Le vendredi 3 mars, en l’église du Sacré-Cœur de Neuhausen, l’orchestre et le chœur de la Radio bavaroise proposaient, en création mondiale, une lecture de deux chefs-d’œuvre musicaux du compositeur et organiste libanais Naji Hakim, l’Ave Maria (2017) et la Messe solennelle (1999), dans leur version pour chœur et orchestre, où maîtrise musicale, lyrisme velouté et spiritualité éthérée s’intriquaient à la perfection. Le concert fut radiodiffusé le dimanche 12 mars sur BR-Klassik.

"Ô temps, suspends ton vol! Et vous, heures propices, suspendez votre cours!", écrivait Alphonse de Lamartine (1790-1869) dans Le Lac, un de ses célèbres poèmes paru dans les Méditations poétiques en 1820. Il est, en effet, des moments où le temps, à l’image des montres molles de Salvador Dalí (1904-1989), se libère des dogmes de la mesure pour s’éterniser dans l’ineffable splendeur d’une communion musicale. Les chefs-d’œuvre du compositeur Naji Hakim sont justement imprégnés de ce délicat parfum d’éternité qui a embaumé, le 3 mars dernier, la nef de l’église du Sacré-Cœur (Herz-Jesu-Kirche) du quartier de Neuhausen à Munich. En effet, pour son deuxième concert de la série "Paradisi gloria", l’Orchestre de la radio de Munich a choisi de faire découvrir la musique du célèbre compositeur et organiste libanais dont la ferveur et le jusqu’au-boutisme des conceptions musicales lui auraient permis d’atteindre les cimes de la renommée et de la gloire. Entre louanges mariales éclatant de sève sacrée et finesse d’expression regorgeant d’une opulente palette sonore aux couleurs féériques, la phalange allemande a convié l’auditoire à un pèlerinage musical jusqu’au sommet de deux créations mondiales de Naji Hakim: la Messe solennelle (1999) et l’Ave Maria (2017) dans leur version pour chœur et orchestre.

Exubérance harmonique

Attentif au discours harmonique, Wayne Marshall dirige l’orchestre et le chœur de la Radio bavaroise avec précision, dosant scrupuleusement les effets de clair-obscur dont foisonne la fantaisie de Naji Hakim sur le célèbre Ave Maria de Franz Schubert (1797-1828) dépeignant, selon l’expression-clé de la note de programme du compositeur, une "foule immense de pèlerins". L’esthète libanais suggère une myriade de couleurs orchestrales à la manière d’un peintre illustrant de véritables tableaux sonores. Un noble mélange de perles dans le lied de Franz Schubert, joué en cantus firmus par les cuivres, s’allie à la passion voire l’exubérance harmonique des cordes, qui se manifeste par un mouvement perpétuel en arpèges, figurant les ailes des anges-pèlerins grouillant, dansant d’amour et de joie. Il y a une poésie, une pétulance, une jubilation surgissant de l’abysse d’une pléiade de sonorités massives. L’orchestre allemand intaille ses lignes mélodiques aux cuivres qui doublent ou harmonisent le lied schubertien; crée des vagues impressionnistes, mises en exergue par des successions de crescendo et de decrescendo, aux cordes et aux bois qui revêtent, sous la plume de Naji Hakim, une texture organistique; et insuffle une sensation féérique au travers de candides gazouillis à la harpe et de scintillantes étincelles sonores au glockenspiel. Les diverses voix du Chœur de la Radio bavaroise sont soyeusement taillées et sculptées, enveloppant élégamment les élans orchestraux presque stravinskiens. La texture sonore se densifie et se diversifie dans un passage figurant la supplication, faisant monter la tension pour finalement s’interrompre dans une conclusion éthérée.

Couleurs sonores hétéroclites

Dans la Messe solennelle, Wayne Marshall parvient à porter l’éloquence du discours orchestral à son paroxysme. La prestation de la phalange allemande atteint ainsi un sommet inouï de théâtralité, faisant jaillir tout un nuancier de couleurs sonores hétéroclites, reflet d’un cumul d’influences, autant la musique et l’orchestration sont imbibées d’un figuralisme prononcé. On y voit et ressent des influences de George Gershwin (1898-1937), de Claude Debussy (1862-1918), de Paul Dukas (1865-1935), et d’Igor Stravinsky (1882-1971). Les musiciens prêtent, dans le premier mouvement, Kyrie, une attention particulière aussi bien aux tutti cataclysmiques qu’aux soli suaves, instillant ferveur, chaleur et rutilance, sans pour autant sacrifier la structure (complexe) de l’œuvre sur l’autel de l’expressionnisme. Tout au long de cette messe, on assiste à des changements constants de chiffrages de mesure, oscillant incessamment entre mesures binaires, ternaires, quaternaires et mixtes, ce qui permet au compositeur de rompre savamment la périodicité de l’alternance des temps forts et faibles. Les variations dans le caractère et les articulations de la partition hakimienne sont scrupuleusement soulignées dans le deuxième mouvement, Gloria, transportant l’auditeur dans les contrées vertigineuses d’une orchestration haletante qui recèle des joyaux contrapuntiques d’une splendeur séraphique, notamment les canons à quatre voix, des progressions dynamiques mettant en relief une frénésie rythmique jubilatoire, et une certaine seconde diminuée fugace au parfum orientaliste incertain. Cette atmosphère animée accompagne l’orchestre et le chœur tout au long du (bref) troisième mouvement, Sanctus, où l’exotisme orientaliste se fait plus marquant. Fidèle à la partition, le chœur fait preuve d’une honorable précision, d’une délectable cohérence, et d’une élégance rare qui ne finit pas d’impressionner. Dans le quatrième et dernier mouvement, des réminiscences messiaeniennes surgissent des lignes mélodiques d’une ductilité agréable, et des couleurs harmoniques emplies de lumière. La prière est exaucée dans un triple piano final assourdissant.