Quels que soient les résultats des urnes la nuit du 15 mai après la fermeture des bureaux de vote, une fois que les électeurs libanais auront choisi leurs nouveaux représentants à la Chambre, le Liban aura indéniablement rendez-vous le lundi 16 mai avec un jour nouveau, différent mais qui n’est pas forcément rose.

La plupart des experts électoraux excluent en effet un tsunami électoral qui produirait une nouvelle majorité parlementaire sensiblement différente des précédentes et capable de modifier la donne sur l’échiquier libanais, voire de s’associer rapidement avec le gouvernement qui serait mis en place, pour mettre en œuvre le processus censé aider le Liban à sortir progressivement de sa crise.

Un nouveau Parlement verra donc le jour le 16 mai dans un contexte de crise excessivement aiguë, appelée malheureusement à s’aggraver parce que la période de répit à laquelle les Libanais ont eu droit durant la période électorale était trompeuse. Le sentiment que la crise s’est tassée a été entretenu ces dernières semaines par certains à des fins électorales, alors que la réalité est autre: le Liban est au bord d’une explosion sociale, alors que les réserves en devises de la Banque centrale sont sur le point de s’assécher.

Dans ce contexte, le professeur Maroun Khater, enseignant-chercheur en finance et en économie, prévient que "même si l’accalmie sur le plan financier se poursuivait, elle ne durera pas longtemps avec l’épuisement imminent des réserves de la BDL qui l’empêchera d’intervenir sur le marché des changes, de le stabiliser et d’en contrôler le taux". Par conséquent, estime-t-il, la situation sera "particulièrement difficile après les élections".

Les priorités immédiates de la seconde quinzaine de mai ne se limitent cependant pas aux questions économiques et financières puisque des échéances politiques importantes s’imposent, dont notamment la désignation d’un Premier ministre censé former aussitôt un gouvernement pour poursuivre les négociations avec le FMI. Quelques mois plus tard, en octobre, le Liban a rendez-vous avec la présidentielle dont beaucoup redoutent qu’elle n’aura pas lieu dans les délais constitutionnels, ce qui laisse craindre un vide institutionnel comparable à celui qui avait suivi la fin du mandat de l’ancien président de la République Michel Sleiman.

Le long chemin vers la reprise économique

Le directeur de l’Institut des affaires stratégiques du Moyen-Orient, Sami Nader, estime pour sa part que la situation sur le plan économique restera inchangée après les législatives: "Nous sommes finalement au plus profond de la crise, et même si un miracle se produisait avec une percée importante de l’opposition lors des élections, sortir du marasme nécessitera un long processus et un ensemble de réformes qui seront difficiles". Dans un entretien à Ici Beyrouth, il estime que "dans le pire des cas, la majorité restera entre les mains du pouvoir en place, et les partis maintiendront leur présence, ce qui entretiendra le statu quo en termes de blocages politique et économique". "Concrètement cela se traduira par une nouvelle détérioration qui fera que le dossier libanais restera bloqué et tributaire des développements régionaux", estime-t-il.

L’expert constitutionnel et membre de la coalition d’opposition Chamalouna, Rabih el-Chaër, convient que la priorité à la suite des élections devrait être "d’éviter un effondrement économique encore plus grave, en signant un accord avec le FMI et en mettant en œuvre un plan de redressement et un ensemble de réformes". Selon lui, celles-ci doivent commencer par une véritable loi sur le contrôle des capitaux, "à condition que nous soyons informés à l’avance de la situation réelle des banques et de leur restructuration, en passant par la libération du taux de change selon la méthode Crawling peg, la restructuration du secteur public, l’activation de la perception des impôts et la mise en place de l’impôt progressif". Il évoque aussi "l’abolition du secret bancaire, la préservation des avoirs des petits déposants et l’évaluation du statut des gros déposants et leur inclusion en tant qu’actionnaires des banques après leur restructuration, afin de gérer les actifs de l’État d’une manière moderne et conforme aux normes internationales". M. el-Chaër souligne à Ici Beyrouth qu’"il s’agit d’un processus de réforme majeur, qui nécessite surtout de réduire la taille de l’État, restaurer la confiance dans l’économie et les investissements étrangers, créer de l’emploi, soutenir les exportations, restructurer la balance des paiements et fixer un budget conforme aux normes modernes, à savoir une loi de finance basée sur une vision et un programme".

La nécessité absolue d’engager des réformes est partagée par Maroun Khater. Ce dernier considère que "le FMI a donné au Liban via l’accord préliminaire une opportunité qui risque d’être la seule, si une feuille de route claire des réformes n’est pas élaborée et poursuivie", excluant la signature d’un accord définitif avec le Fonds avant 2023. Et d’aborder le contexte politique qui pèse de tout son poids sur la crise, notamment l’isolement arabe et international du Liban. Selon lui, la fin de cet isolement est tributaire de deux facteurs principaux: les résultats des élections législatives et l’évolution des négociations internationales et régionales.

Craintes pour les échéances à venir

M. Khater évoque plusieurs priorités pour le prochain Parlement, "la première, existentielle, s’exprime par la désignation d’un Premier ministre pour former un nouveau gouvernement à une vitesse record afin d’empêcher l’équipe actuelle d’expédier les affaires courantes d’autant qu’elle s’est montrée incapable de gérer la crise". M. Khater souligne ensuite l’importance que cela soit suivi "des préparatifs de l’élection présidentielle pour éviter un vide au sommet de l’État qui nous mènera à un vide à une plus grande échelle".  Selon lui, "le nouveau gouvernement et le nouveau président de la République sont censés former un tandem réussi pour inciter à l’adoption de nombreuses lois et réformes tel qu’exigé par le FMI". "Le Liban a grandement besoin d’un plan de relance global, d’une loi sur le contrôle des capitaux, de la réduction de la taille du secteur public et de la restructuration des banques". Enfin, M. Khater estime que "si nous réussissons à réaliser tout ce qui précède, nous aurons l’occasion de sortir de la crise et de voir le bout du tunnel". "Sinon, la situation s’aggravera et nous planterons le dernier clou dans le cercueil du progrès économique", conclut-il.

Il apparaît clair de ce qui précède, à quel point la situation au double plan politique et économique est liée aux résultats des législatives. Sami Nader s’attend au mieux à "une amélioration et non pas à un changement radical de la représentativité au Parlement, puisque les conditions d’un changement majeur ne sont pas réunies en raison de plusieurs facteurs, notamment le manque d’unité de l’opposition et la loi électorale actuelle". Et d’ajouter: "En tout état de cause, cela peut contribuer à favoriser un équilibre au pouvoir et à donner une indication à la communauté internationale sur la vivacité de la société libanaise".

Pour ce qui est du contrôle exercé par l’Iran sur le pouvoir de décision au Liban, ce ne sont pas les résultats des législatives qui vont pouvoir le neutraliser, même si la Chambre restera l’un des théâtres de la confrontation entre le Hezbollah et ses alliés et les forces hostiles à l’hégémonie iranienne. Pour affaiblir celle-ci, l’effort interne doit pouvoir bénéficier d’un suivi externe puisque le pouvoir de blocage des forces alliées à Téhéran est le même, qu’elles constituent une minorité ou une majorité.