L’homme doit s’appuyer sur le passé et tendre vers l’avenir, nous dit Henri Bergson. De ce siècle dernier où notre pays a connu diverses occupations, la famine, des guerres et des misères, nous allons retenir l’édification d’une nation, son impact dans le monde, son rayonnement culturel et sa formidable vitalité. Mois après mois, un peu de ces petites lucioles d’hier pour éclairer notre chemin vers demain.

Pour la plus grande joie des nombreux fans et grâce à l’initiative de Prosper Gay-Para, la môme Piaf se produit les 2 et 3 mars 1949 au cinéma Dunia. Le 16 mars 1955, y’a d’la joie au Liban avec le retour de Charles Trenet, poète chanteur. Trois jours plus tard, sur la scène du Palais de l’Unesco, les mélomanes se réjouissent d’écouter la Troupe lyrique italienne, composée de 150 personnes, interpréter jusqu’au 25 du mois les plus célèbres opéras: Aïda, La Traviata, Le Barbier de Séville, La Bohême et Mme Butterfly. Cette semaine grandiose, organisée par Edouard Mocadié, se place dans le cadre de "1955, année touristique". C’est au Capitole que se produira, en mars 1959, Charles Aznavour qui inscrit régulièrement le Liban dans le cadre de ses tournées. Il sera fidèle à tous ses rendez-vous et les Libanais lui rendront bien son amitié. Un autre ami du Liban est Gilbert Bécaud. C’est au Théâtre du Liban, la salle du Casino, qu’il viendra en mars 1961 séduire le public. Monsieur 100.000 volts écumera les boîtes libanaises dans sa tournée des grands ducs. Il reviendra l’année suivante, même date, même lieu. En mars 1963, un jeune chanteur fait un tabac à l’Épi Club. Il s’appelle Enrico Macias. Le 4 mars 1965, le pianiste Henri Ghoraieb sublimera dans un concert Beethoven et Schumann, et le 4 mars 1969, le talentueux Walid Akl donne, pour la première fois sur sa terre natale, un concert au Théâtre du Liban. En mars 1975, le chanteur Alain Abadie sort son troisième disque Aime, en collaboration avec des artistes libanais comme Sammy Clark et Paul Mattar. Les Libanais n’oublient pas de danser en mars 1978 au rythme disco des Boney M. Malgré tout.

Côté spectacles et festivals, le comédien et metteur en scène Jean-Louis Barrault est à Baalbeck le 30 mars 1957 pour étudier la scénographie des lieux. Il ambitionne d’y produire Amphytrion. Dans un tout autre registre, la danseuse orientale Nadia Gamal se produit en mars 1958 à la Casbah et attire tous les soirs une foule d’amateurs. Roméo Lahoud présente le 17 mars 1971 au Théâtre Martinez son spectacle Phénicie 80, avec Sabah, Joseph Azar et Elias Elias. Le 27 mars 1972, le Festival mondial de la magie et de l’hypnose fascine petits et grands au Cinéma Byblos et dans la salle du Collège des Frères. Notre "Sabbouha" nationale triomphe en mars 1974 avec son nouveau spectacle, Sitt el kol, sur la scène du Starco. Dans une mise en scène de Wassim Tabbarah, la pétillante blonde interprète des chansons de Walid Gholmieh et Farid el Atrache, entourée de Philémon Wehbé, Elias Rizk et la troupe Al Anwar. Infatigable et généreux, Roméo Lahoud nous revient avec Bint el Jabal, une comédie musicale avec Salwa Katrib et Antoine Kerbage. La première a lieu le 17 mars 1977 au théâtre Élysée. Comme un défi à deux années de cauchemar.

La date du 25 mars 1955 marque le début d’une belle aventure. Le génial Prosper Gay-Para, déjà "responsable" du Kit-Kat et des hôtels Normandy et Palm Beach, inaugure ce qui deviendra une vraie légende du Beyrouth by Night: Les Caves du Roy. Ce restaurant night-club se niche dans l’hôtel Excelsior, lequel sera ouvert plus tard. Les Caves deviendront vite le passage obligé de tous les illustres visiteurs. Souvenirs, souvenirs. On en rêve encore. Le 24 mars 1962, c’est l’ouverture d’un autre lieu mythique: le Paon Rouge, à l’hôtel Phoenicia, qui sera, lui, officiellement inauguré le 31 du même mois. Coupé de ruban, réception de plus de mille personnes, dîner de gala de 600 couverts, avec Dorothy Dandridge et la troupe libanaise Al Anwar, c’est le grand événement de la saison. Il faut dire que l’hôtel, avec son architecture, son emplacement, ses nombreux restaurants et son fameux bar "Sous la Mer" où l’on peut voir évoluer les nageurs à travers de larges baies vitrées, marque un vrai tournant dans l’histoire de l’hôtellerie libanaise. En mars 1968, on compte plus de 100 "stereo-clubs" dans le Mont-Liban et c’est la guéguerre entre les établissements et les autorités très à cheval sur les bonnes mœurs. En mars 1969, le Bingo est interdit dans les hôtels et restaurants.

Sur les planches, et dans ce qui est devenu une tradition, les pièces françaises viennent à la rencontre d’un public libanais désormais fidèle. Du 7 au 13 mars 1955, au ciné-théâtre Le Capitole: Histoire de Rire d’Armand Salacrou, Amphitryon 38 de Jean Giraudoux, Monsieur chasse de Georges Feydeau, On ne saurait penser à tout d’Alfred de Musset suivie du Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée, Évangeline de Henri Bernstein et Jean de la lune de Marcel Achard, avec des acteurs de renom comme Jean Le Poulain, Jacques Charon et Renée Saint-Cyr. Le théâtre français prend ses aises au Liban durant les années 60 avec une multitude de pièces jouées, entre autres, par Darry Cowl, Lucile Marchand et Sophie Desmarets. Le théâtre libanais se taille également une place à part avec, en mars 1968, Tovarich de Jean-Marie Méchaca qui met en scène Robert Arab, Lisette Enokian, Marie-Anne Mallat, Joe Nahas, Patrice Hassoun, Nawal Messawar, Marie-Claude Homsy et Antoine Gemayel. En mars 1972, c’est Abadaye de Jalal Khoury qui tient le haut de l’affiche avec Nabih Aboul Hosn, Aline Tabet et Karim Abou Chacra. Les Six Gales présentent quant à eux leur nouvelle revue, Les dépités, le 24 mars 1972. On riait alors de bon cœur des travers de nos politiques avec Yvette Sursock, Alec Khalaf, Mona Saad, Wassim Tabbarah et Togo Saad. C’est au Baccarat que la troupe du Théâtre de Dix Heures revient en force avec Les Impôts Tant, une série de sketches interprétés par Edmond Anonyme, Pierre Gédéon, Hikmat Wehbé et Denise Farhoud. Un nouveau théâtre voit le jour en mars 1983. Dirigée par Antoine et Latifé Moultaka, la salle portera le nom de Maroun Naccache, le pionnier du théâtre au Liban.

Devant la prolifération des salles de cinéma, les autorités légifèrent et fixent en mars 1947 les prix des billets comme suit: 90 à 150 piastres pour les films arabes et 65 à 120 piastres pour les films étrangers. Le 6 mars 1949, le cinéma théâtre Métropole s’installe Place des Canons et ses installations modernes viennent confirmer l’engouement des Libanais pour le 7e art. En mars 1956, c’est dans les rues de la capitale que se déroule le tournage du film La châtelaine du Liban de Pierre Benoit avec Jean-Claude Pascal. Le 11 mars 1964, un Centre national du cinéma voit le jour afin de réglementer et d’organiser événements et coopérations. Mais oui, c’est bien lui, Marlon Brando est au Liban le 18 mars 1965 pour quelques jours de détente, avant de se rendre en Inde. Il logera au Phoenicia, visitera les sites archéologiques, rencontrera les journalistes, mais surtout écumera les boîtes et stereo clubs. Il dînera au Fishing Club de Byblos et dira que "quand on a vu Pépé, on n’oublie pas le Liban." Autre invitée de marque, Brigitte Bardot en personne qui débarque le 11 mars 1968 sur le tarmac de l’AIB. Invitée par Cheikh Khalil el Khoury, elle est accompagnée de son mari, Gunther Sachs, et d’un groupe d’amis. Elle ira dîner au Panache, le restaurant du Phoenicia, et au Grenier, visitera Baalbeck, déjeunera à Chtaura, fera quelques achats dans les souks, mais se déclarera déçue par le côté "trop occidental" du Liban. Tant pis. Les tournages se succèdent dans les années 60 et le charme de nos villes orientales attire de plus en plus de producteurs. En mars 1968, c’est à Beyrouth que des scènes du film Rébus seront tournées avec, pour vedettes, Ann Margret et Laurence Harvey. La piscine du Phoenicia, la rue Sursock, Raouché, mais aussi et surtout le Casino du Liban, puisque le film raconte une histoire d’escrocs autour des tables de jeux! On tourne aussi en arabe, le même mois de la même année, Le Grand Amour, un long métrage avec Faten Hamama et Farid el Atrache, dans les plus beaux sites libanais et sous la direction d’Henri Barakat. Et, en mars 1972, Nabih Abou el Hosn, acteur chéri des Libanais, bien connu pour ses rôles dans Abadaye et Geha, tourne une série télévisée qui connaîtra un succès incroyable. Akhouat Chanaï relate l’histoire de l’émir Béchir sous la caméra de Bassem Nasr pour le Canal 7. C’était hier. On dirait une éternité.

Tania Hadjithomas Mehanna