Suite au décès de plusieurs journalistes français et américains en Ukraine, Paris a annoncé ouvrir une enquête pour possible " crime de guerre " commis par la Russie, et plus précisément "atteinte volontaire à la vie d’une personne protégée par le droit international".  Déjà le 8 mars, Reporters Sans Frontières accusait les forces russes de tirer délibérément sur des voitures portant le signe " presse ". Pour rappel, la Convention de Genève considère les journalistes comme des civils qui doivent être protégés en tant que tel. Ainsi, toute atteinte délibérée à la vie d’un journaliste sur un terrain de guerre constitue, selon le droit international, un crime de guerre. 

La Russie intensifie les attaques contre la capitale ukrainienne. (AFP)

 

Avec cinq journalistes tués en Ukraine en moins de trois semaines, le déploiement d’artillerie lourde et les frappes visant des civils font craindre à la profession un bilan particulièrement lourd, d’autant plus que de jeunes reporters, parfois peu aguerris, affluent pour couvrir cette guerre.

La mort annoncée mardi de deux journalistes de Fox News peu après celle de l’Américain Brent Renaud, illustre " l’extrême dangerosité du théâtre ukrainien ", selon le ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian.

La situation sur place est " extrêmement mouvante, changeante, sans ligne de front figée depuis plusieurs jours ", confie à l’AFP le reporter Sébastien Georis, envoyé à Lviv par la RTBF, dont les équipes sont invitées à " rester au maximum dans les zones les plus sécurisées ".

De retour d’Ukraine, le photographe Patrick Chauvel, 72 ans, qui a suivi une trentaine de conflits, a témoigné d’une guerre " très, très compliquée à couvrir ". C’est un pays, la Russie, " qui en envahit un autre ", c’est " très rare ", a-t-il expliqué lundi dans l’émission " Quotidien ".

Ce sont " des combats d’artillerie (…) Une bombe de 250 kilos, elle a un rayon mortel de 50-60 mètres et ça tombe à peu près n’importe où (…) Les gens sont très paranos, ils ont la gâchette facile ", a ajouté le photographe de guerre, évoquant notamment la peur, du côté des Ukrainiens, des " saboteurs " ou " infiltrés " russes.

Autre particularité, le fait que les journalistes semblent être " devenus des cibles ", comme l’indiquait récemment à l’AFP le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire, alors que le droit international exige des forces armées qu’elles les protègent.

D’après une source diplomatique européenne, le recours à des supplétifs syriens et tchétchènes par Moscou, " avec un art de la guerre et un respect du droit international humanitaire qui n’est pas tout à fait le nôtre ", pourrait encore aggraver la situation.

Au total, depuis le début de l’invasion russe le 24 février, deux reporters étrangers ont perdu la vie, et trois Ukrainiens, dont Evgueni Sakoun, tué dans le bombardement de la tour de télévision à Kiev et son confrère Viktor Doudar, mort pendant des combats près de Mykolaïv (sud), mais pas durant son activité de journaliste, selon RSF.

Le danger est également présent avec de nombreux " gosses " qui " s’improvisent reporters de guerre ", comme s’en est inquiétée sur Twitter Laura-Maï Gaveriaux, correspondante des Echos à Dubaï. Sans vouloir " accabler " ces jeunes, la journaliste déplore auprès de l’AFP que certains partent en Ukraine sans suivre " de vraies formations à la Croix-rouge ", sans assurance, ni matériel.

" En colère ", celle qui se mobilise pour faire livrer des gilets pare-balles à des confrères, surpris par l’invasion russe, dénonce aussi la précarité des pigistes, certaines rédactions refusant de financer leur équipement.

Difficile de s’assurer et d’investir 440 euros pour un gilet pare-balles et 660 euros pour un casque sans garantie de voir son travail correctement rémunéré.

Reste qu' "on ne peut pas aller la fleur au fusil à Kiev ", prévient Clara Marchaud, correspondante en Ukraine pour le Figaro, collaborant aussi avec l’AFP. Il faut " faire ses devoirs avant d’arriver " pour ne pas prendre un logement près d’une base militaire, par exemple.

L’Unesco, consciente que des " milliers de journalistes " travaillent en Ukraine " souvent sans l’équipement de protection ou la formation nécessaires ", en particulier des Ukrainiens " propulsés " correspondants de guerre malgré eux, a annoncé jeudi qu’elle fournirait un premier lot de 125 casques et gilets pare-balles siglés " presse ".

Elle s’appuiera pour cela sur le centre récemment ouvert à Lviv par RSF, et sur la FIJ.

D’après RSF, sur les 46 journalistes tués dans l’exercice de leur fonction en 2021, 18 l’ont été sur des zones de conflit.

Avec AFP