Une rencontre organisée par Antoine Boulad autour de l’ouvrage Le Liban, 18 communautés et bien davantage a eu lieu le 23 novembre à la bibliothèque municiaple publique de Beyrouth, Monnot. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre des activités et des objectifs de l’association Assabil qui gère depuis vingt-deux ans la bibliothèque publique de Beyrouth et dont l’objectif principal est non seulement la promotion de la lecture mais aussi des lieux publics et de la culture pour tous ainsi que la citoyenneté.

Dans son avant-propos, Randa Aractingi, à l’initiative de cet ouvrage, cite l’article 7 de la Constitution libanaise: "Tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune."

"Les textes de ce livre nous embarquent pour un voyage vers l’autre Liban que nombreux parmi les Libanais connaissent mais ne veulent pas reconnaître. L’écriture est l’acte de reconnaissance, en même temps qu’il est connaissance", écrit aussi Élias Khoury dans sa préface.

Antoine Boulad parle de l’importance de cet ouvrage comme moyen de sensibilisation: "En effet, cet ouvrage allie ces deux objectifs; l’écriture, et donc le volet littéraire ainsi que le volet citoyen. Il atteste qu’au Liban il n’existe pas seulement 18 communautés mais aussi des minorités et des groupes essentiels à la survie de ce pays."

Ce livre est une initiative indépendante, porte-parole d’expériences de vie, de souffrances, de cris sans échos, et joue le rôle d’outil de prise de conscience, et encore plus, d’archives, de mémoire.

"Ce projet initié par Randa Aractingi a été réalisé avant la révolution du 17 octobre et c’est important d’avoir eu une vision de dire que la société s’essouffle et que ces communautés sont contre-productives. L’impulsion des gens, de tous ces groupes humains qui ont des revendications sociales, humaines, ainsi que des droits qu’ils défendent, sont la vitalité de la société", affirme Antoine Boulad.

La rencontre réunit la plupart des auteurs de cet ouvrage qui résident encore au Liban – Nada Moghaizel Nasr, Hayet Chaker, Joëlle Ayache, Tania Hadjithomas Mehanna, Béatrice Khater, Michèle Tyan, Mishka Mojabber Mourani et Antoine Boulad – "autour d’une lecture d’extraits de Gabriel Deek qui avait aussi participé à l’ouvrage et qui est prématurément décédé", poursuit Boulad. L’événement consistait en une lecture de chacun des participants des extraits de leurs textes, suivie d’un échange avec le public. "Cela met en relief l’occasion paradoxale pour laquelle nous avons opté ce jour-ci: la fête de l’indépendance", conclut-il.

Joëlle Ayache, auteure contributrice à ce livre, relate l’historique de sa participation à ce projet et nous fait également part de son écrit: "Nada Moghaizel m’a mise en contact avec Randa Aractingi pour la correction des textes. À la suite des ateliers d’écriture qu’elle donnait, elle avait voulu rassembler dans un recueil certains textes authentiques traitant de sujets sociaux de certaines communautés libanaises non protégées par la loi et non prises en charge par l’État libanais. Le but de cet ouvrage est avant tout d’être le porte-parole des gens lésés au Liban, abstraction faite de leur confession et religion. C’est la société civile qui prend la parole à travers des récits et des faits réels, dénonçant ainsi les travers de notre société; les groupes minoritaires, les enfants dans les rues, etc."

Le témoignage de Joëlle Ayache est poignant, cru. Il réveille l’instinct maternel dans chaque femme et fait appel aux âmes sensibles et aux écorchés vifs de la vie. Elle relate son expérience dans son parcours lié à la grossesse, parcours esquintant et traumatisant qu’une femme peut avoir, surtout après être tombée sur des médecins charlatans. "Après avoir fait tous les tests, cherché des solutions scientifiques et psychologiques, et les médecins ne trouvant aucune solution, je finis par tomber sur un médecin qui semblait avoir trouvé la solution. Il nous a entraînés, mon mari et moi, dans un cheminement sans but ni fin. De test en test, de manipulation en manipulation, j’ai fini par comprendre, au moment où ce soi-disant médecin avait décidé de déplacer mes embryons d’un hôpital à un autre, que j’étais en proie à un charlatan. J’ai décidé d’écrire cette expérience pour partager mon vécu afin que les femmes soient vigilantes. Au Liban, il n’existe pas de loi qui les protège contre cela." "Ce texte comprend du factuel et de l’émotion. C’est pour moi une thérapie que de pouvoir en parler; j’ai demandé à écrire afin que mes mots soit porteurs de message. J’ai alors mis mon ressenti noir sur blanc."  En effet, noir sur blanc. "Je portais la mort là où d’autres portaient la vie", écrit-elle. Et encore, "certains mots me faisaient mal plus que ces corps étrangers qui s’introduisaient sous la peau de mes cuisses et me laissaient des bleus à l’âme".

Joëlle Ayache ajoute: "J’aimerais bien aussi mentionner que le texte de Nada Moghaizel me tient à cœur aussi bien que sa cause. Son texte, que j’aimerais bien mettre en valeur, s’intitule "Riches et immortels" et traite des enfants handicapés qui ont besoin que leurs parents soient riches pour s’occuper d’eux et éternels afin de ne pas les laisser sans recours.

Un ouvrage "feuille de route".

Marie-Christine Tayah

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