L’identité se définit habituellement comme un sentiment qui permet à un sujet, en dépit de l’écoulement du temps, de se reconnaître comme étant toujours le même. Le fondement de cette identité procède de l’histoire personnelle de chacun dans l’interaction entre l’intrapsychique et l’interpsychique. Il relève de nombreuses variables telles que la relation affective et éducative entre les parents et les enfants, la transmission générationnelle, les déterminants psychosexuels, les effets de la dénomination, les échanges avec l’environnement socioculturel, etc.

La présence de toutes ces variables montre bien combien complexe peut s’avérer la construction de l’identité individuelle. Ces éléments primordiaux subiront des transformations continuelles et seront susceptibles de causer des vacillements identitaires tout au long de l’existence. On peut donc dire que l’identité s’organise et se réorganise en permanence, soutenue par le désir d’agir en tant que créateur de son aventure existentielle. Et, pour ajouter encore plus de complexité sinon de paradoxe, on ne se reconnaît et l’on n’est reconnu dans son identité que dans sa différence.

Toutefois, le sentiment d’identité ne relève pas uniquement des expériences conscientes. Il se dévoile surtout par les jaillissements inattendus de l’inconscient tels qu’ils se manifestent dans les rêves, les actes manqués ou les symptômes. Ce sont ces formations-là qui témoignent de la vérité intrinsèque d’un sujet. Ils sont indicateurs d’un être humain sujet de son inconscient, à qui une partie de son identité/vérité profonde lui échappera toujours.

Dans le cadre limité de ce texte, je vais surtout insister sur les premiers liens qui se déploient entre la mère et l’enfant et qui vont former la genèse de la construction de l’identité. Parce qu’à l’encontre de ce que pensent de trop nombreux adultes encore, un enfant, à sa naissance, est doté d’un ensemble de capacités, notamment d’une grande sensibilité à son environnement dont l’héroïne principale, pour lui, est la mère ou son substitut.

La forme initiale du balbutiement identitaire apparaît avec la première rencontre de deux regards : celui du nourrisson rivé à la prunelle de sa mère.

Le psychanalyste anglais D. Winnicott pose la question suivante : " Que voit le bébé quand il rencontre le regard de sa mère ? " Et il répond : il se voit lui-même. Le regard maternel est le premier miroir dans lequel il se reflète. S’il s’y voit attendu, désiré, s’il ressent le bonheur porté par le regard amoureux de sa mère, alors un état réconfortant de bien-être et d’amour l’envahit. Si, en revanche, ce regard est absent, non désirant ou défaillant, il est saisi d’une grande angoisse dont les conséquences peuvent être graves pour son développement somatopsychique. (Petite précision : il n’existe pas d’instinct maternel. C’est plutôt de sentiment maternel qu’il faut parler, lié aux premières perceptions infantiles de la mère.)

C’est le même processus qui se déroule lorsque l’enfant saisit les intonations affectives modulant les mots prononcés. Celles-ci lui renvoient des sentiments exprimant le plaisir de sa présence, de sa dénomination, de son sexe, ou le contraire. Ce sont ces manifestations inconscientes de l’adulte, et du premier d’entre eux qui est la mère, premier modèle identificatoire fondateur pour la fille comme pour le garçon, qui sculptent les premières configurations de la personnalité de l’enfant. Cette relation intersubjective naissante engendre un début de sentiment d’identité, particulièrement lors de la phase de " dépendance absolue " (Winnicott) durant les trois ou quatre premiers mois de la vie. Mais pour se construire comme sujet – et on retrouve à nouveau la complexité que j’ai mentionnée –, l’enfant doit, progressivement, effectuer un processus de désidentification à cette même image maternelle, afin de ne pas se retrouver aliéné dans le désir de l’autre.

Il pourra y parvenir avec l’aide d’une mère qui aime véritablement son enfant. Car il n’est d’amour vrai que dans la séparation, dans l’acceptation de la différence de soi. De ce fait, la tâche de la mère sera d’aider son enfant à se séparer, à se détacher d’elle, ce qui, dans nos sociétés orientales, ne lui sera pas facile. Elle y sera encouragée grâce à la disposition à la créativité déjà présente chez le tout petit enfant. Le processus de subjectivation pourra dès lors s’enclencher, enchantant l’enfant de se découvrir acteur de ses expériences précoces. Il ressentira le plaisir d’être vivant, inventif, actif, souche sur laquelle se greffera le vrai self, c’est-à-dire le sentiment d’être soi-même. En revanche, l’enfant aura tendance à développer un faux self, un faux sentiment de soi, lorsque sa créativité lui sera interdite par une mère qui lui impose son propre désir et qui le force à la soumission. Le vrai self stimule le désir d’exister par soi-même, alors que le faux self asservit son existence à l’autre.

La période œdipienne constituera, un peu plus tard, une étape essentielle dans la construction identitaire, particulièrement dans la manière dont le complexe d’Œdipe sera résolu vers l’âge de 7 ans. Cela mériterait un plus long développement qui sera dépasserait les limites de cet article. Contentons-nous de souligner qu’avec la fin de la période œdipienne et si tout se passe bien, une première organisation de la personnalité se verra édifiée, quitte à être bouleversée à l’adolescence. Il faudra attendre l’âge adulte pour qu’une structuration psychique de la personnalité soit définitive.

Nous vivons de nos jours dans un ensemble mondialisé qui impose des normes de comportements, une quantification des vécus subjectifs, une scientificité forcée et la généralisation de l’esprit grégaire. Il pousse aux satisfactions pulsionnelles immédiates par la stimulation à la consommation de toutes sortes d’objets matériels ou humains. Il incite à l’uniformisation, au conformisme et à la normativité, contribuant ainsi à une perte du sentiment d’identité individuelle, à l’asservissement aux afféteries de la mode ou à se fondre dans une mouvance identitaire exclusive.