Memory Box est un film franco-canado-libanais réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, qui sort sur le grand écran libanais le 3 mars 2022.

L’intrigue:

La réception d’un carton contenant des souvenirs d’un passé douloureux va faire surface dans la vie calme et paisible que mènent Maia, incarnée par Rim Turki; sa fille adolescente, interprétée par Paloma Vauthier; et sa mère, jouée par Clémence Sabbagh. Maia et sa mère, toutes deux Libanaises, ont fui le Liban en guerre il y a plus de vingt pour s’installer au Canada. Ce carton, contenant une série de photos, journaux intimes et enregistrement cassettes que Maia avaient envoyés, entre 13 et 18 ans, à sa meilleure amie Liza, partie vivre en France, va dévoiler les secrets de son adolescence à sa fille Alexandra, qui ne va pas résister à la tentation de fouiner dans le passé de sa mère.

L’enregistrement sur des cassettes pour communiquer avec la famille ou les amis à l’étranger était courant à l’époque. Cela rappelle un autre film qui met en scène ce médium, témoin d’un passé révolu: My Father is Still a Communist (2013) d’Ahmad Ghossein. On se demande d’ailleurs si le fait d’enregistrer nos vies sur des cassettes pour les partager avec des proches à l’étranger n’est pas une invention libanaise.

Alexandra écoute donc la voix de sa mère jeune, regarde ses photos et s’imagine les aventures trépidantes de cette dernière qu’elle découvre sous un nouveau visage. Un flash-back qui ramène l’histoire au milieu de la guerre civile libanaise, au cœur de Beyrouth des années 80 avec une Maia jeune, incarnée par Manal Issa au regard ravageur.

On y découvre un apprentissage brutal de la vie à l’adolescence. Une quête de liberté et d’amour au milieu d’une guerre aussi dévastatrice qu’absurde. Soirées disco, pique-nique en forêt et balades en moto avec son premier amour dans un pays décimé par la guerre. Tout est savamment mis en scène par les deux réalisateurs qui sont avant tout artistes plasticiens.

Leur regard d’esthète dévoile un traitement des plus créatifs de l’image. Une documentation énorme a précédé la réalisation du film qui investit de vraies photographies prises durant la guerre civile libanaise, un véritable hommage à l’apport de la photographie argentique. Ce médium utilisé avec brio produit des effets surprenants, les photos sont brûlées, surexposées ou prennent vie dans une séquence stop motion où les deux amoureux courent se rejoindre clandestinement.

Le jeu des acteurs est sobre et juste. Un petit bémol cependant, l’accent libanais de Rim Turki est peu convaincant.

 

Rencontre avec les réalisateurs

Vous procédez de manière particulière avec vos acteurs, ils n’ont pas de scénario, ils arrivent au tournage sans avoir appris leurs répliques. Pourquoi cela?

Khalil Joreige (KJ): Ce que l’on cherche avant tout, c’est l’incarnation. Le scenario est une feuille de route, mais les acteurs, qui d’ailleurs ne sont pas des acteurs professionnels pour la plupart, y apportent leurs histoires aussi.

Joanna Hadjithomas (JH): C’est justement ça qui est intéressant; nous sommes dans la création lors du tournage, il y a une certaine liberté qui rends le jeu encore plus intéressant, mais cela vient après un immense travail.

C’est un film dominé par le féminin; il retrace la vie de trois générations de femmes où les hommes sont relégués au second plan et ne s’expriment quasiment jamais. Pourquoi?

JH: Ce film, c’est un hommage aux femmes, j’ai voulu leur donner la parole.

KJ: Dans un pays dominé par le patriarcat, on a voulu donner la voix aux femmes. Mais c’est surtout un film sur l’intensité – intensité de l’amour, de l’amitié, de la jeunesse, de la guerre, de la rupture et des retrouvailles.

Auriez-vous terminé le film autrement si l’explosion du port s’était produite durant le tournage?

JH: Nous avons achevé le tournage en mai 2019, mais nous avons continué à travailler sur le film jusqu’en décembre 2020. Pendant le montage, nous nous  posions continuellement la question suivante: Qu’allons-nous faire avec ce film? C’était terrible  de trouver des échos très forts et des phrases des années 80 appliquables aujourd’hui, telles que les coupures d’électricité, la dévaluation de la livre libanaise, les politiciens corrompus, toujours les mêmes, d’ailleurs… Parfois nous pleurions dans la salle de montage, nous étions tellement tristes. Nous avons beaucoup réfléchi sur la fin du film et nous nous sommes dits que c’était finalement la bonne fin, parce que, ce qui nous a tous aidés à nous ressaisir après le 4 août 2020, c’est la relation humaine, c’est l’amitié.

KJ: Impossible de savoir. Quand notre atelier a été endommagé lors de la double explosion du port, tous nos amis et même des inconnus sont venus nous aider à tout déblayer. Nous avons des amis d’enfance ici et ces liens d’amitiés sont irremplaçables.

Et si c’était justement cela qui faisait tenir les Libanais? Cette humanité trouvée au sein même de l’horreur. C’est ce que le couple Joreige a voulu démontrer à travers ce film, sans rentrer dans les détails de la politique politicienne, en mettant principalement l’accent sur l’histoire de jeunes gens qui veulent vivre, danser, chanter et faire l’amour.

Memory Box est illustré musicalement par les meilleurs tubes des années 80 de Blondie en passant par Visage et les Psychedelic Furs, mais aussi les Bunny Tylers (Charbel Haber et Fadi Tabbal), et Radwan Moumneh du groupe Jerusalem in my Heart.

Ce film est une ode à la vie, à l’amour et à la liberté. À voir assurément.

Memory Box de Jonna Hadjithomas et Khalil Joreige, avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier, Clémence Sabbagh, Hassan Akil et Joe Kodeih.
En salles à partir du 3 mars 2022