L’exposition État de Siège, qui se tient jusqu’au 25 juin à la galerie Tanit à Beyrouth, revisite pour la première fois le design libanais, des années 1960 à aujourd’hui, à travers le regard de 20 designers sur cette pièce-clé du mobilier.

Curatée par Joy Mardini, l’exposition État de Siège, qui se tient jusqu’au 25 juin à la galerie Tanit à Beyrouth, donne à voir les travaux de différentes générations, allant de Maurice Bonfils, Khalil Khouri et Joe Naaman pour les plus anciens, à Bernard Khoury, Bokja, Karen Chekerdjian, Nada Debs, Jean Louis et Mado Mellerio, Rana Haddad et Pascal Hachem, suivis de Marc Baroud, Mary-Lynn & Carlo, Sami el-Khazen, Sara Jaafar, Thomas Trad, 200Grs, et enfin Anastasia Nysten, Carla Baz, Carlo Massoud, david/nicolas, Exil Collective, Georges Mohasseb. Chacune des pièces dit quelque chose sur la personne qui l’a créée ainsi que sur l’époque et la société qui l’ont façonnée.

Les évolutions du design au Liban

"Pour un architecte ou designer, se confronter au design d’un siège est considéré comme un acte fondateur de la discipline. À travers cet exercice se lisent tout autant la réalité des savoir-faire artisanaux et des innovations techniques que les dynamiques culturelles, économiques, politiques et sociales", souligne la critique de design Anne-France Berthelon, lors de la table ronde sur la pratique du design au Liban, proposée le 28 avril en avant-première de l’exposition.

De gauche à droite : Anne-France Berthelon, Exil Collective, Bernard Khoury, Marco Constantini (Crédits : Galerie Tanit)
De gauche à droite : Anne-France Berthelon, Exil Collective, Bernard Khoury, Marco Constantini (Crédits : Galerie Tanit)

Depuis les années 1960, le design a connu des évolutions. Les méthodes de fabrication alors créées ne sont plus suivies par les designers aujourd’hui. "Avant, les modes de production étaient à l’essence du concept. De nos jours, on se bat contre l’industrie qui cherche à imposer des normes et des labels", précise l’architecte de renommée internationale Bernard Khoury.

Vue de l’exposition lors du vernissage, le 28 avril (Crédits : Galerie Tanit)

Depuis les années 1990, fin officielle de la guerre libanaise, la scène du design se caractérise par la production de séries limitées en collaboration avec des artisans. Cela induit une spécificité dans les matériaux utilisés et une personnalisation des objets. "Le concepteur et le fabriquant s’investissent tous les deux. On doit adapter nos créations aux modes de production, alors on ne réfléchit pas à long terme", constate la jeune designeuse franco-libanaise Carla Baz.

Du collectible à l’industriel

Pour Karen Chekerdjian, une des plus connues à l’international, la série limitée existe partout en ce moment. "Produire en petite quantité répond à un problème technique. La matière première est devenue tellement chère que personne ne veut stocker", explique-t-elle. Il n’est pas possible de produire à des prix réduits au Liban. On ne sera jamais compétitifs. Il faut chercher des solutions avec les artisans et on a le plus souvent à faire à des gens qui commencent par dire: ‘Non, ce n’est pas possible.’ Au final, on arrive à des choses qui seraient irréalisables avec l’industrie."

L’anti-chaise de Karen Chekerdjian (Crédits : Galerie Tanit)

Le siège englobe une typologie d’objets fonctionnels allant du plus modeste au plus collectible, du plus minimal au plus décoratif, en passant par la dimension manifeste de l’antidesign. Aussi, Karen Chekerdjian a créé l’antichaise: un cube sur lequel elle a imprimé des chaises connues. "Dès qu’on applique une image, on modifie l’objet. À partir de là, je déconstruis et recommence à construire", explique-t-elle. Ce n’est pas pareil de fabriquer 3 chaises ou 500. J’ai déjà vendu certains modèles à l’industrie. Le résultat n’est absolument pas le même; les objets ne sont pas aussi parfaits et précis."

Marco Constantini, cocurateur de l’exposition Beyrouth. Les temps du design au Centre d’Innovation et de Design au Grand-Hornu en Belgique, défend pour sa part une spécificité de la scène libanaise de tous temps. "Car le Liban ne ressemble à aucun pays. Il est urgent d’effectuer un inventaire permettant l’analyse, la hiérarchisation et la préservation des éléments datant des années 1920 à 2000. Connaître les méthodes accessibles permet de donner une base à la créativité, afin de détourner les règles et d’optimiser les matériaux. Il faut préparer la génération actuelle de designers à faire preuve de célérité et de rigueur dans la constitution de leurs archives, et ce, dans l’idée de pouvoir en confier la gestion à un futur centre de recherche dédié au design au Liban que j’appelle de mon cœur", soutient-il.

Joe Naaman, reproductions de sièges datant de 1366 avant J.C. Ce “tabouret de Néfertiti” est conçu de la façon la plus fonctionnelle qui soit au prix accessible de 90 L.L. (1966)

"Aujourd’hui, le mode de production ne constitue plus l’essence, mais le sens même de l’objet. Cela permet une grande créativité et des pièces uniques, néanmoins on se heurte à l’impossibilité de passer du collectible – la petite série allant de 8 à 150 pièces fabriquée avec des artisans – à l’industriel. Comment continuer à produire des meubles à un moment où le système économique est si singulier? Cette phase postexplosion invite à travailler ensemble, à penser à une troisième voie permettant la reconnaissance d’une classe moyenne. À partir des gestes et de la créativité disponibles, comment produire à une plus large échelle?"