"Encounters 2023" incarne une série de rencontres magiques au sein d’une exposition inédite. Cette dernière se déroule du 7 juin au 14 juillet à la prestigieuse galerie Janine Rubeiz.

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Tout a commencé grâce à une idée ingénieuse, celle d’ un concours lancé par la galerie Janine Rubeiz et conceptualisé par la curatrice du projet Manar Ali Hassan. Sur 110 participants, 25 candidats ont finalement été retenus par le jury.

Un pont d’échange artistique transgénérationnel invite ainsi des artistes émergents de divers horizons à déployer leur créativité et leur talent, puisant leur inspiration dans les œuvres marquantes d’artistes libanais éminents et avant-gardistes tels que Laure Ghorayeb, Etel Adan, Huguette Caland, Jamil Molaeb, Hanibal Srouji pour ne citer que ceux-là. Les œuvres de ces derniers, en posant des problématiques et plusieurs thématiques, ouvrent ainsi la voie au débat entre artistes renommés et artistes émergents, créant l’alchimie de la rencontre dans un dialogue ouvert entre eux et le public.

S’ensuit une interaction passionnée sur tous les problèmes de l’actualité sociopolitiques qui hantent les Libanais en particulier ou tout citoyen provenant d’une région malmenée dans le monde. Les déplacements de populations et l’exil, la question identitaire, les dégâts causés à l’environnement, les questions existentielles aussi, relatives au temps qui passe et au devoir de mémoire… Des témoignages à multiples facettes offerts par une palette d’artistes au talent prometteur.

Un bouillonnement d’idées et de créativité, des moyens d’expression divers, des œuvres inventives, audacieuses, un art conceptuel original qui se déploient pour le plus grand plaisir du public et dévoilent une richesse de contenu qui puise certes dans le passé, mais continue à nous interpeller aujourd’hui.

Le cloisonnement à l’intérieur de la ville compliquant communication et déplacement selon Joanna Raad, le ballotement de l’exode avec Noura Bakkar symbolisé par des passeports véhiculant tous les espoirs d’un avenir meilleur et sur lesquels sont dessinés, en guise de visas, les portraits d’hommes politiques responsables de l’exil et de ses incessants allers-retours.

Le temps est un thème également traité par Malak el Sahli avec ses photos de chambres abandonnées où les ombres évanescentes continuent de hanter les lieux et par Ségolène Ragu avec ses précieuses reliques du passé ; la veste du grand-père suspendue à un clou, des photos et objets encore imprégnés du souvenir de l’être cher, le rappel poignant d’une présence exhalant un souffle, un parfum.

Ailleurs, sur un tableau, un personnage au visage effacé, englué dans son canapé, stigmatise l’enfermement dans le passé, alors qu’à côté, la boîte à souvenirs aux effluves nostalgiques se présente comme une sorte de rengaine compulsive, un film qu’on passe et repasse indéfiniment.

Dans une autre approche, les céramiques de Diana Salwan véhiculent tout un patrimoine culturel, une sorte d’archéologie anticipée ou monuments miniatures de la vie quotidienne libanaise et affichent des symboles émotionnels et sensoriels comme la grappe de jasmin, le biscuit au hal’oun, le panier suspendu et le pneu que l’on  brûle.

L’artiste Chris Assoury elle, s’accroche désespérément à des souvenirs éphémères à l’instar des feuilles mortes, brindilles ou pétales, qu’elle colle sur le vieux fauteuil des ancêtres comme pour en cristalliser la mémoire.

Autre thème, celui de l’identité assumée symbolisée par la chevelure rebelle de l’artiste Lama Sfeir; chevelure que cette dernière utilise comme outil d’expression et de créativité, exprimant un refus de rentrer dans le moule, une volonté d’afficher avec panache une particularité stigmatisée, mais relevée avec fierté et dignité.

Thème similaire traité par Rami Chahine qui met en scène des morceaux de cèdre mort, disposés sur le sol, pour créer un chemin à plusieurs étapes ou jalons afin d’atteindre le noyau central. Un cèdre immolé, morcelé, que l’artiste s’évertue à redresser grâce à des attelles pour en accentuer l’artifice.
Au bout du tronc, un morceau de bois décollé semble suspendu comme une fenêtre ouverte à toutes les potentialités, à tous les questionnements. Intégrer la fracture pour créer la spécificité, un caractère propre où tensions et dualité sont inhérentes à l’identité ou, au contraire, assumer les conditions de la coexistence pacifiée appelée à s’inscrire dans la durabilité ?

Pour Hala Tawil, collages et assemblages d’éléments épars symbolisent le libre arbitre, le défi au déterminisme, le moyen de renouer les fils d’une vie décousue.

L’environnement urbain cloisonné et pollué, encore une thématique occultée représentée par Ibrahim Marzouk qui prend de la hauteur dans une vision aérienne idéalisée. Quant à Gilbert Loutfi, il fait voler ses tapis d’Orient au-dessus des toits comme un étendard artistique et culturel pour camoufler le béton de la ville.

Nohad El Hajj, a contrario, prend Beyrouth à bras le corps. Pour elle, marcher dans la ville fait partie du processus artistique, puisque la rue devient lieu propice d’inspiration d’exploration et de découvertes constamment renouvelées à l’instar de la vie même.

Il s’agit alors de s’engager dans une cité cloisonnée, d’aller à la rencontre d’un ciel rétréci par les constructions, d’immeubles qui s’érigent avec arrogance, de trottoirs occupés par les voitures, de plages envahies par le béton et réaliser enfin que jasmin, gardénias et poubelles peuvent cohabiter, mais que seul le ciel est incorruptible.

Avec Sarah Francis et Maak el Sahli, l’expérience artistique se vit comme une connexion, un abandon total, une réceptivité aux vibrations de l’univers.

Les matériaux d’expression sont aussi variés que surprenants. Ainsi, le cheveu devient pinceau qui court  sur la toile comme une respiration au rythme de l’inspiration, dans un abandon et un lâcher-prise, un fil pour se reconnecter à la muse…

En somme, une exposition qui se voit et se vit avec passion, et qui n’ en finit pas de charmer et d’étonner, grâce à une constellation de talents issus d’un peuple aux ressources infinies, un peuple dont " l’histoire comme disait le poète Lamartine devrait se chanter et non s’écrire, comme un poème qui continue à s’accomplir ".

Artistes participants

Aya Abu Hawash • Aya Nadera Zantout
Chris Assoury • Diana Bou Salman
Gilbert Loutfi • Hala Tawil
Joanna Raad • Lama Sfeir
Loulou Bissat • Malak El Sahli
Mario El Khouri • Marwa El Rifai
Marwa Ylhamane • Mohammad Abou Chair
Monya Riachi • Nohad ElHajj
Noura Bakkar • Philippe Caland
Rami Chahine • Reine Chehayeb
Samia Soubra • Sarah Francis
Ségolène Ragu • Yara El Turk
Ziad Jreige

Jocelyne Ghannagé
Siteweb:joganne.com
@jogannepaintings