Le théâtre de boulevard est un théâtre de divertissement qui séduit les spectateurs mais subit le désamour des critiques, même quand ils reconnaissent la qualité de la mise en scène et le brio de l’interprétation. Rappel historique du parcours d’un genre théâtral populaire et dynamique.

Les spectateurs du "Canal 9" libanais se souviennent probablement de l’émission "Au théâtre ce soir" qui diffusait des pièces dites "de boulevard". Ce terme désigne des comédies de mœurs ou des comédies de situation mêlant quiproquos, jeux de mot, ironie dramatique et provocation de l’ordre établi. On peut parler d’un genre de théâtre qui s’oppose à la fois au répertoire des grandes pièces traditionnelles et aux cheminements du théâtre d’avant-garde. Quelles en sont les origines?

XIXème siècle: naissance et évolution

C’est encore un décret de Napoléon qui organise la naissance du "Boulevard". Un décret de 1806 consacre la Comédie-Française et l’Opéra à un art impérial officiel constitué de tragédies et d’épopées héroïques, tandis que les théâtres situés sur le Boulevard du Temple sont voués à des spectacles muets tels que le pantomime, le ballet ou les numéros des acrobates et des jongleurs. L’empereur se méfiait en effet du caractère subversif du théâtre populaire parlant!

Théâtre de Boulevard
Peinture du boulevard du Temple en 1862 avec, de gauche à droite, le Théâtre historique, le Cirque-Olympique, les Folies dramatiques, le Théâtre de la Gaîté, le Théâtre des Funambules, les Délassements Comiques (Adolphe Martial Potémont, Musée Carnavalet)

En réalité, ces spectacles divertissants détournent le public des tragédies néoclassiques et l’attirent rapidement vers les théâtres "du Boulevard".

Après la chute de l’Empire, sous la Restauration (1814-1830), naît un théâtre fondé sur le mot et les situations: il s’agit soit de mélodrames (drames populaires à grosses ficelles d’écriture et à visée moralisante destinés au peuple), soit de vaudevilles (comédies en un acte, bouffonnes et souvent satiriques, composées d’anecdotes reliées entre elles par des couplets faisant allusion à l’actualité, qui ressemblent aux spectacles des chansonniers actuels).

Le vaudeville se répand tout au long du XIXe siècle et le théâtre revêt alors un aspect commercial cherchant à attirer un public peu exigeant. "Les comédies en trois actes et à trois personnages (le mari, la femme, l’amant) sont mauvaises, mais servies par d’excellents comédiens".

Eugene Labiche se distingue pourtant par des pièces satiriques bien écrites, entremêlées de chansons et caractérisées par une efficacité dramatique incontestable. (Un chapeau de paille d’Italie (1851), le Voyage de Monsieur Perrichon (1860), la Cagnotte (1864).

La Belle Epoque (1870-1914)

À la Belle Époque, sur les boulevards, on joue aussi bien un théâtre "d’idées", qu’un théâtre "léger". On réintroduit le triangle du vaudeville en le dramatisant. Les comédies de boulevard provoquent le public en heurtant certaines conventions morales; elles sont émaillées de fréquents incidents, mais de nombreux critiques estiment que ces pièces, y compris les plus virulentes de Courteline ou de Georges Feydeau, ne prêtent finalement guère à conséquence. N’oublions pas au passage que le maître du théâtre de boulevard est Georges Feydeau (Le Dindon, Un fil à la patte, L’hôtel du libre-échange…)

Théâtre de Boulevard
Le Dindon : Laurent Gamelon et François Berléand sur la scène du théâtre Edouard-VII, à Paris, le 22 mai 2012

Début du XXème Siècle: Sacha Guitry et les autres

Après la fin de la Première Guerre mondiale, un nouveau public d’industriels et de commerçants prospères s’intéresse aux spectacles. Les théâtres se sont répandus selon l’expansion de la bourgeoisie parisienne, du boulevard Saint-Martin à la Madeleine, au Palais-Royal, vers les boulevards extérieurs (où des théâtres de seconde zone, à Montmartre, à Montparnasse, aux Batignolles, à Grenelle, aux Gobelins, au Faubourg Saint-Denis, reprennent les succès du centre de Paris). On ne parle plus de théâtre du Boulevard mais de(s) boulevard(s).

Sacha Guitry se distingue par des pièces qui régalent le public de bons mots, de calembours et d’anecdotes dans un décor cossu et qui lui assurent la réussite auprès du public, et ce, indépendamment du sujet.  Alfred Savoir (1883-1934), Maurice Donnay (1859-1945), et Paul Géraldy (1885-1983) sont d’autres auteurs de comédies de boulevard renommés du début de siècle.

Le théâtre de boulevard aujourd’hui

Vers la moitié du XXe siècle, une nouvelle génération d’auteurs donne une dimension plus littéraire aux pièces de boulevard, servies par des textes qui abordent la critique sociale et la comédie de mœurs, avec parfois une touche de romantisme.

Il s’agit par exemple de Marcel Pagnol (avec Marius, Fanny, César) ou de Jean Anouilh (Le bal des voleurs, Léocadia, Le rendez-vous de Senlis), Barillet et Grédy (Le don d’Adèle), ou encore de Marc Camoletti (Boeing Boeing).

Parmi les grands acteurs de comédies de boulevard, on peut citer Maria Pacôme, Marthe Mercadier, Martin Lamotte, Robert Lamoureux et, plus récemment, Pierre Arditi, Roland Giraud, Maaike Jansen ou Barbara Schultz.

De nos jours, les comédies de boulevard continuent d’attirer un public friand de situations cocasses, de quiproquos et de chassés-croisés; le ton apparemment hilarant de certains spectacles révèle en fait un malaise social: le "Dîner de cons" en est un exemple remarquable.

Théâtre de Boulevard
Le Théâtre des variétés situé au 7 Boulevard Montmartre

Un genre de révélation qui inspire

La comédie de boulevard peut ainsi servir de révélateur grinçant des phénomènes de société. Elle a d’ailleurs inspiré des dramaturges étrangers (Ray Cooney, le "Feydeau anglais", auteur de Panique au Plaza, Le vison voyageur, Impair et père) et influencé la création de certaines œuvres cinématographiques apparemment fluides où la provocation et la satire sociale sont sous-jacentes mais omniprésentes. (Ernst Lubitsch, Robert Curtis, Woody Allen…).

À l’affiche actuellement

Pour finir sur une note très actuelle, voici quelques pièces de boulevard à succès, actuellement à l’affiche des théâtres parisiens:

  • Les Sœurs Bienaimé avec Valérie Le mercier et Isabelle Gélinas – Théâtre Antoine

Retrouvailles tumultueuses entre deux sœurs, Valérie Lemercier et Isabelle Gélinas, sous l’œil effaré de leur ami de toujours. Une pièce qui parlera à toutes les fratries, à toutes les familles, à tous.

  • Par le bout du nez – Le Théâtre Libre

La nouvelle comédie des auteurs du Prénom réunit François Berléand et Antoine Duléry, qui incarnent un président et son psy. Face-à-face décalé et loufoque entre les codes du psy et la solitude du pouvoir.

  • Fallait pas le dire – Théâtre de la Renaissance

Le couple Pierre Arditi et Évelyne Bouix est de retour dans une pièce écrite sur mesure par Salomé Lelouch. Tous les sujets sont bons pour un débat ou une dispute. Une comédie efficace où les dialogues fusent, pour notre plus grand plaisir.

  • Qui est Monsieur Schmitt – Théâtre Edouard VII

Comment réagiriez-vous si l’on vous disait que vous n’êtes pas celui ou celle que vous prétendez être? Une simple sonnerie de téléphone suffit à faire basculer Stéphane de Groodt et Valérie Bonneton dans un univers parallèle… La nouvelle comédie de Sébastien Thiéry promet d’être surprenante et délirante.

  • Berlin Berlin – Théâtre Fontaine

Emma et Ludwig vivent à Berlin Est. Lorsqu’ils décident de s’enfuir à l’ouest, ils ne se doutent pas que leur aventure va prendre une tournure des plus burlesques. La nouvelle folie du duo Patrick Haudecoeur – Gérald Sibleyras, portée par une troupe hilarante. On rit de bon cœur!