La journée de dimanche était marquée par la première visite du président Zelensky dans la région de Kharkiv, à l’Est de l’Ukraine, non loin de l’actuel théâtre des combats qui font rage dans la région. Mais cette visite a été éclipsée par une sérieuse, et surprenante, annonce faite par l’Otan dans la nuit de dimanche à lundi. Le chef adjoint de l’Alliance atlantique a, en effet, déclaré que l’organisation est en mesure de déployer légalement ses forces en Europe de l’Est. Un accord avec la Russie lui interdisait un déploiement en masse aussi près des frontières russes, mais avec l’invasion de l’Ukraine, l’alliance estime que Moscou a invalidé cet accord. Pression psychologique ou réelle volonté de concentration militaire aux portes de la Russie? L’avenir le dira, mais une chose est sûre, l’armée ukrainienne peine à tenir longtemps l’avancée des Russes à l’Est. Une intervention urgente est donc nécessaire, à commencer par l’envoi d’armes de gros calibre.

 

Zelensky dans la région de Kharkiv

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est rendu dimanche, pour la première fois depuis l’invasion russe, dans l’est du pays.  Sur des images diffusées sur internet par la présidence ukrainienne, on peut voir le président Zelensky, en gilet pare-balles et entouré de soldats en armes, visiter les décombres de bâtiments détruits à Kharkiv, deuxième ville du pays, et ses environs.

" 2.229 maisons détruites à Kharkiv et dans la région. Nous restaurerons, reconstruirons et ferons revenir la vie. À Kharkiv et dans toutes les autres villes et villages où le mal est venu ", a-t-il déclaré sur Telegram.

" Dans cette guerre, les occupants tentent d’obtenir un résultat quel qu’il soit. Mais ils doivent comprendre depuis longtemps que nous défendrons notre terre jusqu’au bout. Ils n’ont aucune chance. Nous nous battrons et nous gagnerons ", a encore indiqué M. Zelensky.

Dans son message vidéo quotidien, il a plus tard annoncé le limogeage du chef des services secrets de la région de Kharkiv, " parce qu’il ne travaillait pas à la défense de la ville depuis les premiers jours de cette guerre, mais ne pensait qu’à lui-même ".

" La Russie a déjà perdu, non seulement la bataille de Kharkiv, non seulement la bataille pour Kiev et le nord du pays. Mais aussi son propre avenir et tous ses liens culturels avec le monde libre. Ils ont tous brûlé ", a-t-il ajouté.

Plus de trois mois après l’invasion lancée par Moscou le 24 février, le conflit semble s’installer dans la durée, malgré les tentatives de médiation.

L’Otan se réserve le droit de déployer ses forces en Europe orientale

Le chef adjoint de l’Otan, Mircea Geoana, a estimé dimanche que dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine, l’Alliance atlantique n’était plus tenue par ses anciens engagements envers Moscou de ne pas déployer ses forces en Europe orientale.

L’Acte fondateur sur les relations entre l’Otan et la Russie, signé il y a 25 ans, prévoyait entre autre des mesures visant à " prévenir toute concentration de forces conventionnelles ", notamment en Europe centrale et orientale.

Une réunion plénière des ambassadeurs des pays membres de l’Alliance au siège de l’Otan dans la banlieue de Bruxelles.

Mais en attaquant l’Ukraine et rompant tout dialogue avec l’Alliance, la Russie a elle-même " invalidé le contenu de cet Acte fondateur ", a souligné M. Geoana dans une interview à l’AFP à Vilnius.

Les Russes " s’y étaient engagés à ne pas agresser les voisins, c’est ce qu’ils sont en train de faire, et à tenir des consultations régulières avec l’Otan, ce qu’ils ne font pas ", a précisé M. Geoana.

Un soldat norvégien lors d’un exercice de l’Otan au nord de la Norvège

L’Acte fondateur " ne fonctionne simplement pas, à cause de la Russie ", a-t-il estimé.

Selon le chef adjoint de l’Otan, l’Alliance n’a désormais plus " aucune restriction " pour se doter d’une " posture robuste sur le flanc est ".

En 2017, l’Otan a déjà déployé des groupements tactiques multinationaux dans les États baltes et en Pologne pour dissuader la Russie, puis envoyé des renforts après l’invasion russe de l’Ukraine fin février.

Un exercice de l’Otan en Macédoine du Nord

Les États baltes souhaitent actuellement une présence de l’Otan encore plus importante et lui demandent notamment de développer des brigades, à la place de groupements tactiques moins importants.

Les ministres de la Défense de l’Otan se réuniront à la mi-juin pour discuter cette question, et les dirigeants de l’Alliance devraient sanctionner les décisions lors du sommet qui se tiendra à Madrid à la fin du même mois.

L’Allemagne fait une entorse à sa constitution pour renforcer son armée

Le gouvernement et l’opposition conservatrice en Allemagne ont trouvé dimanche soir un accord pour faire une entorse aux règles budgétaires de la constitution nationale, afin de débloquer 100 milliards d’euros pour moderniser l’armée face à la menace russe.

Un compromis en ce sens a été acté après des négociations difficiles qui ont duré plusieurs semaines entre les partis de la coalition – sociaux-démocrates, écologistes et libéraux – et la famille politique conservatrice de l’ancienne chancelière Angela Merkel, ont indiqué à l’AFP des représentants de ces mouvements.

L’accord va permettre de remplir la promesse qu’avait faite le chancelier Olaf Scholz fin février après le déclenchement de l’offensive russe une Ukraine: débloquer un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour réarmer le pays au cours des prochaines années et moderniser la Bundeswehr, dont les équipements sont vétustes.

Berlin va dans le même temps pouvoir atteindre l’objectif fixé par l’Otan de consacrer 2% du PIB national par an à la défense. Cet objectif sera atteint " en moyenne sur plusieurs années ", selon le texte de l’accord obtenu par l’AFP.

Le fonds exceptionnel sera financé par de la dette supplémentaire. Et pour cela, il a fallu contourner les règles inscrites dans la constitution nationale, appelées " frein à l’endettement ", qui limitent strictement les possibilités de déficit budgétaire.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement avait besoin de l’appui de la principale force d’opposition, les conserveurs CDU/CSU, car il lui faut une majorité des deux tiers au Parlement pour faire voter cette exception.

Les 100 milliards vont être versés dans un " fonds spécial ", hors budget national.

L’Allemagne a fourni à l’Ukraine des " Panzerhaubitze ", des obusiers lourds automoteurs stationnés en Lituanie.

Les négociations ont été ardues. Non seulement sur la question de l’utilisation de l’argent, mais également sur celle de la politique à l’égard de l’Ukraine, à propos de laquelle gouvernement et opposition s’affrontent depuis des semaines.  Les conservateurs reprochent en particulier au chancelier social-démocrate la timidité de son soutien à Kiev face à la Russie, en matière de livraisons d’armes.

Poutine et le chancelier Scholz lors d’une réunion autour de la fameuse table à la longueur démesurée: un comportement absurde qui en dit long sur l’hypocondrie du président russe
Lavrov dément que Poutine soit malade

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a démenti dimanche que le président Vladimir Poutine soit malade, assurant qu’il n’en présentait aucun signe.  La santé du président Poutine comme sa vie privée sont des sujets tabous en Russie, presque jamais évoqués en public.

Mais en réponse à une question de la chaîne de télévision française TF1, M. Lavrov a déclaré dans un communiqué: " Je ne crois pas que quelqu’un qui ait toute sa tête puisse voir chez cette personne (Poutine) des signes d’une maladie ou d’une affection quelconques ".  M. Lavrov a souligné que Vladimir Poutine, qui aura 70 ans en octobre, apparaissait en public " quotidiennement ".

" Vous pouvez le voir à l’écran, lire ou écouter ses discours ", a-t-il ajouté. " Je laisse ceux qui répandent de telles rumeurs régler cela avec leur conscience, malgré les occasions quotidiennes qu’ils ont de vérifier ce qu’il en est ".

Pur produit de l’ex-Nomenklatura, Lavrov est considéré comme un musée ambulant de l’ancien système opaque de l’époque communiste. Dans ses déclarations, il raconte des mensonges évidents avec calme et sang-froid. Il avait indiqué récemment que la Russie est actuellement agressée par l’Occident qui mène contre Moscou une " guerre totale ". Il avait également accusé l’UE d’être devenue " belliqueuse et agressive ".
A l’Est, la situation s’aggrave et les Russes se renforcent

Pendant ce temps, les forces russes, qui se sont repliées de la région de Kharkiv et ont été redéployées vers le Sud, ont progressé en direction des villes clefs de Severodonetsk, pilonnée sans relâche, et Lyssytchansk, sa ville jumelle, dans le Donbass.

Situées de part et d’autre de la rivière Siversky Donets, elles sont menacées d’encerclement par les forces russes et les séparatistes prorusses, qui cherchent à établir un contrôle complet sur le bassin minier du Donbass.

 

La situation à Lyssytchansk s’est " largement aggravée ", a admis dimanche sur Telegram Serguiï Gaïdaï, le gouverneur de la région de Lougansk, qui avec celle de Donetsk forme le Donbass. " Un obus russe est tombé sur un immeuble d’habitation, une fille est morte sur place et quatre personnes ont été hospitalisées ", a-t-il dit.

A Severodonetsk, " l’ennemi a mené des opérations d’assaut ", selon l’état-major de l’armée ukrainienne. D’après le gouverneur Gaïdaï, l’assaut se poursuit dans la ville avec des combats de rue.

Un blindé mis hors d’usage sur le front de l’Est

" Toutes les infrastructures essentielles sont déjà détruites. 90% des habitations sont endommagées. Plus des deux tiers des habitations de la ville sont complètement détruites ", a énuméré le président Zelensky, évoquant des " bombardements constants ".

" Nous faisons tout ce que nous pouvons pour contenir cette offensive ", a-t-il ajouté, rappelant qu' "il n’y a pas eu un jour où nous n’avons pas essayé de trouver plus d’armes, plus d’armes modernes pour protéger notre pays, notre peuple ".  " La semaine prochaine sera très dure ", avait admis samedi le gouverneur Gaïdaï.

Le dirigeant de la république russe de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, avait revendiqué quant à lui samedi soir sur Telegram que " Severodonetsk est sous notre contrôle total (…) La ville a été libérée ".

Le maire de Severodonetsk, Olexander Stryuk, a alerté sur l’aggravation de la situation sanitaire dans cette ville qui comptait 100.000 habitants avant la guerre. Les " bombardements constants " compliquent beaucoup l’approvisionnement – notamment en eau potable – de la cité, privée d’électricité depuis plus de deux semaines, a-t-il écrit sur Telegram.

Dans un communiqué publié dimanche matin, le ministère russe de la Défense a déclaré que l’armée russe avait détruit " avec des missiles de haute précision de longue portée un important arsenal des forces armées ukrainiennes ", dans la région de Dnipropetrovsk (Dnipro en ukrainien).

Ces missiles ont également visé au cours des dernières 24 heures un système de défense antiaérienne ukrainien près de Mykolaïevka, dans la région de Donetsk, une station radar dans la région de Kharkiv, et cinq dépôts de munitions notamment près de Severodonetsk, selon le même communiqué.

Aux environs de Kharkiv libérée, l’ampleur des destructions est immense

Les autorités séparatistes prorusses de la région de Donetsk ont de leur côté annoncé qu’une femme avait été tuée et trois civils blessés par un bombardement ukrainien sur la ville de Donetsk.

A Soledar, près de la ligne de front, les habitants vivent dans la peur et la résignation. " Où puis-je m’enfuir? Ils tirent de partout, où que vous alliez ", explique à l’AFP Valentyna Pavlenko, 69 ans.

Un peu plus à l’ouest, le ministère russe de la Défense a confirmé samedi la prise de contrôle de la localité de Lyman, qui ouvre la voie aux grandes villes de Sloviansk et Kramatorsk, dans le Donbass.

Le commandant des forces armées du District militaire central de Russie, le général Alexandre Lapine, a salué dimanche " le courage et l’héroïsme " des militaires russes ayant participé à la prise de Lyman.  Dimanche, l’armée ukrainienne a indiqué que le regroupement des forces russes " se renforce " dans ce secteur.

Le patriarche russe Kirill " comprend " la décision de l’Eglise d’Ukraine

Le patriarche russe Kirill a assuré dimanche " comprendre " la décision de la branche moscovite de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine qui a annoncé cette semaine rompre avec la Russie en raison de l’offensive russe chez son voisin ukrainien.

" Nous comprenons entièrement les souffrances actuelles de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, nous comprenons que Sa Béatitude, le métropolite Onuphre (chef de cette Eglise, ndlr) et son épiscopat doivent agir de la manière la plus sage possible pour ne pas compliquer la vie de leur peuple croyant ", a déclaré le patriarche Kirill, lors de la liturgie dans la Cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou.

Patriarche de Moscou et de toutes les Russies, il a dit toutefois prier pour qu’aucun obstacle " temporaire " ne puisse " détruire l’unité spirituelle " des peuples russe et ukrainien.

La branche moscovite de l’Eglise orthodoxe ukrainienne avait annoncé vendredi rompre avec la Russie en raison de l’offensive russe en Ukraine, déclarant " sa pleine indépendance " des autorités spirituelles russes, une initiative historique.

Kirill, " patriarche de Moscou et de toutes les Russies "

Le porte-parole de l’Eglise d’Ukraine, interrogé par l’AFP, a précisé que le concile de l’Eglise avait insisté sur " son rejet total de la position du patriarche Kirill " qui a apporté à plusieurs reprises son soutien à l’opération militaire russe dans ce pays.

L’offensive déclenchée par Vladimir Poutine et le soutien de Kirill à cette opération avait placé l’Eglise ukrainienne encore rattachée à Moscou dans une situation de plus en plus intenable.

Des centaines de ses prêtres avaient signé récemment une lettre ouverte appelant à faire juger Kirill par un tribunal religieux à cause de ses positions sur le conflit.

Le président Zelensky lors d’une visite chez Bartholomée Ier, à Istanbul

L’Ukraine est centrale pour l’Eglise orthodoxe russe, dont certains des monastères les plus importants sont situés dans ce pays.

L’initiative de l’Eglise ukrainienne est le second schisme orthodoxe en Ukraine en quelques années. Une partie de l’Eglise ukrainienne, représentée par le patriarcat de Kiev, avait déjà rompu avec Moscou en 2019 à cause du rôle du Kremlin dans le pays et prêté allégeance au patriarche orthodoxe Bartholomée Ier, basé à Istanbul.

Bartholomée Ier lors de la nomination d’Epiphane patriarche d’une nouvelle église ukrainienne indépendante en 2019.
Embargo pétrolier

A Bruxelles, à la veille d’un sommet de l’UE, les représentants des Vingt-Sept ont examiné dimanche une nouvelle proposition qui exempterait temporairement un oléoduc clé pour la Hongrie d’un embargo progressif de l’UE sur le pétrole russe, afin de tenter de lever le blocage sur leur 6e paquet de sanctions contre Moscou.

Stèle commémorative à la station hongroise de l’oléoduc " Droujba ", " Amitié " en russe, par lequel l’URSS arrosait ses pays satellites lors de la Guerre froide

Ces nouvelles sanctions sont pour l’instant bloquées par la Hongrie, pays enclavé sans accès à la mer et dépendant du pétrole acheminé de Russie par l’oléoduc Droujba, qui lui fournit 65% de sa consommation.

La Serbie prolonge son accord gazier avec Moscou

La Serbie a signé avec Moscou une extension pour trois ans de son accord d’approvisionnement en gaz russe à bas prix, a annoncé dimanche le président Aleksandar Vucic.  C’est " de loin le meilleur deal en Europe ", a affirmé M. Vucic, après un entretien téléphonique avec son homologue russe Vladimir Poutine.

Grâce à leurs liens historiques, une grande partie de la population serbe éprouve toujours une sympathie pour la Russie. Ces nationalistes serbes brandissent une sosie de Poutine ainsi que la lettre " Z ", symbole de l’armée russe durant l’invasion de l’Ukraine

La Serbie qui est candidate pour rejoindre l’Union européenne est restée proche du Kremlin depuis l’invasion de l’Ukraine. Si la Serbie a condamné l’agression russe à l’ONU, elle s’est ainsi refusée à s’aligner sur les sanctions européennes contre Moscou qui continue à lui fournir du gaz à prix d’ami.

Les Lituaniens collectent 5 millions d’euros pour offrir un drone

Les Lituaniens ont collecté plus de 5 millions d’euros lors d’une quête publique destinée à acheter un drone militaire pour l’Ukraine, en soutien à ce pays qui se défend contre l’invasion russe.

Un drone de la firme turque Bayraktar dans une exposition militaire. Le fondateur et actuel propriétaire de Bayraktar n’est autre que le gendre du président Erdogan.

L’argent nécessaire à l’achat d’un drone turc Bayraktar TB2 a été réuni en trois jours et demi, lors d’une collecte de fonds terminée samedi soir tard, dans ce pays balte de 2,8 millions d’habitants.

" C’est probablement la première fois de l’histoire que les citoyens d’un État peuvent acheter et donner des armes aussi lourdes à un autre État ", a déclaré l’influenceur Andrius Tapinas, fondateur de la chaîne locale de télévision en ligne Laisves TV, à l’origine de l’initiative.

Fierté d’Ankara, les drones de combats turcs dont s’est dotée l’Ukraine sont entrés en action aux premières heures de l’invasion russe et, selon Kiev, se sont avérés une arme particulièrement redoutable dans la lutte contre les forces russes.