L’ouvrage de Fawaz Hussain Murcie, sur les pas d’Ibn Arabi a été traduit en espagnol. La raison d’être de ce magnifique roman, dont j’ai pris beaucoup de plaisir à rédiger la préface, est de "s’initier" à la pensée d’Ibn Arabi en marchant dans ses pas au sein de la ville où il a vu le jour. L’auteur, né en Syrie au sein d’une famille kurde, nous invite à un voyage de Damas – lieu où se trouve le tombeau du maître – jusqu’à Murcie, celui de sa naissance. L’enjeu du livre est multiple et, plus qu’un roman, nous sommes en présence d’un ouvrage d’une grande érudition qui nous ouvre à la pensée d’Ibn Arabi, nous offre une leçon d’histoire en nous ôtant toute illusion sur ce que fut durant sept siècles Al-Andalus. 

Ce beau roman de Fawaz Hussain est à mettre entre toutes les mains. Il réussit le tour de force de nous rendre Ibn Arabi familier et de donner raison à L’émir Abdelkader, deux grands maîtres qui ont reposé à Damas, si proches l’un de l’autre, mais si loin en pensée de tant de musulmans…

Marcher dans les pas d’Ibn Arabi pourrait être l’œuvre de toute une vie. Suivre les pérégrinations du "maître des maîtres" entre l’Andalousie, le Maghreb et le Proche-Orient, reviendrait à abandonner son existence à la quête perpétuelle de la Vérité durant un processus initiatique sans fin. Et que dire de son œuvre littéraire, si féconde; il ignorait lui-même le nombre d’ouvrages qu’il avait écrits! La pensée d’Ibn Arabi (1165-1240) est si complexe, hermétique et fascinante, qu’elle fait aujourd’hui l’objet d’études universitaires aussi nombreuses qu’absconses. Elles nous paraissent réservées aux grands érudits ou aux étudiants en théologie. En profane, voire en ignorant que nous sommes, la pensée d’Ibn Arabi nous était alors interdite, jusqu’à la lecture de l’ouvrage de Fawaz Hussain.

Car c’est avant tout la raison d’être de ce magnifique roman: "s’initier" à la pensée d’Ibn Arabi en marchant dans ses pas au sein de la ville où il a vu le jour. L’auteur, né en Syrie au sein d’une famille Kurde, nous invite à un voyage de Damas – lieu où se trouve le tombeau du maître – jusqu’à Murcie, celui de sa naissance. L’enjeu du livre est multiple et, plus qu’un roman, nous sommes en présence d’un ouvrage d’une grande érudition qui nous ouvre à la pensée d’Ibn Arabi, nous offre une leçon d’histoire en nous ôtant toute illusion sur ce que fut durant sept siècles Al-Andalus: "Le mythe d’une Hispanie musulmane exemple d’harmonie religieuse, culturelle et sociale ne tient pas debout." (p. 107) L’auteur nous rappelle également ce qu’est devenu l’islam contemporain:

"Quant aux Arabes des pays du Golfe, ceux qui prétendaient être de vrais musulmans au service des lieux saints, ils étaient plutôt la honte de la Création et de l’islam. Il n’y avait pas si longtemps, ces Bédouins se lavaient encore les cheveux avec l’urine des chameaux. Ils finançaient à présent la construction des mosquées salafistes partout dans le monde, mais leur fin était proche. Les poches bourrées de pétrodollars, ces mécréants avaient transformé les capitales comme Damas, Le Caire et surtout Beyrouth en d’immenses bordels."

Puisse Fawaz Hussain, auteur courageux, être entendu et surtout que ses paroles soient prophétiques. Ce que nous devons à la philosophie arabe, inspirée de la sagesse grecque alors volontairement perdue par l’Occident chrétien, ("sage" est l’un des 99 noms de Dieu dans le Coran) est immense, et en particulier dans le domaine des sciences. Ibn Arabi est peut-être le plus grand philosophe arabe de tous les temps. J’y ajouterai, à titre personnel, Mansur al-Halladj et Farid al-Din Attar dont Le Cantique des oiseaux – dans la traduction de Leili Anvar – est une pure merveille.

Ibn Arabi était le philosophe de l’amour – il faut lire son Traité de l’amour – et quand le narrateur croise la "beauté suprême" en visitant le tombeau d’Ibn Arabi, on comprend que c’est une apparition théophanique; l’image de Nizam, cette jeune femme particulièrement instruite, fille d’un maître soufi et qui inspira au "maître des maîtres" des poèmes d’amours contenus dans L’Interprète des nostalgies. Et lorsqu’il s’en ouvre au mystérieux Miguel qui, durant l’espace de quelques heures irréelles, l’accompagne dans les pas d’Ibn Arabi à Murcie, il le rassure:

"Quand on vit avec lui, je veux dire par là quand on vit avec sa pensée, on est sujet à ce genre de visions, d’apparitions, de rêves diurnes, de théophanies. Je pense qu’il riait sous sa cape en vous voyant dans cet état extatique, les traits métamorphosés par le souffle de la beauté suprême. Vous n’avez rien à vous reprocher, le Prophète de l’islam avait dit: ‘Allah est beau et Il aime la beauté.’ Je peux vous confirmer que c’était ce que le maître attendait de votre visite, devrais-je dire de vos retrouvailles. Qu’avons-nous à faire d’une tombe, de quelques coudées de tissu vert et de bloc de marbre?"

On ne peut qu’apprécier la lecture et la double intrigue amoureuse de ce roman. Le style est poétique, didactique. Chaque page retient le penseur sur le chemin de la vérité, qui est celle du philosophe arabe. Il est impossible de se détacher du livre de cet auteur exilé en France, car l’exil est aussi le thème du roman. C’est un auteur méditerranéen et talentueux que nous suivrons.
Il y a un autre grand personnage de l’islam, qui a connu l’exil en France, et dont le vœu était de reposer auprès d’Ibn Arabi qu’il nommait: "le plus grand de tous les maîtres". C’est l’émir Abdelkader. Selon son souhait, le maître soufi est inhumé à Damas le 26 mai 1886, mais ses cendres ont été rapatriées en Algérie en 1966. Il avait écrit: "Si les musulmans et les chrétiens me prêtaient attention, je ferais cesser leurs divergences et ils deviendraient frères à l’intérieur et à l’extérieur ; mais ils ne m’écouteront pas, parce qu’il est préétabli dans la science de Dieu, qu’ils ne se réuniront pas dans une même pensée…"

Le magnifique roman de Fawaz Hussain est à mettre entre toutes les mains. Il réussit le tour de force de nous rendre Ibn Arabi familier et de donner raison à L’émir Abdelkader, deux grands maîtres qui ont reposé à Damas, si proches l’un de l’autre, mais si loin en pensée de tant de musulmans…