Les trois frères Michel, Alfred et Youssef Basbous ont transformé Rachana en un village parsemé de leurs sculptures, révolutionnant la sculpture contemporaine libanaise. En 1997, l’UNESCO a surnommé Rachana "village mondial de la sculpture en plein air". Anachar Basbous, fils de Michel Basbous et de la poétesse Thérèse Aouad, est né dans ce champ de sculptures.

Il fonde le MAB "Mohtaraf Anachar Basbous", bâtiment monolithique en béton brut, où plus de 50 œuvres d’Anachar sont exposées. Le projet est mis à exécution en 2020 et s’achève en 2022. Dans cet espace transitionnel entre deux époques, enrichi de créations de deux générations aussi complémentaires que différentes, se fait un hommage à la sculpture, à l’art et au Liban… Les sculptures se dresseront désormais face à la mer bleue du Nord, bravant l’érosion du temps.

MAB – Crédit photo : Anachar Basbous

Anachar Basbous garde précieusement un bel héritage et lui fait hommage en prenant courageusement un parcours unique et en établissant un nouveau courant de sculpture dans la famille, qui lui est propre. Son parcours est touchant, autant par sa fidélité et sa reconnaissance que par son courage de voler de ses propres ailes et de créer du nouveau qui, lui aussi, restera.

Quel est votre devise dans la vie? Dans le travail?

Dans la vie, l’amour par-dessus tout. Dans le travail, le travail avant tout. Mais le talent ne suffit pas. Il faut avoir envie de travailler.

Pouvez-vous nous parler de cette sculpture que vous avez faite à dix ans ?

Mon père travaillait dans son atelier une matière nouvelle: le polystyrène. Il préparait une exposition de sculptures en bronze avec des moules originaux en styropan. Je venais le regarder travailler. A l’aide d’un fil chauffant, il retirait les chutes et me les donnait. C’est ainsi que j’ai fabriqué ma première sculpture, que mon père a appréciée et trouvée mature pour mon âge. Il a alors décidé de la couler en aluminium.

Anachar Basbous et sa première sculpture faite à 10 ans, 1981.

Est-ce que l’héritage "Basbous" est un poids dans votre parcours ou au contraire un appui pour prendre votre élan?

Les deux à la fois. Il a commencé par être un poids lourd à porter. Ce n’était pas évident de me retrouver là, après mon père et mes oncles qui ont cinquante ans de carrière, et d’essayer de trouver ma propre voie. Au début, mes sculptures ressemblaient aux leurs. Puis, avec le temps, cet héritage est devenu une nourriture, un tremplin qui m’a aidé à avancer et à tracer ma propre voie.

Crédit photo Jawdat Arnouk

Quelle est l’influence de l’architecture dans vos sculptures?

Mon père était ami avec les étudiants architectes qui venaient lui rendre visite. J’ai décidé de devenir architecte. L’architecture est l’art le plus proche de la sculpture. Jouer avec les formes, la lumière, trouver l’équilibre dans la géométrie a changé ma vision des choses, a influencé ma technique et m’a appris la patience… J’ai alors fait une année d’architecture en France, puis je suis passé à la mosaïque. Puis, tout à coup, j’ai pris la décision d’arrêter ce métier et de me mettre à la sculpture. Normalement, dans une sculpture, on retranche des parties pour arriver au modèle final. Ma sculpture à moi est moderne et plutôt basée sur la construction.

Croyez-vous au talent ou plutôt à l’expérience?

Je crois aux deux, tout le temps associés, sinon on ne va pas très loin.

Quelle est l’influence du temps sur la sculpture?

Chaque artiste doit vivre son époque et travailler en fonction d’elle ou alors la dépasser. Je ne suis pas pour l’art qui reste ancré dans l’antiquité ou dans une époque révolue. À mon sens, il est voué à l’échec.

Si l’on observe les oeuvres des grands artistes exposées dans les musée, on constate qu’ils ont un pas en avance sur leur époque.

Dans les années 70, mon père a travaillé avec des radiateurs de voitures. Cette technique, peu courante à l’époque, compte parmi les plus intéressantes qu’il ait utilisées. De nos jours, cependant, cela relève du recyclage et de l’upcyclage.

En ce qui concerne l’effet du temps sur la sculpture, ce qui me fascine, c’est quand la pierre, au bout d’une dizaine d’années au soleil, commence à changer de peau, à vieillir, à s’oxyder, et le fer, à rouiller. Je travaille des matériaux qui évoluent.

Tirez-vous votre inspiration du monde, ou est-ce plutôt une inspiration intérieure qui vous guide?

Mon inspiration n’est jamais directe ou instantanée. Ce n’est pas une émotion instantanément représentée dans mon travail. Au contraire, c’est un cumul d’émotions, de connaissances que je cultive… Mon œil voit et s’imprègne des expositions de sculpture, d’architecture, en France, aux États-Unis, et de par le monde… Je prends le temps de les digérer pour qu’en ressorte une œuvre qui ne ressemble à aucune autre mais qui est en même temps semblable à tout cela…

Crédit photo : Roger Moukarzel

Quelles sont les œuvres artistiques qui vous ont le plus influencé dans votre vie?

J’ai vécu dans une famille où le livre était la base de notre passe-temps. La bibliothèque de mes parents était très importante pour moi dans ma jeunesse. Elle a alimenté en grande partie mon inspiration, fruit de ce mélange de poésie, de théâtre, d’architecture et de sculpture. Et puis, il y a eu les voyages, les musées.

Parmi les artistes qui m’ont influencé, je cite l’architecte Renzo Piano, le sculpteur Richard Serra, le peintre et plasticien Anselm Kiefer… cet art contemporain est une nourriture pour mon âme.

Un message aux jeunes sculpteurs?

Si vous avez choisi ce métier magnifique, il ne peut que vous donner du bonheur. La sculpture est tridimensionnelle, elle vit dans l’espace et la lumière qu’elle capte magiquement… Vous êtes chanceux!

MAB – Crédit photo : Anachar Basbous

Qu’avez-vous à dire de votre nouveau projet?

Historiquement, Rachana a toujours été cet endroit dont les portes étaient ouvertes au public; élèves, étudiants, touristes… Michel, mon père, l’a voulu. Je garde le même esprit parce que je crois fermement que l’œuvre d’art, notamment la sculpture, la peinture… ne vit qu’a travers les yeux des spectateurs.

Rachana a aussi initié différents projets artistiques et culturels. Dans les années 1960-1964, mon père a initié un festival de théâtre. Il y a quatre ans, j’ai initié un festival de land art; des universitaires étaient venus créer leurs installations avec des matériaux provenant de la nature. Ce genre d’événements ponctuels aura toujours lieu dans cet endroit. Le plus important étant que l’on donne à Rachana notre art et nos sculptures et qu’on collabore avec d’autres artistes. Le but est que ce projet continu lie nos vies à celles des gens qui nous rendent visite.

Crédit photo : Roger Moukarzel