Les dirigeants des trois premières puissances économiques européennes ont offert jeudi à l’Ukraine la promesse d’une adhésion rapide à l’Union européenne et un soutien militaire sans failles " aussi longtemps qu’il le faudra ". Emmanuel Macron, Olaf Scholz et Mario Draghi ont fait le voyage par train à Kiev où ils ont rencontré le président Zelensky avant de se rendre dans la ville martyre d’Irpin qui, avec Borodianka et surtout Boutcha, ont témoigné des exactions commises par l’armée russe.

Une visite exceptionnelle à plus d’un titre. La première pour ces dirigeants depuis le début de l’invasion russe en février. Les projecteurs étaient braqués sur Macron et Scholtz. Le président français a créé une controverse en appelant " à ne pas humilier la Russie " et à laisser une porte de sortie pour Poutine en maintenant un canal de communication avec le Kremlin, en vue d’une solution diplomatique. Le chancelier Scholz a, quant à lui, été critiquée pour la " froideur " de sa réaction envers la Russie à cause des liens économiques et énergétiques forts entre Berlin et Moscou.

 

Les dirigeants français, allemand et italien ainsi que leur homologue roumain se sont dits jeudi prêts à accorder " immédiatement " à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne, et à la soutenir militairement " aussi longtemps qu’il le faudra ", lors d’une visite conjointe à Kiev.

" Tous les quatre, nous soutenons le statut de candidat immédiat à l’adhésion ", a déclaré le président français Emmanuel Macron, à l’issue d’entretiens avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le chancelier allemand Olaf Scholz, le chef du gouvernement italien Mario Draghi et le président roumain Klaus Iohannis.

" Ce statut sera assorti d’une feuille de route et impliquera aussi que soit prise en compte la situation des Balkans occidentaux et du voisinage, en particulier de la Moldavie ", a ajouté le dirigeant français, qui assume la présidence tournante de l’UE jusqu’au 30 juin.

Olaf Scholz a lui aussi dit espérer une " décision positive " de l’Union européenne sur l’octroi du statut de candidat à l’Ukraine comme à la Moldavie.

Un Zelensky en tenue kaki qui contraste avec le code vestimentaire des trois dirigeants (avec le président roumain Iohannis Klaus), lors de leur arrivée au Palais Marinsky, résidence d’apparat de la présidence ukrainienne.

" L’Italie veut l’Ukraine dans l’Union européenne ", a abondé Mario Draghi. " Le peuple ukrainien défend chaque jour les valeurs de démocratie et de liberté qui sont à la base du projet européen, de notre projet. Nous ne pouvons pas traîner les pieds et retarder ce processus ", a-t-il poursuivi.

Les Vingt-Sept doivent prendre une décision à l’unanimité lors du sommet européen des 23 et 24 juin. Parmi eux, les pays d’Europe de l’Est appuient cette candidature, mais d’autres comme le Danemark ou les Pays-Bas ont exprimé des réserves.

Le président Zelensky a lui souligné que les Ukrainiens " ont déjà mérité le droit " d’être candidats à l’adhésion et qu’ils étaient " prêts à travailler " pour que l’Ukraine devienne " membre de plein droit de l’UE ".

Macron et la controverse sur Poutine

Les dirigeants français et allemand, arrivés à Kiev dans la matinée par train spécial, se sont également engagés à poursuivre leur soutien militaire à Kiev.

" Nous continuerons à le faire aussi longtemps que l’Ukraine en aura besoin ", a déclaré M. Scholz, critiqué depuis des semaines pour tarder à livrer des armes à Kiev.

Emmanuel Macron a annoncé que la France allait livrer à l’Ukraine " six Caesar additionnels ", ces canons automoteurs dont 12 exemplaires avaient selon lui déjà été livrés. Cela constitue au total le quart des stocks de l’armée française de ce type de matériel.

" Il faut que l’Ukraine puisse résister et l’emporter (…) Nous sommes aux côtés des Ukrainiens sans ambiguïté ", avait-il affirmé plus tôt lors d’une brève visite avec ses homologues européens à Irpin, petite ville dévastée par la guerre.

Le président français a été très critiqué en Ukraine pour avoir affirmé qu’il ne fallait pas " humilier " la Russie, et pour maintenir un dialogue régulier avec Vladimir Poutine.

" La décision revient au président Macron, mais je ne suis pas sûr que le président russe soit prêt à entendre quoi que ce soit ", a déclaré M. Zelensky en réponse à la question d’un journaliste à ce sujet.

Des gardes frontières ukrainiens contrôlent les passagers d’un train en provenance de Pologne avant l’arrivée des trois dirigeants européens.

Plus tard, dans un entretien accordé à la chaîne française LCI, Emmanuel Macron a maintenu qu’il n’excluait pas d’échanger à nouveau avec son homologue russe. " Nous sommes du côté de l’Ukraine, mais nous avançons aussi pour éviter toute escalade, c’est notre devoir et je continuerai de le faire ", a-t-il expliqué.

" Nous reconstruirons tout "

Lors de leur visite à Irpin, les dirigeants européens ont déambulé dans les rues, s’arrêtant devant des bâtiments détruits par les combats ou une voiture calcinée, et posant des questions à leur guide, le ministre ukrainien de la Décentralisation Oleksiï Tchernychov.

M. Macron s’est notamment arrêté devant un dessin sur un mur, accompagné du message " Make Europe Not War " (" Faites l’Europe, pas la guerre ") : " C’est le bon message ", a-t-il commenté.

Sous une lourde escorte militaire, le visage grave, les dirigeants européens ont visité la ville d’Irpin.

" Nous reconstruirons tout ", a promis de son côté Mario Draghi. Avant de quitter Irpin, le président français a loué " l’héroïsme " des Ukrainiens, et évoqué " les stigmates de la barbarie, " les premières traces de ce que sont les crimes de guerre. "

Des centaines de civils ont été tués dans les villes d’Irpin, Boutcha et Borodianka, pendant l’occupation russe de cette région en mars. Des enquêtes internationales pour crimes de guerre sont en cours, notamment à la Cour pénale internationale.

Espion russe à la CPI

A ce sujet, les services secrets néerlandais ont annoncé jeudi avoir empêché un espion russe d’accéder en tant que stagiaire à la Cour pénale internationale (CPI), qui siège aux Pays-Bas et enquête sur les crimes de guerre en Ukraine. S’il n’avait pas été démasqué à temps, l’homme aurait pu avoir accès au bâtiment et aux ordinateurs de la cour, recueillir des renseignements et identifier des sources pour le compte du renseignement militaire russe (GRU) pour lequel il travaille.

Sous une lourde escorte militaire, le visage grave, les dirigeants européens ont visité la ville d’Irpin.

En résumé, il aurait pu " influencer les procédures pénales de la CPI ", qui enquête sur les crimes commis en Ukraine depuis le début de l’invasion russe, mais aussi sur la guerre russe en Géorgie en 2008, ont déclaré les services secrets néerlandais (AIVD).

En attendant de connaître la décision de l’UE, le chancelier Scholz a confirmé que M. Zelensky avait " accepté (son) invitation " à participer au prochain sommet du G7, du 26 au 28 juin, en Bavière, puis au sommet de l’Otan qui se déroulera dans la foulée à Madrid.

Terre brûlée

La visite intervenait alors que les forces ukrainiennes sont en difficulté dans le Donbass, région de l’est du pays partiellement contrôlée par des séparatistes prorusses depuis 2014 et que Moscou, après avoir échoué à prendre Kiev, s’est fixé pour objectif de conquérir en totalité.

Les combats se concentrent depuis plusieurs semaines sur Severodonetsk et Lyssytchansk, deux villes voisines clés pour le contrôle du Donbass, soumises à des bombardements constants.

" C’est chaque jour plus difficile, les Russes amènent de plus en plus d’armes dans la ville et essaient d’attaquer depuis plusieurs directions ", a déclaré jeudi Oleksandr Striouk, maire de Severodonetsk. Le chef des forces ukrainiennes, Oleksiy Gromov, a reconnu que la situation était " compliquée ".

Les forces ukrainiennes sont notamment retranchées, ainsi que 500 civils, dans l’usine chimique Azot, emblématique de cette ville qui comptait avant la guerre quelque 100.000 habitants.

Environ 10.000 civils sont encore présents à Severodonetsk, a indiqué jeudi Serguiï Gaïdaï, le gouverneur régional.

" L’armée russe perd des centaines de combattants, mais trouve des réserves et continue de détruire Severodonetsk ", a-t-il affirmé. Mais " nos militaires tiennent la défense ".

Chantages au blé et au gaz

Sur le terrain du bras de fer économique et énergétique avec Moscou autour de cette crise, Mario Draghi a accusé depuis Kiev de " mensonges " le géant gazier russe Gazprom, qui a prétexté de problèmes techniques liés aux sanctions occidentales pour réduire massivement ses livraisons de gaz à l’Europe, le talon d’Achile des Européens face à Moscou.

La vice-Première ministre ukrainienne chargée de l’intégration européenne et euro-atlantique, Olha Stefanishyna, accueillant le président français à la gare de Kiev.

" Il y a en fait une utilisation politique du gaz, tout comme il y a une utilisation politique du blé ", a-t-il dénoncé, en référence aux millions de tonnes de céréales bloquées dans les ports ukrainiens.

Aux Nations unies, le secrétaire américain à l’Agriculture Tom Vilsack a appelé Moscou à " agir immédiatement pour ouvrir ces ports " et à ne " pas utiliser la nourriture comme une arme ".

Emmanuel Macron a accusé Moscou de " bloquer " l’élaboration d’un cadre onusien pour l’exportation des céréales ukrainiennes par voie maritime, et a indiqué sur la chaîne française TF1 dans la soirée que Paris était " en train de travailler à une autre voie, qui est de passer par la Roumanie ", le Danube et les chemins de fer.

Avec AFP