Après avoir menacé d’utiliser des armes nucléaires, exhibé ses missiles supersoniques, et exercé une tactique de la terreur sur le terrain, la Russie brandit à présent l’arme de l’énergie. Moscou avait longtemps utilisé l’arme du pétrole et du gaz pour imposer sa politique ou exprimer sa désapprobation envers telle ou autre décision adoptée par les Européens.Le président Poutine a annoncé la couleur en réclamant à ses clients européens, très dépendants du gaz russe, de régler leurs factures en roubles. Mardi soir, il a mis en application sa menace en fermant les vannes des gazoducs qui alimentent la Bulgarie et la Pologne en gaz sibérien.L’Union européenne a réagi mercredi en accusant la Russie de " chantage " à " l "or bleu ". La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a affirmé que ces deux pays seront fournis par d’autres pays européens, le temps de trouver une solution durable à la dépendance envers les hydrocarbures en provenance de Russie.

Une autre épine dans le pied de Poutine, la livraison d’armes offensives, une première depuis le début de l’invasion, à l’armée ukrainienne. Les Occidentaux ont, en effet, entamé la livraison, dès mardi, d’armes lourdes adaptées au terrain de l’est ukrainien afin de permettre à l’armée de Kiev de résister face aux troupes russes.

Le ministère russe de la Défense a répliqué mercredi en annonçant avoir détruit un centre de stockage d’armes occidentales avec un missile de croisière " Kalibr " lancé depuis un bâtiment de la marine en mer Noire.

 

 

 

 

 

" Chantage " au gaz

Ce qui devait arriver, arriva: le groupe russe Gazprom a annoncé mercredi avoir suspendu toutes ses livraisons de gaz à la Bulgarie et à la Pologne, assurant que ces deux pays n’avaient pas payé en roubles, comme l’exige depuis mars Vladimir Poutine.

Dénonçant un nouveau " chantage au gaz ", la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a affirmé que ces deux pays membres de l’UE et de l’Otan, très dépendants de l' "or bleu " russe, étaient désormais approvisionnés " par leurs voisins de l’Union européenne ".
" Il ne s’agit pas de chantage ", mais d’une réponse à " des actes inamicaux ", lui a répondu le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, une allusion au gel des réserves de devises étrangères russes détenues à l’étranger. La Bulgarie et la Pologne sont désormais approvisionnées en gaz " par leurs voisins de l’UE ", après la suspension des livraisons du russe Gazprom, a affirmé mercredi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
" Nous ferons en sorte que la décision de Gazprom ait le moins d’effet possible sur les consommateurs européens ", a assuré la cheffe de l’exécutif bruxellois dans une brève allocution à la presse.  " La mesure prise par la Russie affecte la Russie elle-même. Le Kremlin fait mal à l’économie russe car ils se privent eux-mêmes de revenus importants ", a-t-elle estimé.
La Bulgarie et la Pologne s’étaient déjà dites en mesure d’obtenir le gaz manquant par d’autres sources.
Mme von der Leyen a annoncé le projet de la présidence française du Conseil de l’UE de réunir " dès que possible " les ministres européens de l’Energie. " Aujourd’hui, le Kremlin a échoué une fois de plus dans sa tentative de semer la division parmi les Etats membres ", a-t-elle assuré, après une réunion du groupe de coordination européen pour le gaz.
Les entreprises européennes acceptant de payer le gaz russe en roubles, comme l’exige Moscou, violeraient les sanctions de l’UE et s’exposeraient à un risque juridique " élevé ", a averti Mme von der Leyen.
" Environ 97% des contrats (entre des groupes de l’UE et les fournisseurs de gaz russe) prévoient des paiements en euros ou dollars (…) Les entreprises avec de tels contrats ne doivent pas céder à l’exigence de la Russie, ce serait contrevenir aux sanctions " imposées par les Vingt-Sept, a-t-elle ajouté.
La guerre en Ukraine a révélé la dépendance de l’UE au gaz russe qui représente globalement 45% de ses importations. Mais la présidente de la Commission a rappelé l’engagement des Vingt-Sept à supprimer sous peu cette dépendance " pour de bon et pour toujours ".La présidente de l’exécutif européen a jugé " injustifié et inacceptable " cet " arrêt unilatéral " des livraisons.
" Cela montre une fois de plus le manque de fiabilité de la Russie en tant que fournisseur de gaz ", a-t-elle affirmé. Selon des responsables européens, les ministres de l’Energie de l’UE devraient se réunir lundi pour discuter de la situation.
Guterres à Kiev

Après avoir rencontré la veille le président Vladimir Poutine dans la capitale russe, le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres est arrivé en Ukraine, sa première visite dans ce pays depuis le début de l’invasion russe le 24 février. Il se rendra jeudi dans la banlieue de Kiev, à Boutcha, Irpin et Borodianka, théâtres d’exactions imputées à l’armée russe par les Ukrainiens.

Armes interposées
Alors que les Occidentaux intensifient leurs efforts pour armer les Ukrainiens face à la Russie, le ministère russe de la Défense a affirmé que " des hangars avec une grande quantité d’armes et de munitions étrangères, livrées aux forces ukrainiennes par les États-Unis et des pays européens, avaient été détruits avec des missiles Kalibr tirés de la mer sur l’usine d’aluminium de Zaporijjia ", dans le sud de l’Ukraine.Le gouverneur de cette région a cependant apporté un ferme démenti : " Aucun dépôt de munitions et d’armes n’a été touché à Zaporijjia ", a-t-il rétorqué, martelant que l’usine atteinte " n’était plus opérationnelle depuis six ans ".
Un avion d’attaque au sol ukrainien Sukhoi Su-25 lance des fusées-leurres lors d’une opération de soutien aux troupes au sol à l’est de l’Ukraine. (AFP)

 

Une quarantaine de pays s’étaient retrouvés mardi en Allemagne, autour des États-Unis, pour coordonner une accélération des fournitures d’équipements militaires que Kiev réclame.Vladimir Poutine a quant à lui à nouveau mis en garde contre toute intervention extérieure dans le conflit: " Si quelqu’un a l’intention de s’ingérer de l’extérieur dans ce qui se passe (en Ukraine, ndlr) et de créer des menaces inacceptables pour la Russie, ils doivent savoir que notre riposte (…) sera rapide et foudroyante ", a déclaré M. Poutine devant le Parlement russe.

Selon lui, la Russie n’hésitera pas à utiliser ses armes les plus modernes. " Nous avons tous ces outils dont personne d’autre ne peut se vanter actuellement. Nous n’allons pas nous vanter: nous allons les utiliser s’il le faut. Et j’aimerais que tout le monde le sache ", a souligné le président russe. " Toutes les décisions là-dessus ont été déjà prises ", a-t-il ajouté.
" Des semaines difficiles " à venir

Les troupes russes bombardent ponts et voies ferrées pour ralentir les livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine, avait expliqué mardi un conseiller du ministre ukrainien de l’Intérieur, après la destruction d’un pont stratégique reliant ce pays à la Roumanie. Les forces russes, qui intensifient depuis deux semaines leur offensive sur le Donbass, ont annoncé mercredi avoir effectué des frappes aériennes sur 59 cibles ukrainiennes.

Parallèlement, l’armée ukrainienne a, fait rare de sa part, reconnu des avancées russes dans l’est, dans la région de Kharkiv et dans le Donbass, un bassin minier en partie contrôlé par des séparatistes prorusses depuis 2014. Kiev a admis que les Russes avaient pris des localités s’égrenant du nord au sud, laissant penser que Moscou veut prendre en étau une large poche encore aux mains des Ukrainiens.

 

Un char ukrainien en action dans l’est du pays.

 

 

" Nous avons des semaines extrêmement difficiles à venir ", a à cet égard prévenu dans un communiqué mercredi le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov. Selon lui, l’armée russe, " déjà consciente de sa défaite stratégique, va tenter d’infliger le plus de souffrances possibles " aux soldats ukrainiens qu’il a exhortés à " tenir le coup ".À Kharkiv, dont les quartiers nord et est sont à moins de 5 km de la ligne de front, au moins trois personnes ont péri et 15 ont été blessées dans des bombardements, a déclaré le gouverneur Oleg Synegoubov, ajoutant : " Les Russes continuent leurs tirs d’artillerie et de mortier contre des quartiers d’habitation de Kharkiv et de sa région ".

" Sauvez la garnison de Marioupol "

À la pointe sud du Donbass, dans la ville portuaire stratégique de Marioupol, assiégée et dévastée, " l’ennemi bombarde massivement et bloque nos unités près de l’usine d’Azovstal ", a dit dans son rapport quotidien le ministère ukrainien de la Défense.

Le commandant de la 36e Brigade des Marines de Marioupol, Sergueï Volyna, a lancé un nouvel appel à l’aide, soulignant avoir avec lui 600 soldats blessés et des centaines de civils.

" Mon message aujourd’hui est : sauvez la garnison de Marioupol, menez pour nous une opération d’exfiltration. Les gens vont simplement mourir ici (…) les civils meurent avec nous (…) la ville est quasiment effacée de la surface de la Terre ", a-t-il imploré dans un message relayé sur Telegram.

 

 

 Guerre en Moldavie ?

Ces événements surviennent à un moment où de nombreuses chancelleries s’inquiètent du risque d’extension du conflit, après une série d’explosions, attribuées par Kiev à Moscou, dans la région séparatiste prorusse de Transdniestrie, en Moldavie. " Nous condamnons fermement de telles actions. Les autorités moldaves veilleront à empêcher la république d’être entraînée dans un conflit ", avait déclaré mardi la présidente moldave Maïa Sandu, exhortant la population au calme.

Les autorités de la région séparatiste ont annoncé mercredi qu’un village frontalier de l’Ukraine hébergeant un important dépôt de munitions de l’armée russe avait été la cible de tirs. La " république " autoproclamée de Transdniestrie a fait sécession de la Moldavie en 1992, après une courte guerre contre Chisinau. Depuis, environ 1.500 soldats russes sont stationnés sur place.

" La nuit dernière, plusieurs drones ont été repérés au-dessus du village de Kolbasna ", a indiqué le " ministère de l’Intérieur " de Transdniestrie dans un communiqué, ajoutant que mercredi matin, " des coups de feu ont été tirés en direction de Kolbasna depuis l’Ukraine ", sans faire de victimes.
Le village de Kolbasna, Cobasna en roumain, est situé à environ deux kilomètres de la frontière ukrainienne. Un grand dépôt d’armes, datant de la période soviétique, s’y trouve sous le contrôle de soldats russes déployés dans la région.
Cet incident survient après une série d’explosions survenues lundi et mardi dans la région, faisant craindre un débordement du conflit actuel en Ukraine.
En réaction, la Moldavie a annoncé des mesures pour renforcer sa sécurité et a appelé la population au calme.
Le ministre des Affaires étrangères Nicu Popescu a évoqué mercredi, lors d’un briefing avec des journalistes étrangers, " des événements très inquiétants qui représentent une détérioration dangereuse de la situation ". " Notre premier devoir est de maintenir la paix en Moldavie ", a-t-il insisté. " Nous allons tout faire pour que la Moldavie reste en dehors de toute escalade militaire dans cette région ".
Selon lui, " les autorités de Transdniestrie ont annoncé qu’elles allaient empêcher le départ des hommes en âge de combattre ". Des informations démenties dans la soirée par le président du territoire séparatiste, Vadim Krasnoselski. " Je déclare officiellement qu’une telle décision n’a jamais été prise ", a-t-il affirmé dans un message publié sur Telegram, en dénonçant des " mensonges absurdes " et des " fantaisies (…) qui n’ont rien à voir avec la réalité ".
Ces derniers jours, la crainte que le conflit en Ukraine ne s’étende à la Transdniestrie s’est amplifiée après qu’un général russe a affirmé que l’offensive du Kremlin en Ukraine visait à établir un couloir vers cette région séparatiste prorusse. De son côté, Kiev a accusé la Russie de vouloir " déstabiliser " la Transdniestrie afin de justifier une intervention militaire.
Nouveau soutien européen

Pour venir en aide à l’Ukraine, la Commission européenne a proposé mercredi de suspendre pendant un an tous les droits de douane sur les produits importés de ce pays dans l’UE. La proposition doit encore être approuvée par le Parlement européen et les 27 Etats membres.

" Cela nous permettra de soutenir l’activité économique au maximum en Ukraine et de préserver notre production nationale ", s’est félicité dans la soirée le président Volodymyr Zelensky. Le Royaume-Uni avait annoncé lundi avoir pris une telle mesure.

Un air de Guerre froide
Digne d’un récit de la Guerre froide, l’ex-Marine américain Trevor Reed, condamné à neuf ans de prison en Russie pour violences, a été échangé mercredi contre un pilote russe incarcéré aux Etats-Unis depuis 2010.
Le président américain Joe Biden a dit avoir dû prendre des " décisions difficiles " pour obtenir la libération de l’ancien militaire. " Son retour sain et sauf témoigne de la priorité que mon administration accorde au rapatriement des Américains retenus en otage et injustement détenus à l’étranger ", a-t-il affirmé.
La télévision russe a diffusé des images de Trevor Reed, vêtu de noir et portant un grand sac, embarquant dans un avion. Son père, Joey Reed, a déclaré à la chaîne de télévision américaine CNN que l’ancien militaire avait été transféré cette semaine à Moscou, puis mis dans un avion à destination de la Turquie. Là, " l’avion américain s’est arrêté à côté de l’avion russe et ils ont fait traverser les deux prisonniers en même temps, comme dans les films ", a-t-il précisé.
Les échanges de prisonniers étaient fréquents entre Moscou et les Occidentaux jusqu’à la fin de la Guerre froide en 1991 et n’ont jamais totalement cessé, en particulier depuis l’arrivée au sommet du pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine. Ils concernent le plus souvent des espions, comme en 2010 quand dix membres d’un réseau russe (des agents illégaux opérant sous fausse identité américaine) arrêtés par le FBI avaient été échangés contre deux Russes travaillant pour la CIA et les services britanniques et un chercheur.

 

Avec AFP