Dans sa dernière perfomance, Ex-tracés, l’artiste franco-tunisien Ridha Dhib effectue une marche de 4200 km reliant son atelier parisien à la frontière turco-syrienne, jusqu’à la ville de Mardin, refuge pour beaucoup de Syriens.

Le projet est de parcourir à pied dans le sens inverse une des routes empruntées par les réfugiés dans leur périple vers l’Europe. Commencée le 15 mars 2022, date anniversaire de la révolution syrienne, la performance consiste à écrire en braille, tout au long d’un périple de cinq mois en 140 étapes, la convention de Genève sur le statut des réfugiés.

Né à Sousse en 1966, Ridha Dhib est diplômé de l’École des beaux-arts de Toulon et vit à Paris depuis 1991. L’essentiel de son travail consiste en des performances marchées et la production de différentes traces numériques: images, traces GPS, textes, cartes, storys maps.

L’itinéraire inverse d’un enfant d’immigrés

"Le 15 mars 2021, je suis tombé par hasard sur un reportage consacré à un camp de réfugiés syriens, qui a provoqué un télescopage avec ma précédente performance marchée Hor-I-zons, pensée comme l’incarnation d’un trait d’union reliant mon atelier parisien au Sahel tunisien, mon lieu de naissance", raconte-t-il lors d’un entretien avec Ici Beyrouth.

Au cours de cet itinéraire, Ridha Dhib a croisé un certain nombre de réfugiés échoués au bord du chemin. Constatant que l’accueil réservé aux marcheurs était de nature différente selon le sens de leur déplacement, il mesure son privilège de se trouver dans le bon sens. ​​​​​​"Mais, est-ce le bon sens de l’histoire?" Dans la performance marchée Ex-tracés, il tente de répondre à cette question.

"En tant qu’enfant d’immigrés franco-tunisien, j’ai compris que le sens du déplacement ne recouvre pas la même réalité, que ce soit au niveau de l’accueil, de la liberté de mouvement ou de l’expérience vécue", remarque-t-il. "J’ai aussi pris conscience de la différence entre déplacement libre et déplacement forcé: une marche libre est une expression tandis qu’une marche forcée est un déracinement."

Un monde précaire

À chaque étape d’Ex-tracés, l’artiste écrira avec le bout de son index, dans un mètre carré de terre du territoire traversé, un passage de la convention de Genève relative aux réfugiés. La météo et la qualité de la terre dicteront le lieu et le moment de cette écriture éphémère.

"Inscrire dans la terre et en braille une convention qui est supposée être gravée dans le marbre, c’est insister sur sa précarité et celle des réfugiés", souligne l’artiste. Cette écriture sera géolocalisée et documentée par des photos, qui seront par la suite agencées sur un seul et même plan.

Ridha Dhib proposera par ailleurs aux réfugiés rencontrés dans les territoires traversés de relayer leur voix. Sans appropriation ni condescendance, il se fera le porteur des réponses à la question suivante: "souhaitez-vous transmettre quelque chose qui vous tient à cœur à quelqu’un quelque part sur le chemin ?" Grâce à une application de collecte de fonds, chaque kilomètre parcouru sera converti en argent au profit d’une association caritative d’aide aux réfugiés.

La Dernière Traversée
Bouchaib Gadir, traduit de l’arabe par Nada Ghosn

Ils sont venus de loin
Laissant tout derrière eux
Les derniers mots
Les derniers adieux
Ils ont dit au revoir aux pierres, au sable
Aux vieux amis
Ils ont levé leurs mains et leurs doigts frêles
Pour faire signe avant de disparaître dans le désert
Ils ont tracé précautionneusement des cartes
Ni vers l’Est ni vers l’Ouest
Marcher en direction du Nord
Là où il y a de l’eau, des bergers, des nomades
En arrivant à Casablanca
Ils ont appris quelques mots
Avec lesquels mendier
Des Africains ont emporté leurs rêves
Et se sont assis là, à attendre le jour de la traversée
À Tanger
La mer était bleu foncé
La mer n’était pas la mer
Seulement un passage pour leurs rêves
La mer était un pont
De l’autre côté de la rive, au loin, se loge un paradis
Aucun prophète ne pourra les y conduire
Dieu ne leur a pas ordonné de partir
Ils ont tué la dernière chose qu’ils avaient, la peur
Pour faire la traversée en bateau pneumatique
Se retourner une dernière fois
Avant que les vagues ne fassent tomber les rêves
Les autres, quand ils arrivent
Une seringue dans les veines
Une balle dans la tête
La mort de froid dans un splendide jardin à Séville
Une voix sortie de moi a chuchoté aux garde-côtes espagnols
Laissez-les entrer, le cimetière peut tous nous accueillir
Ils n’ont pas de visages et n’en auront pas

Né au Maroc, Bouchaib Gadir est professeur d’arabe et directeur du département d’arabe à l’Université de Tulane en Louisiane. Installé à La Nouvelle-Orléans depuis 2008, il a publié chez L’Harmattan un recueil de poésie, Lettres de la Nouvelle-Orléans, et Petits Rêves aux éditions Non-Lieu, qui témoignent de son expérience d’immigré arabe à La Nouvelle-Orléans. Il publie par ailleurs régulièrement ses poèmes dans le journal arabophone basé à Londres Al-Araby al-Jadeed.