La nouvelle tarification des télécommunications au Liban requise par le ministre Johnny Corm, pour que le secteur puisse survivre et que le service minimum soit assuré, sera discutée et devrait être approuvée en Conseil des ministres la semaine prochaine, lors de la dernière séance du cabinet, le 19 mai. Toutefois, les spécialistes s’insurgent. 

Le ministre des Télécommunications Johnny Corm estime qu’il est désormais impossible que le secteur des télécommunications persiste sans augmentation des tarifs. En effet les opérateurs de télécoms sont à court de liquidités à cause de la dépréciation de la livre libanaise et de l’encaissement des factures au taux officiel de 1.500 LL ce qui provoque des pannes et des perturbations (disparition de la 4G, coupure des communications) de plus en plus fréquentes sur le réseau.

Contacté par Ici Beyrouth, le ministre Corm "espère bien que la nouvelle tarification sera adoptée en Conseil des ministres". Pour lui, si elle n’est pas adoptée "nous allons droit à l’arrêt de la télécommunication au Liban". "Alfa et Touch ne pourront pas se maintenir. Quant à Ogero, il le pourra à la rigueur puisqu’il a l’opportunité d’emprunter de l’argent à l’État tout comme EDL. Ils perdent et ils empruntent de l’argent en sachant bien qu’ils ne pourront jamais le rembourser. Alfa et Touh n’ont pas ce privilège et donc cela va être le désastre", ajoute-t-il.

En empruntant de l’argent, le ministère des Télécommunications suit la même voie que celui de l’électricité, "et cela ne doit pas arriver", insiste Johnny Corm.

Pourtant ce ministère a engrangé beaucoup d’argent avec la téléphonie mobile, les contrats d’achat et la tarification, qui avant la dévaluation de la livre étaient parmi les plus chers au monde. Où est donc passé tout cet argent? Sûrement encore dans les méandres de la corruption qui gangrène tous les ministères.

Le ministre Corm propose pour ce qui est des opérateurs Alfa et Touch  "de diviser l’ancien tarif par 3 ou 4 et le multiplier par le taux de Sayrafa", explique-t-il. Donc si la facture était de 100 dollars, elle tomberait à 25 ou 33 dollars et serait multipliée par 22.500 (taux Sayrafa de lundi) ce qui fait 562.500 LL ou 742.500 LL.

"Concernant les prix d’Ogero calculés en livres libanaises, ils seront multipliés par 2,43 en moyenne. Les études faites par le ministère montrent qu’avec cette grille, le secteur des télécoms pourra fonctionner", poursuit M.Corm… "si le taux de Sayrafa reste en dessous de 27.000 LL contre un dollar  sinon il faudra réviser les prix encore une fois", précise le minsitre .

Concernant la grogne des utilisateurs et leurs difficultés à payer, le ministre la comprend, mais il affirme devoir augmenter les prix pour maintenir le secteur en marche. "De plus, nous avons gardé des options pour les personnes à bas revenus avec Alfa, Touch et Ogero. Ainsi à titre d’exemple chez Ogero, il y avait un programme qui coûtait 26.000 LL pour 40 gigabytes, nous les avons multipliés par 2 donc 80 gigabytes à 60.000 LL", explique Corm.

Alfa et Touch: urgence de l’amendement des tarifs

De leur côté, les deux opérateurs de télécommunications cellulaires, Touch et Alfa, ont fait savoir dans un communiqué que l’adoption d’un décret d’amendement de la grille de la tarification des communications cellulaires est désormais un besoin urgent et impératif pour assurer la pérennité du secteur, sinon celui-ci sombrera dans l’inconnu et affectera l’avenir des secteurs public et privé.

Selon les chiffres combinés des deux sociétés, leur revenu annuel, qui était d’un milliard et 400 millions de dollars en 2018, a chuté à 75 millions selon le taux de change du marché noir. En revanche, les deux entreprises ont pu réduire leurs dépenses annuelles de 560 millions de dollars en 2018 à moins de la moitié, soit près de 255 millions de dollars. Toutefois, à ces dépenses, s’ajoutent les redevances aux fournisseurs dues sur une période de trois ans dont la valeur est de 40 millions de dollars par an ce qui équivaut à 295 millions de dollars, quatre fois le revenu qui est actuellement de 75 millions de dollars. Pour eux, il est donc nécessaire d’approuver un décret modifiant les tarifs le plus rapidement possible pour endiguer cette baisse des revenus et pouvoir maintenir la continuité du secteur.

Un nouveau secteur de l’électricité

Pour Nassib Ghobril, chef économiste de la banque Byblos, il est absolument anormal d’augmenter les tarifs des télécommunications. Ce secteur est devenu tout comme celui de l’électricité un gouffre financier.  "Le secteur des télécommunications et spécialement des cellulaires souffre des mêmes problèmes que celui de l’électricité. Tout d’abord le monopole de l’État, l’interférence politique et le manque de supervision indépendante. Une Autorité de régulation des télécommunications avait été établie, mais elle n’a pas pu fonctionner de façon indépendante, régulière et propre. Tout cela pour que les politiciens puissent faire ce qu’ils veulent dans ce secteur qui n’est pas soumis à la concurrence. De plus l’État impose les tarifs. Il fallait intégrer une troisième compagnie et laisser le marché déterminer la concurrence. Ce marché aurait dû être un pilier de la compétitivité libanaise, mais il a été transformé en poids lourd. En 2006, le Crédit Suisse a fait une évaluation des deux compagnies de téléphonie mobile: environ 3 milliards de dollars chacune. Sans oublier l’ingérence des politiciens dans ce secteur que ce soit à travers les dépenses inutiles sur des sponsorisations ou via les 400 personnes qui appartiennent à des partis politiques qui ont été imposées aux compagnies. Les dépenses ont augmenté et les rentrées de ce secteur ont baissé. Je pense que nous sommes le seul pays au monde ou presque où le secteur des télécommunications est encore aux mains de l’État", explique-t-il.

"Nous avons fait reculer de 70 ans ce secteur qui était avant-gardiste dans le monde arabe, à cause de cette mauvaise gestion, et l’indice le plus éloquent est que le ministère nous dit qu’il est obligé d’augmenter les tarifs. Ceci est choquant", se révolte Ghobril.

"Le secteur était et peut continuer à être une source majeure de revenus pour le trésor public, mais à cause de cette mauvaise gestion, de l’ingérence politique et des employés imposés, il est déficitaire. A noter que la plupart des salaires du secteur des cellulaires sont versés en dollars", poursuit-il. "C’est un exemple de la façon avec laquelle on ruine un secteur", conclut-il.