L’État joue sur le levier structurel de l’abolition des agences exclusives pour donner soi-disant un souffle aux Libanais dans une ambiance de tourmente des prix à la consommation.

Cependant, la mobilisation du discours politique sur la démarche d’abolition des monopoles dans certains segments de la consommation ressemble à une tempête dans un verre d’eau.

Tout d’abord, dans une économie dollarisée, en pleine crise, et un taux de change $/LL qui connaît des fluctuations vertigineuses, il est plus efficace pour la préservation du pouvoir d’achat du citoyen que l’État déploie des efforts dans le sens de la recherche d’une stabilité macroéconomique. Secundo, la réelle problématique pour un marché de près de cinq millions d’habitants est celle de sécuriser une concurrence légale. Celle-ci évite simplement des situations de pouvoir de marché excessif.

"La concurrence figure peu dans les programmes politiques sur le pouvoir d’achat parce qu’elle agit à long terme et de manière diffuse", souligne Emmanuel Combe, professeur d’économie à l’École supérieure des affaires (ESA) à Beyrouth, ajoutant que "souvent en économie, les leviers les plus puissants ne sont pas toujours ceux que l’on voit le plus". "Or, au Liban, les fondements d’une concurrence légale ne sont pas du tout assurés vu les frontières poreuses du pays et la précarité des points de passage douaniers", relève avec colère un agent exclusif de produits cosmétiques et d’habillement de marque.

Les produits de luxe

Dans les faits, au pays du Cèdre, les agences exclusives portent plutôt sur des produits à la consommation de luxe. Et du coup, ces agents se livrent à une concurrence entre-elles, fait remarquer un ancien ministre de l’Économie, qui estime que cette concurrence inter-produit détermine le prix d’équilibre du marché et fait bouger les rouages de l’économie. Encore faut-il mentionner, dans ce sillage, que le caractère d’exclusivité devient caduc automatiquement après quelques années, le temps que la marque mette en vente une nouvelle ligne du même produit. Ceci s’applique notamment dans les domaines des vêtements, des accessoires, des voitures et des téléphones. Sachant qu’il est important de souligner que les agences exclusives dans le secteur de l’agroalimentaire sont abolies au Liban, depuis une vingtaine d’années.

Exclusivité contractuelle

En termes de vente et de marketing, les producteurs ont tendance à préférer, dans les marchés de petites tailles tels celui du Liban qui compte près de cinq millions d’habitants, la conclusion d’accords d’exclusivité avec un seul agent. Les entreprises justifient leur position par leur volonté d’encourager les investissements, d’assurer le service client après-vente, de préserver la qualité de leurs produits et surtout de protéger leur marque.

Dans le cas où le distributeur détient un pourcentage de marché de plus de la moitié, le rôle de l’État est d’exiger de lui la transparence dans la fixation des prix. Par conséquent, le contrôle de ce monopole est soumis à la concurrence et non à l’existence d’une agence exclusive. La présence de ce dernier ne conduit pas au monopole, et son absence n’abolit pas les monopoles et ne conduit pas à une concurrence transparente.

L’opposition des tiers

Les détracteurs de l’existence des agences exclusives, qui ne peuvent que respecter la liberté contractuelle entre une société productrice et un distributeur, mettent la pression pour que le Parlement adopte au moins un amendement à la loi sur les agents exclusifs. À savoir celui de l’abstention de l’État de protéger les distributeurs exclusifs que dans le cas où il y aurait une clause explicite dans le contrat liant le producteur au distributeur.

Le monopole de l’État 

Selon les dernières statistiques du ministère de l’Économie, il y a trois cents agences exclusives inscrites légalement sur son registre de commerce. Ce chiffre représentait plus de trois mille, il y a quelques années. En un mot comme en mille, le timing des demandes d’abolition des agences exclusives est étonnant au moment où l’État détient des monopoles dans des secteurs charnières des services publics tels ceux du transport aérien, des télécoms et de l’énergie. Pour ne citer que quelques-uns. Des prix de services onéreux pour des prestations misérables.