S’inspirant d’expériences à la fois personnelles et collectives, l’exposition Agitations (Ebb and flow: on power and loss), en cours à la galerie Tanit, réunit, sur une proposition curatoriale de Mark Mouarkech, deux ensembles d’œuvres qui explorent les problématiques du pouvoir et de la perte.

Le projet "Se battre contre une pierre" de Laetitia Hakim et Tarek Haddad est né d’une frustration, celle ressentie face à la paralysie politique découlant de la révolution de 2019. Il se propose de réfléchir à cette situation en convoquant la dynamique qui est à l’œuvre dans un jeu connu sous l’intitulé "pierre-papier-ciseau" et qu’ils utilisent comme une métaphore de la circulation et de l’équilibre des pouvoirs. Ce jeu, donc, où les rapports de force se déplacent de manière continue entre les protagonistes, devient dysfonctionnel dès que l’un des trois éléments cruciaux en vienne à manquer. L’équilibre ternaire est alors compromis. Le duo d’artistes s’explique: "Au cœur de la révolution de 2019, nous avions entamé une conversation sur la possibilité du changement. Le pic d’espoir qui avait surgi avec le début de la révolution, a rencontré, peu de temps après, une écrasante désillusion. Cette prise de conscience nous a conduits à nous distancier de l’événement lui-même et à explorer, de manière collaborative, les dynamiques de pouvoir. "Se battre contre une pierre" explore la dynamique du changement social et politique – ou son absence – dans le cadre d’une simulation minimale, décontextualisée et abstraite d’un jeu de pierre-papier-ciseaux truqué qui va nous permettre d’observer les conséquences de la perte de l’un des éléments du jeu. En limitant le jeu à seulement deux options, nous soulignons comment, dans de telles situations, la dynamique du pouvoir peut devenir injustement faussée (…). Le projet invite à la recherche de l’élément manquant, dont le retour rétablirait l’équilibre du jeu." 

 

Le duo propose une illustration en trois étapes d’un processus qui commence par affirmer les rapports de pouvoir, puis leur fragilité, et enfin leur absurdité, à travers un ensemble de photographies et de vidéos. Clairement ludique, assez conceptuel, un peu sinueux tout de même comme, aussi, peuvent l’être certains jeux, ce travail critique est également visuellement abouti.

Laetitia Hakim & Tarek Haddad Asteroid 2019 Impression jet d’encre sur Epson papier de coton renforcé monté sur bois 80 cm x 80 cm.

   

Moins frontal, plus introspectif, À la mémoire de mes racines d’Élias Nafaa se conçoit comme une méditation, un récit initiatique qui conduit le protagoniste de la conception à l’âge d’homme.

À la suite d’un incendie qui a ravagé la forêt de son village natal à la frontière nord du Liban et de la mort de son grand-père survenue à la même époque, Élias Nafaa cherche à prendre du recul et à faire son deuil en coupant ses liens avec cet endroit qu’il va revisiter sur un mode à la fois visuel, narratif et allégorique. Ce travail de cheminement et de deuil, Nafaa cherche également à le comprendre dans le contexte d’exil des jeunes de sa génération hors de leur terre natale, suite à l’effondrement socio-économique du pays.

Le résultat est un travail dense constitué d’un ensemble d’artefacts sculptés dans du bois de cèdre (renvoyant, par métonymie, au nord d’où Nafaa est originaire, ramenant donc inévitablement au lieu d’où ils sont partis) et recouverts de peinture blanche, illustrant les différentes étapes d’une procession, dans le sens quasi religieux du terme, la fin du parcours donnant fortement à imaginer une crucifixion. De fait, la scénographie déployée fait d’abondantes références au vocabulaire de l’art religieux. Le dispositif en triptyque évoque ainsi parfois des scènes de retables. Le travail de Nafaa fait également de nombreux rappels à l’histoire de l’art. On y voit un ensemble riche de références, parfois superposées ou condensées, conscientes ou inconscientes, aux oiseaux de Giotto, à ses Vertus et Vices, à l’Icare de Breughel, à l’ange de Chagall, à des figures à dimension allégorique qui renvoient à la mémoire collective, telles, également, les figures du Tarot, parmi lesquelles on pourait presque reconnaître un Pendu. Le parcours se termine avec un triptyque vidéo qui présente des éléments mémoriels nageant dans une eau matricielle.

Elias Nafaa The Fall 1 (part of a diptych) 2023 Bois de Cèdre et peinture blanche 40cmx30cmx2cm

 

Élias Nafaa vit et travaille au Liban. Son travail est montré en 2021 dans le cadre de l’exposition Lumières du Liban, art moderne et contemporain de 1950 à aujourd’hui à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris. En 2022, il présente sa première exposition personnelle Impulsions à ArtLab, Beyrouth. Nafaa a participé aux programmes CATAPULT.visual’arts et NAFAS respectivement mis en place par le British Council et l’Institut français, complétant trois résidences d’artistes à Arbroath, Édimbourg et Paris. Il fait actuellement partie du programme Home Workspace d’Ashkal Alwan.

Laetitia Hakim et Tarek Haddad forment un binôme de photographes dont la pratique est basée sur la complémentarité, la dualité, le jeu et la matérialité. Leur travail, qui découle d’une conversation continue autour de l’actualité qui les marque et les espaces avec lesquels ils interagissent et qu’ils habitent, aborde des notions telles que la séparation, la perte et la dynamique des interactions sociales, dans le Liban qui fait suite aux événements d’octobre 2019 principalement. Leur approche consiste à prendre du recul, à réfléchir, puis à répondre aux événements en question. Hakim et Haddad ont reçu le prix de la résidence en arts visuels de la fondation Boghossian en 2022. Laetitia Hakim a été la lauréate 2022 du festival "Les femmes s’exposent" en France et complètera prochainement une résidence à la Cité des arts, à Paris. Tarek Haddad participe actuellement au programme de résidence de la fondation Saradar.

Agitations: du pouvoir et de la perte (Ebb and flow: on power and loss), en cours à la galerie Tanit, Mar Mikhael, du 9 mars au 22 avril 2023.

Nayla Tamraz

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