C’était la guerre de libération… Quelle libération?

Il y en a eu tellement que mes souvenirs sont envahis par la confusion des dates, la schizophrénie des amitiés guerrières hautement lyriques et des mésalliances tout autant poétiques.

Des projets de libération en chaîne ont rythmé une terre féconde depuis une cinquantaine d’années! il fallait arracher comme un clou symbolique l’ennemi du Sud, puis l’ennemi du Nord et pourquoi pas les deux en même temps.

Mais au Liban, la libération fut et restera surtout un projet interne! Non, pas une guerre civile! Quelle odieuse interprétation de l’Histoire, plutôt une guerre contre les traîtres! Un traître est pire qu’une Légion étrangère, il met sa cupidité au service de la géopolitique. II faut le démembrer, le traîner à moitié mort sur le bitume chaud pour montrer l’exemple.

Mais un jour, le bitume refroidit et la brume s’estompe, le traître n’en était pas vraiment un et au final, pourquoi tant de haine? Pas de chance pour ceux qu’il a fallu sacrifier, ils n’étaient pas si mauvais en fin de compte.

Des liens fraternels se recréent, on sabre le champagne qui pétille allègrement dans le caniveau rouge abreuvé par du sang des victimes collatérales de la noble cause. Entre frères, on peut s’entretuer, c’est de bonne guerre, mais on s’aime tellement que l’amour, plus fort que tout, tisse un voile épais sur le carnage romantique de nos guerres enfantines! On se rappelle le petit café convivial du matin entre citoyens de tout bord. "Ni avec toi ni sans toi", aurait dit un personnage de Truffaut! Et hop, au nom de la convivialité de pacotille, on amnistie tout ce beau monde autour d’une table en bois de cèdre pur, recouvert des volutes de cigares d’une élite sapée en costume 3 pièces d’un blanc immaculé. Chacun y va de ses commentaires élogieux pour l’adversaire farouche qui au final n’avait pas tort, défendait très justement des idées. Quoi de plus beau que de "mourir pour des idées, oui, mais lesquelles"?

Des questions tourmentent les puissants seigneurs. Fins tacticiens, ils tiennent des conciliabules bien lovés dans un canapé. Des idées fusent, des suspicions sont distillées dans un murmure comme dans une série médiocre de Netflix. Et si le traître était finalement l’ami, le frère pour qui ils étaient prêts à envoyer, à coup de hache, dans les catacombes de l’Histoire tous les morveux de la terre?

La sempiternelle faconde orientale s’inverse, les vassaux hautement écervelés applaudissent à tout rompre le vizir éclairé qui a su discerner les vrais martyrs de la mauvaise graine! Encore un clou à arracher, cette fois ce sera le dernier, promis juré. Mais le clou de l’amitié est terrible, il est enraciné comme un chêne robuste et fier, la déception n’en est que plus grande, la vengeance sera terrible.

C’était la guerre de libération… Quelle libération?

Je ne savais pas grand-chose de tout ça, mais la vengeance s’est abattue sur moi. Je ne voulais pas être leur ennemi et surtout pas leur ami, je voulais juste qu’ils me foutent la paix. Avec mes parents nous nous sommes retrouvés dans un couloir lugubre, des voisins que nous connaissions à peine respiraient le même air imprégné de soufre et de sueur, une solidarité entre inconnus, heureusement ni ennemis ni amis, s’est tissée au fil des semaines. Nous n’avions pas besoin de sabrer le champagne, car nous n’avions rien à célébrer, mais il y avait le réconfort du malheur partagé, l’amour brut presque animal, sans rhétorique ni poésie inutile de la famille et la camaraderie simplement humaine des compagnons de l’abri d’infortune.

Je contemple aujourd’hui ce moment comme la scène d’un film, j’y supprime le son des bombes et la vocifération médiatique des machiavels de bistrot. Mon regard humide se pose sur cet instant fragile et je me répète dans un moment de lucidité inespérée:
Libération!
Aliénation!
Aliénation d’une nation!