Dans le bal des nations pris dans la guerre d’Ukraine, la Chine ne sait pas vraiment sur quel pied danser. Entre une amitié déclarée " solide comme un roc " avec Moscou, et des relations nettement plus importantes avec l’Union européenne, l’invasion russe du 24 février met à l’épreuve la solidité des liens entre Chine et Russie, un mois après la visite du président russe Vladimir Poutine à Pékin.

Deux impératifs contradictoires
Après deux semaines de conflit ukrainien, la Chine se livre à un numéro d’équilibriste entre deux impératifs de sa politique étrangère. D’un côté, un sacro-saint attachement à " la souveraineté et l’intégrité territoriale " des États. De l’autre, un rapprochement avec Moscou trempé dans l’hostilité commune envers les États-Unis. Pourtant, la balance semble pencher en faveur de la Russie. Lundi, lors de sa conférence de presse annuelle, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, s’est à nouveau refusé à condamner l’invasion russe de l’Ukraine et a même célébré une amitié " solide comme un roc " avec Moscou. Il a une nouvelle fois plaidé en faveur des " préoccupations légitimes (de Moscou) en matière de sécurité ". Le jour même de l’invasion, la porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, rejetait catégoriquement le terme " d’invasion ", en faisait peser la responsabilité entière sur les États-Unis et s’interrogeait sur l’existence de victimes des bombardements. Une petite phrase ensuite retirée du compte-rendu officiel de son point de presse.

Le régime du président Xi Jinping semble en effet avoir été surpris par la résistance ukrainienne à l’offensive russe et par la vigueur des sanctions occidentales. " Il y avait manifestement de la perplexité dans les premières réactions " chinoises, analyse le professeur Sergey Radchenko, de la Johns Hopkins School of Advanced International Studies aux États-Unis. Il faudra attendre le 1er mars pour que M. Wang dise " regretter profondément " le conflit, lors d’un coup de téléphone à son homologue ukrainien.

Ressortissants chinois pris entre deux feux

Parallèlement, la frange la plus anti-américaine de l’internet chinois s’en donnait à cœur joie, avec des commentaires machistes suggérant aux jeunes Ukrainiennes de venir se réfugier en Chine, avant que la censure bloque les contenus " vulgaires ". En fin de compte, la Chine a pris le risque d’apparaître comme complice de Moscou, d’autant que l’offensive russe a été déclenchée moins de trois semaines après la chaleureuse réception de Vladimir Poutine par son homologue chinois à Pékin.

Sur le terrain, l’évacuation des quelque 6.000 Chinois présents en Ukraine a été retardée par le fait que Pékin a ignoré jusqu’au bout les avertissements des Etats-Unis sur l’imminence d’une invasion et n’a pas appelé ses ressortissants à quitter le pays. Après le déclenchement des hostilités, le régime communiste a d’abord évoqué une évacuation aérienne de ses ressortissants, alors que Kiev avait déjà annoncé la fermeture de son espace aérien. Puis l’ambassade de Chine a suggéré à ses citoyens de s’identifier à l’aide de leur drapeau national, avant de faire marche arrière à la suite d’incidents qui se seraient produits avec des Ukrainiens.

" La position du gouvernement chinois a compliqué les choses pour ses citoyens ", relève le sinologue Manoj Kewalramani, de l’institut Takshashila (Inde). " S’il devait y avoir des victimes chinoises en Ukraine, la neutralité pro-russe du gouvernement chinois serait plus difficile à maintenir ", prévient-il, alors que l’ambassade de Chine à Kiev a assuré lundi avoir évacué " la plupart " de ses ressortissants.

" Neutralité de façade "

La ferme réaction occidentale à l’invasion met Pékin en porte-à-faux avec les Européens, alors que ses relations avec l’UE sont nettement plus importantes qu’avec la Russie.

Pékin en est réduit à appeler aux négociations entre la Russie et l’Ukraine. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a même jugé que la Chine était le seul médiateur possible dans le conflit. Mais interrogé à ce sujet lundi, Wang Yi s’est simplement dit disposé à " travailler avec la communauté internationale à une médiation nécessaire le moment venu ". MM. Wang et Borrell se sont parlé lundi, selon les médias d’Etat chinois. M. Wang a répété que la Chine " déplorait " la situation en Ukraine, mais a dénoncé la politique de sanctions des Occidentaux contre la Russie et a appelé l’UE à engager un " dialogue sincère " avec Moscou sur la sécurité européenne, selon l’agence Chine Nouvelle.

Le sinologue Steve Tsang, de la School of Oriental and African Studies à Londres, juge que l’attitude de Pékin n’en ferait pas un médiateur impartial aux yeux de Kiev, car " c’est une neutralité de façade, qui penche en réalité du côté russe ". Selon lui, la pire issue pour la Chine serait qu’une guerre longue et les sanctions aboutissent à la chute du régime russe et au retour d’un pouvoir pro-occidental à Moscou. " Je doute que Xi Jinping veuille assister à une escalade de la guerre en Ukraine ", observe-t-il. " Ce qu’il voudrait, c’est que Poutine obtienne ce qu’il veut sans trop de dommages collatéraux (…) pour la Chine et ses relations avec le reste du monde ".

C’est dans ce sens que peut être interprété la timide déclaration de la Chine et de l’ONU qui, sans viser explicitement Moscou, se sont émues d’un ajout de combattants sur le sol ukrainien. " Nous croyons que les informations selon lesquelles ils (les Russes) recrutent des combattants syriens pour étoffer leurs forces en Ukraine sont véridiques ", a affirmé le porte-parole du ministère américain de la Défense, John Kirby. Lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, l’ambassadeur chinois, dont le pays appuie jusqu’à présent plutôt la Russie, a réclamé d’éviter " de mettre de l’huile sur le feu ". Après avoir évoqué les sanctions imposées à Moscou, Zhang Jun a ajouté: " envoyer des mercenaires ou des armes offensives en Ukraine pourrait faire empirer la situation ".

Avec AFP

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