un interlocuteur de la société civile assure l’inverse: " Tout va trop vite, c’est pas bon ", dit-il faisant référence aux soubresauts des deux dernières années: putsch en 2020, nouveau coup d’Etat en 2021, remise en cause de l’alliance avec la France, confrontation avec une partie de la communauté internationale.

" On entre dans une période d’incertitude ", résume un diplomate à Bamako. Nombre d’interlocuteurs s’expriment sous couvert d’anonymat parce que leur position ou leur sécurité l’exige.

Les jihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l’organisation Etat islamique ont la mainmise, militaire et sociale, sur de vastes étendues du territoire. D’autres groupes armés, communautaires ou crapuleux, reconnus ou non, mettent de vastes secteurs en coupe réglée.

Se " débrouiller "

Le chef du gouvernement installé par les colonels, Choguel Kokalla Maïga, admet que " 80% du territoire " sont en proie à l’insécurité. Le 7 février, il disait l’Etat malien " à terre ".

En février 2022, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) chiffre à plus de sept millions (un million de plus qu’en 2021 sur une population d’environ 20 millions) le nombre de Maliens ayant besoin d’aide humanitaire.

Depuis janvier, les frontières de ce pays enclavé, un des plus pauvres au monde, sont fermées avec ses voisins les plus importants commercialement. La communauté des Etats ouest-africains a infligé au Mali un gel des transactions commerciales et financières pour sanctionner le projet déclaré des colonels de se maintenir au pouvoir encore plusieurs années.

" Personne ne sait la direction que vont prendre les choses dans deux, trois, six mois ", s’inquiète un acteur humanitaire, tenu à l’anonymat.

Sur le front militaire, un retrait français " aura un impact sur l’environnement global " du conflit, estime Ornella Moderan, cheffe au Sahel de l’Institut d’études de sécurité (ISS). En plus des opérations de déstabilisation menées au sol avec un soutien aérien ou des frappes ciblées, la présence française avait " un effet de dissuasion dans beaucoup de zones ", dit-elle.

Avec un décrochement français, les forces maliennes perdent un soutien quasi permanent: appui aérien, ravitaillement, évacuation sanitaire…

Il va falloir " apprendre à nous débrouiller (…) nous n’avons pas le choix et c’est tant mieux ", résume Moussa Mara, ancien Premier ministre.

" Victoires éclatantes "

A côté des massacres de civils, l’armée malienne, forte de 15 à 20.000 hommes, sous-équipée et sous-entraînée, a compté ses morts par centaines depuis 2012 des mains des jihadistes.

Mais, depuis trois mois, les pertes humaines annoncées parmi les soldats ou les civils sont minimales. Au contraire, le Premier ministre revendique des " victoires militaires éclatantes " et la neutralisation de jihadistes " par centaines ".

L’accès au terrain étant impossible, ces proclamations sont difficilement vérifiables.

Leur effet sur les militaires et la population " est certain ", dit le chercheur malien Boubacar Haïdara. Mais, pondère-t-il, " le principal problème reste le redéploiement sur le long terme, et aujourd’hui l’armée n’a aucunement les moyens de contrôler les brousses ".

Ces déclarations de victoire coïncident avec le durcissement des tensions diplomatiques, mais aussi avec le soupçon, plus fort de semaine en semaine, que la junte a fait appel à la société de mercenaires russes Wagner.

Les autorités maliennes démentent. Mais au moment où la France et ses partenaires européens discutaient les conditions d’un retrait, la crainte que les Russes ne remplissent encore davantage le vide constituait un motif de réticence à un désengagement pur et simple, indique un diplomate européen.

La France a assuré que l’intervention de Wagner était incompatible avec son engagement. Elle s’est aussi constamment opposée à un dialogue avec les jihadistes. Au contraire, les colonels s’y sont dits ouverts, en ligne avec l’ancien pouvoir déchu mais aussi de nombreux Maliens.

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