Il y a quelque temps, un ami m’a dit: "Raconte-moi Beyrouth".

Je lui ai répondu par un long silence.

Sans le savoir, il venait de me demander de dire l’indicible, ignorant la difficulté que l’on pouvait éprouver à dire Beyrouth.

Et puis, au fond, quel Beyrouth dire?

La ville d’antan, que les Anciens se plaisent à conter sans se priver de l’enjoliver de manière nostalgique?

Ce Beyrouth, je ne l’ai guère connu.

J’ai connu Beyrouth en temps de guerre.

Quel Beyrouth dire? Laquelle de ses facettes dévoiler? Celle qui conserve sous ses jupons ses mystères, telle une concubine tour à tour séductrice et assassine?

Dire Beyrouth…

Beyrouth, c’est raconter une ville aux milles contrastes. Adulée et haïe.

Adulée parce qu’elle est d’une singularité inexplicable. Inégalable aussi.

Haïe parce qu’une fois que l’on a cédé à ses charmes, elle nous marque de son sceau à jamais, gravant son empreinte au plus profond de notre être.

Beyrouth, c’est le goût inégalé des cocktails de fruits savourés au Bliss House, naguère lieu de rencontre de toute une jeunesse.

C’est la musique des rues où viennent s’entremêler les klaxons ininterrompus aux clameurs d’un marchand ambulant qui entonne inlassablement Kaék-Kaék (galettes au thym ou au fromage)!

C’est l’odeur entêtante et enivrante d’un verre d’arak qui chantonne l’amitié et la vie autour d’une table de mezzé.

Profusion de couleurs et de saveurs…bonheur des papilles. Joie du partage.

Beyrouth, c’est ce moment de silence inattendu, exceptionnel à l’aube que s’en viennent traverser les mélopées depuis les muezzins.

Beyrouth, c’est vivre au jour le jour. Sans tabler sur un lendemain.

Apprendre à sourire de tout et même de la guerre.

Et espérer que demain, au lever du jour, Ammo (tonton) qui tient la dekkéné (épicerie) au coin de la rue sera encore là pour claironner encore Bonjourék, Bonjourak aux passantes et aux passants.

Après tout, Beyrouth, on y passe un jour. On y repasse toujours.