Pour tenter d’oublier l’insurmontable aventure ouverte à tous vents que semble d’emblée 2022, avec son inflation record, son Omicron galopant sans garde-fous, sa cherté de vie impossible en contrepartie de l’absence des biens et des services les plus fondamentaux, son courant électrique au compte-gouttes, sa connexion Internet prostatique et ses logorrhées politiques abjectes, Ici Beyrouth vous propose quelques films, entre déceptions, séances de rattrapage et heureuses surprises. Puissent-ils égayer quelque peu le quotidien de tout un chacun, dans la mesure du possible, en ce mois de janvier.

Le film du mois

Belfast de Kenneth Branagh . Réalisateur inégal depuis son excellent Henry V (1989), Branagh signe sans doute le chef-d’œuvre de sa carrière avec ce film presque parfait de tous les points de vue, largement autobiographique, sur l’innocence d’un enfant pris dans le conflit entre catholiques et protestants dans le Belfast des années 60. Ceux qui ont grandi durant la guerre s’y retrouveront. En plus, la chanson du film est signée Van Morrison et la bande originale est juste magnifique. Et c’est aussi un vibrant message d’amour au cinéma, jonché de références à de très beaux films, à la ville de Belfast, et à toutes les victimes d’un conflit absurde. Bien des Libanais se sentiront directement touchés par la dédicace à la toute fin de l’opus. À voir absolument.

 

Les heureuses surprises

Old Henry de Potsi Ponciroli . C’est sans doute le diamant introuvable du mois, caché au plus profond de la mine. Pourtant, ce western, plus dans le veine des slow burners que de l’action tonitruante (même s’il n’en manque pas), est tout juste splendide. Difficile d’en dire plus sans en gâcher les surprises. Mais, si vous aimez le genre, vous ne serez pas déçus.


Retfærdighedens ryttere (The Worst Person in the World) de Joachim Trier. Ce film norvégien est juste ce qu’il vous faut si vous aimez les films européens et intimistes, qui suivent leurs protagonistes au quotidien comme un roman. Il est servi par un bon casting, porté essentiellement par Reinate Reinsve, son actrice principale.

CODA de Sain Heder. Ce film, qui n’est pas sans évoquer le merveilleux Jenseits der Stille (Beyond Silence,1996) de Caroline Link, et largement inspiré de La famille Bélier (2014), raconte l’histoire d’une adolescente, seule entendante dans une famille de sourds, et sa passion pour le chant. Tous les ingrédients – interprétations parfaites, bande-son excellente, belle cinématographie, ainsi que beaucoup d’humour et de légèreté – sont réunis pour un film très agréable, avec notamment Marlee Matlin, qui avait conquis le monde en 1988 face à William Hurt dans Children of a Lesser God (Les Enfants du silence). Si bien que le film, bien accueilli par la critique et le public, a fait le buzz cette année.

Des films d’auteurs à ne pas manquer

The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal. Premier passage à la réalisation pour cette excellente actrice, qui s’est entourée d’un set d’excellents acteurs, dont la toujours remarquable Olivia Colman, mais aussi Ed Harris, Jessie Buckley et Dakota Johnson, sur la thématique ambivalente de la maternité, et la relation de haine-adoration mère-fille. Le résultat est un étrange mélange, évocateur par moments de Höstsonaten (Sonate d’automne, 1978) d’Ingmar Bergman, ou de Morte a Venezia (Mort à Venise, 1971) de Luchino Visconti, dans son atmosphère glauque, malsaine et étouffante qui contraste parfaitement avec les extérieurs magnifiques tournés dans l’île grecque de Spetsès, dans le Golfe Saronique. Le grand public de Netflix n’appréciera sans doute pas, dans la mesure où Maggie Gyllenhaal n’a pas cherché à édulcorer ou enjoliver l’atmosphère du livre d’Elena Ferrante sur lequel le film est basé, et c’est tout à son honneur. Partant, l’œuvre est lente… et décadente. Qui a dit que la relation mère-fille, et parents-enfants en général, ne comportait pas des éléments d’horreur brute en elle ? Et qui a dit que le cinéma devait toujours mentir ? Pour public averti… et endurant ; mais Olivia Colman vaut à elle seule, encore une fois, le détour.

C’Mon C’Mon de Mike Mills. Aux antipodes de The Lost Daughter, C’Mon C’Mon est en quelque sorte l’antithèse de ce film du point de vue du traitement – cette fois lumineux. Avec un Joaquin Phoenix impeccable, presque intangible dans son jeu, il traite également des relations parents-enfants, mais cette fois mère-fils et neveu-oncle. Un petit rayon de soleil dans la grisaille pour commencer 2022, c’est pas mal non plus.

The Power of the Dog de Jane Campion. Ce western psychologique vient de rafler le Golden Globe du meilleur film dramatique, ce qui le positionne bien dans la course aux Oscars. Il est difficile de critiquer Jane Campion, dont la filmographie depuis Sweetie (1989) et le sublime An Angel at My Table (1990) est presque irréprochable. Qui plus est lorsque le film offre autant de richesse du point de vue des acteurs – surtout Benedict Cumberbatch et le troublant Kodi Smit-McPhee, mais aussi Kirsten Dunst, qu’on souhaiterait revoir plus à l’écran – de leur jeu et des personnages qu’ils campent. Petit bémol cependant, très personnel: le manque d’intensité dramatique dans le film. Il est difficile de se débarrasser de l’idée qu’un ou plusieurs ingrédients manquent à l’œuvre pour lui donner toute la force qu’elle devrait avoir.

Séances de rattrapage

The Last Duel de Ridley Scott. Souvent inégal dans la finition de ses œuvres, mais toujours grandiose dans la direction des films d’époques et des scènes de bataille, Ridley Scott retourne à ses premières amours avec The Last Duel: la joute mimétique, à laquelle il avait consacré son premier film/coup de maître, The Duellists (1977), avec Harvey Keitel et Keith Carradine en grognards napoléoniens avides d’en découdre à chacune des campagnes de l’Empereur (en attendant, non sans impatience, son biopic à venir sur Napoléon avec Joaquin Phoenix dans le rôle du Petit caporal et Vanessa Kirby dans celui de Joséphine, Kitbag). Ce coup-ci, le duel oppose au Moyen-Âge deux chevaliers campés par Matt Damon, franchement excellent, et Adam Driver, égal à lui-même, qui se vouent une haine pugnace, laquelle finit par se cristalliser sur une rivalité mimétique autour d’une femme, l’épouse de Damon convoitée par Driver – Jodie Comer, parfaite. Le dénouement inéluctable, le duel, sert de point de départ, de perspective pour raconter le film selon les versions (très) différentes des trois protagonistes, sur le mode du Rashomon (1950 d’Akira Kurosawa). Le résultat est impeccable pour ceux qui aiment la symbiose entre le grand spectacle, le récit narratif structuré et les films psychologiques.

Judas and the Black Messiah de Shaka King. Le retour de la violence raciale dans l’Amérique de Donald Trump a inspiré de bons films en 2020, dont The Trial of the Chicago 7 d’Aaron Sorkin ou One Night in Miami de Regina King. Judas and the Black Messiah de Shaka King navigue dans les mêmes eaux, mais se rapproche plus, dans le style et la tonalité, du BlacKkKlansman (2018) de Spike Lee. Le film suit l’histoire véridique du leader des Black Panthers, Fred Hampton, sa passion et sa trahison par un membre de la formation, infiltré par le FBI. Bien fait, puissant, divertissant de bout en bout, et servi par une prestation éblouissante de Daniel Kaluuya, qui lui a valu l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle l’an dernier.

Last Night in Soho d’Edgar Wright. Un film mineur mais divertissant, qui bénéficie de la présence de deux jeunes actrices très talentueuses, Thomasin McKenzie et Anya Taylor-Joy. La cinématographie, les costumes, le décor et l’atmosphère du Londres des années 60, recréés pour les besoins du film, ainsi qu’une apparition de l’immense Terence Stamp, en font un thriller parapsychologique captivant, mais néanmoins un tantinet décevant, avec une impression d’égarement des scénaristes à mi-chemin et de bâclage subséquent du final.

Pour le plaisir de se divertir

Ghostbusters: Afterlife de Jason Reitman. Une surprise agréable après le passable Ghostbusters (2016) de Paul Feig, Jason Reitman renoue avec l’univers créé par son père Ivan il y a près de quarante ans, dans le tout premier Ghostbusters, comme si les deux autres films réalisés entre-temps dans la foulée n’avaient pas vraiment eu lieu. Et c’est tant mieux. Le résultat enchantera autant les jeunes qui ne connaissent pas, que les… moins jeunes, qui ont vu le film en salle à sa sortie – et qui ont dansé comme des fous dans les magnifiques partys masquées à deux balles des eighties sur la chanson-culte de Ray Parker Jr.

The Tomorrow War de Chris McKay. Le film aurait sans doute aspiré au statut de blockbuster, n’eut été la pandémie qui l’a condamné à une carrière sur streaming. Il ne propose aucune grande originalité, reprenant des éléments de The Terminator (1984), Alien (1979) ou Edge of Tomorrow (2014): les enfants de la population terrienne remontent dans le temps pour appeler à une conscription de leurs ancêtres afin de faire face à une invasion extra-terrestre particulièrement violente, qui menace la terre d’extinction. Avec des performances acceptables de Chris Pratt, J. K. Simmons et surtout Yvonne Strahovski, le film se laisse voir facilement, pour les amateurs du genre, sans aucune prétention.

Don’t Look Up d’Adam McKay. Après The Big Short (2015), dans lequel il traitait déjà à sa manière le crash financier de 2007-2008, et Vice (2018), dans lequel il démystifiait Dick Cheney et les néo-conservateurs dans un style ahurissant, électrique et subversif, Adam McKay s’attaque dans son dernier film à l’Amérique de Donald Trump. Le résultat est à la fois délicieux et effarant, puisque McKay met son doigt sur l’une des plaies de l’ère post-globalisée: le déni des faits empiriques, la fuite de la réalité et, partant, le refuge malsain dans un monde virtuel au nom d’une sécurité illusoire. C’est exactement l’ère du “tout et tout le monde se vaut” instauré par l’hégémonie réticulaire des réseaux sociaux, comme aurait dit le très regretté Farès Sassine, dans l’esprit du cynisme très à propos d’Umberto Ecco. Qui plus est, le film peut compter sur des acteurs extraordinaires, qui donnent toute son ampleur à la démesure de la triste farce: Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett (qui peut tout, mais vraiment tout jouer), Mark Rylance, ou encore le très emblématique Ron Perlman.

Pas pour tous les goûts

Censor de Prano Bailey-Bond. Au-dessus de la moyenne, ce film d’horreur s’inspire de plusieurs genres, dont le slasher, et joue sur la fascination pour les macabre, pour les snuff movies. Mais c’est beaucoup plus dans l’univers glauque des films de David Cronenberg, avec cette obsession de l’image et du corps, comme dans Videodrome (1983) ou eXistenZ (1999), qu’il faut en chercher l’origine, la source. Un film curieux et intéressant pour les amateurs du genre.

Verdens verste menneske (Riders of Justice) d’Anders Thomas Jensen. Ce film danois surprenant de vengeance, qui date de 2020, mélange les genres, et vaut surtout la peine grâce à la présence de l’excellent Mads Mikkelsen. Drôle, violent, cynique… un OVNI du cinéma. Comme, du reste, tout ce que fait Mikkelsen… lorsqu’il n’est pas dans un chef-d’œuvre.

The Novice de Lauren Hadaway. Thriller psychologique intéressant, sur une athlète obsessionnelle qui souhaite devenir championne d’aviron. Sombre, nerveux, parfois dérangeant, mais néanmoins bon, notamment grâce à la prestation de l’actrice principale, Isabelle Fuhrman.

La déception du mois

Tick…Tick… BOOM ! de Lin-Manuel Miranda. D’accord, Andrew Garfield est excellent. Mais il l’est presque toujours, parce que son aura, son sourire, sa persona crèvent invariablement l’écran. Mais c’est à peu près tout. Cet hommage au compositeur et metteur en scène de la comédie musicale RENT, Jonathan Larson, disciple de Stephen Sondheim, disparu prématurément en 1996 à l’âge de 35 ans d’une rupture d’anévrisme, du reste encensé par la critique, manque cruellement de nerf, de poésie, de perspective…

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