Si le terme " balkanisation " a servi après la dislocation de la Yougoslavie pour parler de fragmentation et de divisions au sein d’un État, le spectre de la " syrianisation " vient le remplacer au moment d’aborder la guerre ukrainienne. Ceci alors que la dernière enclave rebelle qui résiste au régime de Damas a célèbré le 11e anniversaire du début de la révolution pacifique de 2011 ce mardi. L’écrivain en exil Yassin Al Haj Saleh dit du monde " qu’il devient de plus en plus syrien, " et l’intervention de la Russie auprès de Damas dans la guerre civile syrienne à partir 2015 et sa guerre contre Kiev depuis le 24 février dernier relient dramatiquement les deux conflits entre eux.

Ardeurs rebelles ravivées
Ce mardi, à l’occasion du 11e anniversaire du début de la révolution pacifique de 2011, plus de 5000 manifestants syriens antirégime, en solidarité de l’Ukraine, se sont rassemblés mardi sur la place principale d’Idleb au nord-ouest de la Syrie. Cette région est la dernière enclave rebelle à s’opposer au régime de Bachar al Assad, fervent soutien de Moscou dans son intervention en Ukraine. Elle compte actuellement environ quatre millions d’habitants, dont au moins la moitié sont déplacées. Déclenchée le 15 mars 2011 par la répression de manifestations prodémocratie et opposant initialement armée et rebelles, la révolution puis la guerre civile syrienne s’est complexifiée au fil des années, avec des interventions étrangères dont celle de la Russie en soutien à Damas, laissant un pays ravagé et divisé.Nombre de manifestants espèrent que l’invasion lancée en Ukraine le 24 février par Moscou, soutenue ouvertement par Bachar al-Assad, suscite un nouvel intérêt pour leur propre cause. " Ce qu’il se passe aujourd’hui en Ukraine est identique à ce qu’il se passe ici, l’ennemi est le même et le but est le même ", affirme Radwane Atrach, un autre manifestant.

La Syrie, terrain d’essai de la Russie

L’intervention militaire de la Russie en faveur du régime de Damas en 2015 a changé le cours de la guerre anéantissant les espoirs de millions de Syriens de renverser le régime. Le conflit, impliquant rebelles, jihadistes, puissances régionales et internationales, a fait un demi-million de morts.

" Fortifiez vos hôpitaux avec des blocs de ciment, l’ennemi Poutine ne fait pas de distinction entre civils, blessés et combattants ", recommande Ali Hamouch, médecin dans un hôpital d’Idleb, solidaire avec les Ukrainiens. Au cours du conflit en Syrie, l’aviation russe a ciblé à plusieurs reprises des hôpitaux, selon des témoins, des médecins et des ONG.

Les tactiques de guerre adoptées en Ukraine ressemblent à celles éprouvées par Moscou en Syrie, où les Russes ont testé la plupart de leurs armes. Par ailleurs, Moscou recrute actuellement des milliers de combattants en Syrie, de l’armée régulière et des milices, pour les déployer en Ukraine. En Ukraine la semaine dernière, un hôpital pédiatrique a été touché par une frappe supposément russe dans la ville assiégée de Marioupol, suscitant un tollé et des accusations de crimes de guerre à l’encontre de Vladimir Poutine.

Supplétifs syriens

Mais ce lien entre guerres syrienne et ukrainienne ne se limite pas à l’intervention russe. Moscou a également établi des listes de 40.000 combattants de l’armée syrienne et de milices alliées, prêts à être déployés en Ukraine, a affirmé mardi l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Alliée du régime de Bachar al-Assad en Syrie, la Russie a annoncé le 11 mars que les volontaires, y compris ceux venant de Syrie, étaient les bienvenus pour combattre en Ukraine aux côtés de l’armée russe qui a envahi ce pays voisin le 24 février. Selon l’OSDH, des officiers russes, en coordination avec l’armée syrienne et des milices alliées, ont ouvert des bureaux d’enregistrement dans des zones tenues par le régime de Damas. "Plus de 40.000 Syriens se sont inscrits pour combattre aux côtés de la Russie en Ukraine jusqu’à présent ", a déclaré Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH, une ONG basée au Royaume-Uni et disposant d’un vaste réseau de sources en Syrie, pays en guerre depuis 2011. Quelques 18.000 hommes supplémentaires se sont inscrits auprès du parti Baas au pouvoir en Syrie et seront sélectionnés par le groupe Wagner, une société privée russe de paramilitaires ayant des liens avec le Kremlin, selon l’organisation. Dans un pays où les soldats gagnent de 13 à 32 euros par mois, la Russie leur promet un salaire de 1.000 euros pour combatte en Ukraine, a rapporté l’Observatoire. Ils ont également droit à 7.000 euros d’indemnisation en cas de blessures, tandis que leurs familles toucheront 15.000 euros s’ils venaient à mourir au combat, a ajouté l’ONG.Un représentant du gouvernement syrien a démenti l’existence de cette campagne de recrutement. " Jusqu’à présent, aucun nom n’a été inscrit, aucun soldat n’est enregistré et personne ne s’est rendu en Russie pour combattre en Ukraine ", a déclaré à l’AFP Omar Rahmoun, du Comité de réconciliation nationale. De leur côté, des rebelles soutenus par la Turquie dans le nord se préparent à envoyer des combattants pour soutenir les Ukrainiens, selon des informations recueillies par un correspondant de l’AFP sur place.

Des mercenaires syriens ont déjà combattu en Libye et dans l’enclave caucasienne du Nagorny Karabakh. La conflit en Syrie, qui a fait un demi-million de morts, a plongé 90% de la population dans la pauvreté, un facteur clé du recrutement. La Syrie est confrontée à une grave crise économique, marquée par une dépréciation de la monnaie nationale, une explosion de l’inflation et aggravée par les sanctions occidentales et la pandémie de Covid-19.

Avec AFP