Le Sénégalais El Hadji Malick Ndiaye parle de fierté devant le xylophone prêté par son musée à l’exposition Picasso. Fierté laquelle, selon lui,  " que devrait ressentir tout Africain à voir l’oeuvre d’anonymes associée au nom d’un tel artiste ".

M. Ndiaye, savant sec et gracieux, est un des commissaires de " Picasso à Dakar 1972-2022 " qui vient d’ouvrir jusqu’au 30 juin dans la capitale sénégalaise.

L’exposition fait dialoguer une quinzaine d’oeuvres du maître, objets d’un prêt exceptionnel du musée Picasso à Paris, avec des créations africaines d’auteurs inconnus: des masques surtout, et ce xylophone, provenant du musée Théodore Monod d’art africain, dont El Hadji Malick Ndiaye est le conservateur à Dakar.

L’instrument balante (groupe humain d’Afrique de l’Ouest), avec ses lames de bois nouées de cuir que font résonner une douzaine de calebasses, renvoie un écho frappant à une large photo murale d’un Picasso âgé de 76 ans mais jouant comme un enfant d’un xylophone à La Californie, la villa de Cannes où il vivait.

En sortant du musée des Civilisations noires où a lieu la manifestation, le visiteur devrait emporter " un sentiment de fierté à l’endroit de ce que les artistes du continent ont donné, et de la diversité des styles qui ont engendré de nouvelles formes et ont nourri l’art moderne ", voudrait M. Ndiaye.

" Picasso à Dakar " se propose de restituer dans un format resserré la fascination et l’influence que l’art africain, et plus généralement extra-occidental, a exercées sur le peintre-sculpteur-graveur-céramiste espagnol qui a passé presque toute sa vie en France.

La fascination et l’influence de l’art africain

La découverte choc remonte à la période pré-cubiste, autour de 1907 et des Demoiselles d’Avignon, en pleine époque coloniale: " Une version de l’histoire veut que (l’artiste André) Derain découvre, effaré, les sculptures africaines et océaniennes au British Museum et (de retour à Paris) entraîne ses amis au musée d’Ethnographie du Trocadéro ", rappelle Cécile Debray, présidente du musée Picasso.

L’exposition met en regard une étude de 1907 pour les Demoiselles d’Avignon et un masque anthropomorphe siffleur, datant d’avant 1968 et prêté par le musée du Quai Branly, autre partenaire.

Cécile Debray voit dans cette étude le " rapport très décomplexé de Picasso à ses sources. Art roman, art ibérique, masques africains: c’est très picassien, cette manière qu’il a de faire miel de toutes les formes ".

Dans ses ateliers, Picasso s’est entouré toute sa vie de statuettes, masques, objets africains ou océaniens, dont certains dénués de valeur artistique. C’est la révélation de voies nouvelles qui l’intéressait, la forme et le rapport de celle-ci à son créateur. L’historiographie récente a aussi mis en lumière l’attraction exercée sur lui par la dimension spirituelle voire magique des objets.

Picasso semblait peu sensible à la provenance ou la datation des oeuvres. " Picasso à Dakar 1972 – 2022 " prend prétexte de l’exposition qui lui avait été consacrée il y a cinquante ans à Dakar, sous le président Léopold Sédar Senghor, dont il était proche.

Picasso, qui ne voyageait guère, n’a jamais foulé le sol de l’Afrique subsaharienne, dit Cécile Debray. Mais elle conteste que son intérêt pour l’Afrique aurait été exclusivement formel, et rappelle sa conscience politique et son engagement contre la colonisation.

Accueil soutenu au plus haut niveau 

L’accueil qui sera fait à l’exposition, soutenue au plus haut niveau au Sénégal et en France, est un des défis à relever par " Picasso à Dakar ". Picasso n’est pas au Sénégal le géant qu’il est en Occident. Les organisateurs se sont employés, à travers les écoles par exemple, à toucher une population dont plus de la moitié a moins de 20 ans.

Daouda Sarr, 24 ans, étudiant en licence gestion de projets, avait " entendu parler de Picasso, mais je pensais que c’était seulement un artiste français ou européen ".

" J’ai été surpris de voir que Picasso ait fait tout ça autour de la culture africaine sans avoir jamais mis le pied en Afrique ", disait-il vendredi, jour d’ouverture, au milieu d’étudiants très enthousiastes du selfie devant un Picasso grandeur nature, immortalisé, très peu vêtu, par Robert Doisneau dans une pose de statuaire.

Aux Demoiselles d’Avignon, Daouda Sarr a préféré le masque siffleur " parce que c’est un masque africain ".

Pour sa camarade Awa Dia, 27 ans, en licence de finances, ces liens entre Picasso et l’Afrique sont aussi une découverte. " Il y a nos artistes qui sont là, il y a nos ancêtres, c’est beaucoup de fierté ".

Avec AFP