Mes doigts s’emberlificotent dans la construction de l’hélicoptère en miniature. " Tu n’es bon à rien ", me lance mon père. " Tu n’as rien de bon ", enchaîne ma mère.
Je n’étais qu’un bricoleur en herbe. Les cadeaux de Noël ne sont plus de l’ordre de briques en bois pour construire une maison sous le toit de laquelle on n’habitera pas. Je suis entouré de vis, d’écrous, de plusieurs pièces métalliques, d’une notice de montage qui s’empêtrait dans mon esprit plus qu’il ne l’était déjà ; et d’un jeu de construction Meccano qui est supposé stimuler l’imagination, multiplier par cent la concentration et rendre la logique exponentielle.
Mon frère avait la logique et l’imagination qui me faisaient défaut. Il en avait pour dix. Je l’enviais. Il installait avec une fierté qui n’échappait à personne, sur le meuble de la télévision, son engin conçu de toute pièce.
Mes parents étaient abasourdis par l’agilité de ses doigts. De mon côté, je regardais les pièces éparpillées autour de moi, comme un général sorti vaincu d’une guerre. L’accomplissement de cette tâche faisait bander mon frère comme un cerf.
Moi, cela me castrait. Je faisais des mains et des pieds pour trouver un moyen pour que mes parents aient le pied. Parlant de pied, on l’a ou bien au cul ou bien au lit. La bibliothèque de mon père devint ma caverne d’Ali Baba.
Je devins un voleur de mots, un apprenti sorcier de la littérature, un jongleur de la contrevérité, du demi-mot, un maître du jeu de mots. En un mot comme en cent, un livrovore. Pour doubler mon frère aîné, je double la mise livresque. Je dévore les livres goulûment assortis d’une voracité digne de Borges.
Je lis Al-Jahiz, j’engloutis Al-Mutanabbi, je lis _Nana_ en une nuit ainsi que _Les mille et une nuits_. Je me bats avec les moulins de l’inculte.
Je mange les livres comme un chancre. J’ai trouvé mon diocèse.
Je me mets à écrire des rimailles à faire tourner dans leurs tombeaux Verlaine, Rimbaud et dans la même foulée Hugo, pourquoi pas ! Je récite mon poème en classe. La maîtresse me persifle, me tourne en dérision.
Elle s’appelait Margot. Je me jette corps et âme à la rédaction de mon premier roman. Je le boucle à l’âge de 30 ans. Margot à qui je rends visite à son domicile en a 63. Je lui remets un imprimé. Elle est émue. Une larme perle. Yeux perlés de larmes.
Elle tient mon manuscrit en main. Je lui tiens la main pour ne pas se désorienter de mon étoile du Nord. Elle pleure. Elle sanglote. Elle hoquète.
Fin de ma quête.