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Ah, l’ère des notifications, cette douce mélodie du vingt-et-unième siècle qui résonne avec l’harmonie d’un réveil à trois heures du matin. Ding! Voilà que votre smartphone, ce fidèle compagnon de toujours, vous interpelle avec l’urgence d’un général en plein champ de bataille. "Dernier appel", pensez-vous, le cœur battant, prête à faire face à l’invasion des nouvelles les plus catastrophiques: un astéroïde en approche ou une fuite d’eau chez vous détectée par un satellite-espion.

Mais alors que l’imagination s’emballe, le véritable péril, bien que moins cosmique, n’en est pas moins pressant. Au-delà des scénarios apocalyptiques, la réalité du sud du Liban, où la guerre sème ses ravages, avec son cortège de combats et de pertes humaines, menace d’embraser d’autres régions. Là, dans cette zone où la violence fait rage, le quotidien est une lutte pour la survie, un rappel constant de la fragilité de l’existence.

Pourtant, dans un autre Liban, étonnamment déconnecté de cette dure réalité et où une grande partie de la population survit grâce aux ONG, la vie suit son cours étrangement ordinaire. Ici, les notifications ne signalent pas l’arrivée de missiles, mais celle des soldes flash, des promotions sur les derniers gadgets technologiques, ces objets de désir dont l’absence rendrait notre existence aussi terne qu’une conférence sur l’art de regarder la peinture sécher. Cette attirance pour les soldes, dans un contexte où la moindre dépense doit être pesée et mesurée, interpelle et souligne une forme de résilience, voire de déni, face à une réalité économique accablante.

C’est une existence où l’urgence se mesure non pas en alertes de sécurité, mais en offres à durée limitée, menaçant de plonger notre vie sociale dans l’obscurité, non pas en raison d’une panne de générateur, mais du fait qu’on a manqué une vente de chaussures qui se termine demain.

Cette dichotomie surréaliste peint le portrait d’un Liban à deux vitesses, où la gravité de la guerre et la profondeur de la crise économique coexistent avec la frivolité des soldes. Alors que certains luttent pour leur survie, d’autres se battent pour les meilleures affaires, se ruant pour des bottes fourrées et des doudounes molletonnées, le prix à payer pour avoir joui d’une baignade en mer en plein décembre.

Dans cette jungle urbaine, où le smartphone règne en maître, chaque "Ding!" est un appel aux armes dans une guerre des prix où tous les coups sont permis. C’est un monde où l’urgence a perdu de sa superbe, fondue dans le quotidien des promotions et des offres limitées, nous rappelant de lever les yeux de nos écrans, ne serait-ce que pour rendre hommage à la résilience humaine qui, même dans l’adversité, trouve une raison de persévérer.

L’apocalypse, semble-t-il, devra attendre. Car, même face à la menace d’une guerre qui pourrait s’étendre et une crise économique qui étrangle, une partie de la population libanaise choisit de continuer son chemin, accrochée à ses petites routines et à ses plaisirs quotidiens. C’est une réalité complexe, où maintenir une certaine normalité devient presque un acte de résistance, un refus de laisser la guerre et la crise économique définir l’ensemble de l’existence libanaise.

En somme, dans ce Liban où les échos des conflits lointains et les cris d’une crise sans précédent se mêlent aux notifications de promotions, l’ironie de notre temps se révèle dans toute sa complexité. Peut-être qu’un jour, un vrai "dernier appel" saura nous rappeler l’importance de l’instant présent. Ou alors, ce sera simplement une autre promotion pour des pizzas. Après tout, qui pourrait y résister?