Quatorze minutes en huis-clos, la bourgeoisie "batrounienne" et son personnel de maison, de la désolation, un peu de jalousie et beaucoup d’attente, voilà ce que porte Beity, le court-métrage écrit, réalisé et monté par Isabelle Mecattaf au cours de sa deuxième année d’études cinématographiques. 

Dans le rôle de Roula, la mère tourmentée, Julia Kassar, en plan rapproché, fume, ressasse et malmène Alya (Nawal Kamel) et son mari (Pierre Dagher), respectivement femme de chambre et jardinier. Les scènes de la vie quotidienne se succèdent, semblent se répéter depuis des années, tandis que l’intrigue avance: la fille, affranchie du domicile familial, est tour à tour espérée et détestée. La mère s’inquiète du présent et de l’avenir de ce fils à qui l’on a tout donné pour qu’il réussisse, à qui l’on a souhaité le meilleur qui puisse advenir, celui-là même qu’on a poussé à aller découvrir un ailleurs plus fertile au bonheur, où il s’est finalement plu. Et quand il est question d’un potentiel retour au berceau parental, cette même mère se languit, guette, puis désespère. L’enfant a déserté. Et, peu à peu, le chagrin et la solitude laissent place au cynisme et aux remords: "Je la comprends, je ne pouvais pas supporter ma mère non plus".

À cela il faut ajouter l’inévitable cohabitation avec une autre famille, qui n’est autre que le personnel de maison. Si proches et pourtant si éloignés… La gouvernante est à la fois confidente et dédaignée. Et pourtant, Roula ne peut s’empêcher de les jalouser: eux sont actifs, quand elle erre en pyjama toute la journée, eux sont complices quand son mari est absent et, surtout, eux voient leur fille leur rendre visite et partager des moments de vie, en famille.

Épaulée par Mélanie Akoka à la direction photographique, la réalisatrice choisit une pellicule 16 millimètres, des zooms très seventies et des couleurs primaires pour raconter, en vingt-quatre heures de la vie d’une femme, ce que la parentalité a de sempiternellement dramatique, le paradigme de l’enfant aimé et choyé devenu un adulte émancipé et absent. Si le sujet est universel, son illustration a pourtant une spécificité bien libanaise, à l’heure où la jeunesse du pays s’exile massivement à la recherche d’un avenir meilleur.

Le film a été nominé dans de nombreux festivals au Canada, aux États-Unis, en Italie et au Liban, et est désormais disponible sur Vimeo sur le lien suivant:

Isabelle Mecattaf planche aujourd’hui sur son premier long métrage, To2borne (May You Outlive Us dans sa version anglophone), un film sur le quotidien d’une famille après la double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Autour des banalités de la vie, on peut sentir ce que signifie vivre dans la capitale libanaise, dans un climat de résilience et de survie. Le tournage de cette coproduction franco-libanaise est prévu pour septembre prochain, à Beyrouth, tandis que la réalisatrice planche toujours sur son script. Et alors qu’elle avait été sélectionnée au Toronto Independent Film Festival pour Beity, en 2021, les équipes du festival ont proposé à la réalisatrice de participer à leur filmmaker lab pour cette édition 2022. En effet, chaque année, vingt réalisateurs du monde entier (dix du Canada et dix de l’international) sont choisis pour cinq jours de festival aux cours desquels ils peuvent rencontrer des professionnels du cinéma et discuter autour de leurs projets respectifs. L’occasion pour Isabelle Mecattaf de perfectionner son scénario et de partager avec les talents d’aujourd’hui et de demain.

Article rédigé par Emma Moschkowitz

https://www.agendaculturel.com/article/isabelle-mecattaf-de-sa-maison-a-toronto