À l’heure où les chars russes sont aux portes de Kyiv verrouillée par de vaillants et farouches résistants, la population ukrainienne vit un désastre humain de grande ampleur. Plus de trois millions d’Ukrainiens sont sur le chemin de l’exode. Le reste du peuple survit intramuros, dans les couloirs des métros dans des circonstances déplorables.

Oksana est déjà en Pologne. Elle se prépare à voyager avec son fils en direction de l’Espagne où une famille a accepté de les accueillir. Elle a rarement des nouvelles de son époux, parti combattre avec les soldats ukrainiens et défendre Kyiv de l’invasion russe. L’immeuble de ses parents dans la capitale a été partiellement détruit. Son père et sa mère tentent de survivre dans l’abri avec ce qui leur reste comme vivres. Ils sont en rupture d’approvisionnement.

Svitlana, la cousine d’Oksana, est restée à Kyiv avec ses parents. Certains Ukrainiens pensent qu’ils ont davantage de chances de survivre s’ils restent sur place au lieu de risquer de mourir sur les routes sous les tirs de l’armée russe. Pourtant l’électricité est absente et il n’y a pas d’espoir de ravitaillement. Ils ne sortent de l’abri que pour acheter de l’eau et de la nourriture quand certains magasins ouvrent leurs portes. Même le personnel ukrainien, qui travaille ordinairement dans les établissements et les échoppes, a rejoint les rangs de l’armée ukrainienne.

Anastasia a fui Odessa. Beaucoup de ses proches y sont restés pour protéger sa ville. Elle fuyait en voiture avec ses deux enfants quand un obus est tombé devant eux sur la route. Elle espère retourner un jour en Ukraine retrouver son époux et le reste de sa famille. Comme la majorité des Ukrainiens, la guerre les a complètement dispersés.

Les bénévoles au secours de la population

Heureusement qu’en ces temps dramatiques, les élans d’assistance et de secours des bénévoles sont inédits et sincères. Avec les organisations et les associations humanitaires, la solidarité s’organise dans les pays d’accueil, en Pologne, en Roumanie, en Moldavie, en Slovaquie, en Hongrie… On assure des vivres et des médicaments aux réfugiés, des aides pour les hébergements et les demandes d’asile dans divers pays européens, ainsi que l’ouverture de couloirs humanitaires en temps de trêve.

La guerre n’épargne pas les personnes âgées et les handicapés. Ils peinent à marcher, titubant, tremblant de peur et de froid, bien qu’emmitouflés dans leurs couvertures en laine. Ils ne parlent que l’ukrainien et le russe. Mais l’assistance humanitaire exemplaire ne manque pas de les aider. Ils n’auraient jamais pensé qu’ils quitteraient leur pays et leurs maisons. Et si certains d’entre eux attendent la mort, ils l’ont vécue sous les bombes pendant plusieurs jours sur les routes de l’exil. Des enfants de tous âges sont également là. Certains sont seuls, d’autres accompagnés par leurs mères, frères et sœurs. Les hommes sont mobilisés pour protéger leur patrie. Comme l’affirme l’historien anglais Antony Beevor (La Chute de Berlin): "À l’époque, écrivait le romancier et correspondant de guerre Konstantin Simonov, les jeunes devenaient adultes en un an, un mois ou même au cours d’une seule bataille."

Ceux qui sont restés dans les différentes régions d’Ukraine vivent dans des conditions atroces. Beaucoup d’Ukrainiens demeurent coincés, vivant sous les décombres de leurs demeures, privés d’électricité, d’eau et de nourriture. Certains sont morts de déshydratation. En raison de l’intensité des combats, L’aide humanitaire n’arrive pas toujours à les secourir. D’autres ont perdu des membres de leur famille, ils ont vu leurs maisons brûler sous leurs yeux. Une femme ukrainienne qui essaie de sauver ce qui reste de sa maison incendiée crie: "Nous construirons tout à nouveau." Même si c’est toute une vie…

Velléités russes, mais à quel prix? Terre brûlée, population en exode, Ukrainiens affamés, terrés dans les abris, destruction totale…

La diaspora ukrainienne se mobilise

Sur le terrain, l’Ukraine se bat pour sa survie ultime. La diaspora ukrainienne est revenue de tous les pays du monde pour combattre en Ukraine. Vingt mille volontaires en provenance de 52 pays sont arrivés pour combattre aux côtés des soldats ukrainiens. Ils ont été profondément secoués par la résistance patriotique ukrainienne. Une chaîne de solidarité exemplaire s’installe.

Il est vrai que les Russes et les Ukrainiens ont une histoire commune, mais des tragédies les ont opposés au temps de l’URSS. "Holodomor" (qui signifie en ukrainien la famine et le génocide) est présent dans la mémoire collective des Ukrainiens pour leur rappeler la grande famine orchestrée et provoquée par Joseph Staline en 1932-1933. Et ce, en raison du refus par l’Ukraine de la collectivisation forcée des campagnes. Il s’agissait d’imposer le contrôle politique et de briser le peuple par la faim.

Aujourd’hui aussi, la Russie envahit l’Ukraine pour imposer son contrôle total sur cette dernière. Détruire les maisons. Contraindre les Ukrainiens à l’exode. Briser le moral du peuple.

En parallèle, il y a eu un mouvement de boycott quasi unanime contre la Russie. Une première avec toutes ces sanctions. Comme une volonté de faire prendre conscience au peuple russe des conséquences de la guerre de leur président. L’opinion russe reste toutefois vague en raison des représailles qu’inflige l’administration russe aux protestataires qui manifestent contre la guerre. Par ailleurs, les Russes réitèrent ce que Poutine avait affirmé, que c’est une opération spéciale pour la libération de l’Ukraine et non une guerre. Et les Ukrainiens vont jeter des fleurs aux soldats russes. Les Ukrainiens se sont effectivement jetés sur les chars russes en Ukraine, mais c’était pour les empêcher d’avancer au cœur de l’Ukraine. Poutine a d’ailleurs averti que ceux qui propageraient une version différente de l’information officielle seraient passibles de quinze ans de prison ferme. On connaît la suite.

De son abri à Kyiv, Marina, une jeune Ukrainienne, s’est adressée aux Russes à travers sa page Facebook. Elle s’exprime en sourjik, un dialecte fait du mélange des deux langues ukrainienne et russe: "Mes amis russes, faites parvenir nos voix. Ce n’est pas à nous de nous libérer, mais plutôt à vous, de votre dirigeant. Vos frères, vos fils, vos amis sont venus nous tuer sur notre terre. Vos libérateurs sont en train de tirer sur les orphelinats, les hôpitaux, les maisons, les citoyens ukrainiens et poussent tout un peuple à l’exode. Notre peuple dort désormais dans les abris sans nourriture ni eau. Nos femmes donnent naissance à leurs enfants dans ces refuges. Êtes-vous bien au chaud dans vos maisons? Car votre pays a décimé notre population et incendié nos maisons. On n’a plus rien. Votre inertie sera considérée comme complice. Manifestez dans les rues, n’ayez pas peur, soyez consciencieux. Dormez-vous bien la nuit? Cela fait plus de quatorze jours que nous n’avons pas fermé l’œil. À cause de votre régime, nous avons froid et nous sommes affamés. Nous sommes séparés de nos frères, de nos pères, de nos maris et de nos enfants. Si les Ukrainiens voulaient faire partie de la Russie, lutteraient-ils autant? Nous n’allons jamais abandonner notre Ukraine. Nous retournerons à nos maisons, dans notre pays, même s’il est complètement détruit. Nous reconstruirons tout, brique par brique."

Un autre jeune Ukrainien, habitant de la capitale, lance aussi un appel de détresse à travers les réseaux sociaux: "Je n’ai pas eu l’expérience de la guerre. Je peux seulement compter sur la résistance du peuple et des soldats ukrainiens. Je rejoins les rangs de l’armée ukrainienne et j’ignore si je resterai en vie. L’Ukraine survivra avec ou sans nous."

On peut n’être ni dans le camp américain, ni dans le camp russe. Mais on ne peut pas ne pas compatir avec le peuple ukrainien agressé et ne pas admirer sa ténacité et sa constance. Surtout quand on a aussi connu des guerres successives, vécu dans les abris, privés d’électricité et d’eau, et en exil. Un élan de solidarité s’impose avec tous les peuples qui souffrent de l’oppression dans le monde; l’Irak, la Palestine, le Liban, l’Afghanistan, le Yémen, la Syrie, la Libye et tant d’autres… Une pensée émue particulière pour les militants, les battants, les résistants et tous ceux qui croient en un avenir meilleur et qui militent pour la paix et le dialogue. C’est si triste de voir des enfants mourir en Ukraine ou ailleurs. On est tous égaux devant la mort. La tendance à comparer les misères des uns et des autres et la déshumanisation face aux drames humains sont inconcevables et condamnables.

Ces lucioles au sein des ténèbres

Un petit rayon de lumière. Des moments d’émotion et de normalité. Une petite Ukrainienne, Amelia, chante la Reine des neiges dans un abri où un grand nombre d’Ukrainiens se cachent des bombes. La vidéo fait le tour du monde. Elle entonne la chanson Let it go en langue ukrainienne. En pleine guerre, l’enfance et l’innocence brillent dans l’obscurité. De même, dans une autre région de l’Ukraine et un autre abri, Vera, professeure de violon, compose la mélodie de la chanson ukrainienne What a Moonlight Night. Oublier la guerre pendant quelques instants. Échapper ne serait-ce que quelques instants à la réalité morbide? Un peu de chaleur, un restant de vie au sein de ce froid mortel. Ou encore, écouter l’hymne national en visionnant les images de la capitale ukrainienne, toujours résistante, mais vide. La neige a tout revêtu de blanc. Ou encore cet orchestre au grand complet qui joue l’hymne national ukrainien, en plein centre de Kyiv, alors que les troupes russes s’avancent vers la capitale. Tant de symbolisme poignant.

Dans cette guerre, personne n’est gagnant, ni du point de vue politique, ni économique ou autre. La Russie, l’Amérique, l’Europe et surtout l’Ukraine qui a tout perdu. Désormais, les noms de Kyiv, Kharkiv, Marioupol, Melitopol, Odessa, Irpin, Lviv, Soumy, Poltava, Mykolaiv sont devenus synonymes d’endurance et de persévérance. Et les Ukrainiens un modèle de résistance et de patriotisme. La solidarité envers l’Ukraine est remarquable. Le monde aujourd’hui n’est plus le même qu’avant.

Entre-temps, la guerre continue. Beaucoup de morts dans la population ukrainienne, mais également du côté des soldats ukrainiens et russes. L’exode du peuple ukrainien se poursuit. Les tirs d’obus d’artillerie continuent. Les frappes aériennes aussi. Détruire un peuple et tout un pays. L’Ukraine se bat pour sa survie.

Entre-temps aussi, les Ukrainiens qui ont quitté leur pays – et ceux qui y sont toujours – ont la même volonté, le même souhait. Revenir en Ukraine et rebâtir tout ce qui a été détruit. Surtout leurs vies. L’Ukraine est leur destination définitive. Ces milliers de réfugiés ont pris avec eux si peu de bagages. Ils laissent tout derrière eux. Ils ont cette certitude fixe et immuable qu’ils vont revenir coûte que coûte en Ukraine. Ils ne peuvent pas vivre ailleurs…

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