Le Conseil des ministres, qui s’est tenu samedi au Sérail pour examiner le conflit entre la justice et les banques, a paru amputé en l’absence de représentants des hautes autorités judiciaires. L’Association des banques du Liban (ABL) s’oriente donc vers l’escalade.

Le chef du gouvernement Nagib Mikati a affiché durant le week-end écoulé sa détermination à rechercher une issue au bras de fer qui oppose le secteur bancaire à la procureure Ghada Aoun. Évoquant explicitement, dans une déclaration à la presse l’existence de " failles " au niveau du processus judiciaire en cours concernant les banques, dans une allusion à peine voilée au comportement de Ghada Aoun, le Premier ministre a prôné dans ce cadre une protection des institutions et non pas des personnes. Il avait fait une déclaration en ce sens à l’issue de la réunion extraordinaire samedi du Conseil des ministres, qu’il avait convoqué afin d’examiner les déboires du secteur bancaire avec la procureure du Mont Liban. M. Mikati part du principe qu’il est difficile de concevoir une économie qui fonctionne en l’absence d’un secteur bancaire.

Commentant la situation actuelle sur ce plan, une source bancaire haut placée ayant requis l’anonymat souligne que "la spectaculaire chasse aux sorcières commence à avoir des retombées néfastes, voire dévastatrices, sur le secteur bancaire libanais qui est menacé sérieusement d’isolement ".

La source en question souligne que " contrairement aux informations qui circulent dans la presse, les banques libanaises ont cinq banques correspondantes aux États unis et beaucoup plus en Europe, notamment à Londres, en France, en Suisse, au Danemark, etc ". " Nombre d’entre elles ont récemment fait savoir qu’elles ne souhaitent plus maintenir des relations avec leurs correspondants libanais conformément aux régulations internationales de conformité bancaire et de lutte contre le blanchiment d’argent, affirme la même source. Sachant que depuis la déclaration en défaut de paiement de l’État libanais en mars 2020, les banques correspondantes à l’étranger ont soit rompu totalement leurs relations avec les banques libanaises, soit posé des conditions sévères pour l’ouverture de lettres de crédit ". Ces conditions, qui au début de la crise avaient consisté à augmenter les garanties exigées, se sont transformées avec l’enlisement du pays en une obligation de remboursement de crédit sans délai de grâce.

Le pire est à venir

Le pire est à venir, croit savoir la source précitée, qui indique par ailleurs que les convocations devant la justice de PDG de banques se poursuivront dans les jours à venir jusqu’à atteindre un total de quatorze ténors du scteur bancaire, soit le nombre de propriétaires de banques contre lesquels la procureure Ghada Aoun a porté plainte. Ces convocations seront assorties de mesures conservatoires sur leur patrimoine et d’interdiction de voyager.

Dans le même temps, le marché de change a réagi et la valeur de la livre face au dollar a recommencé à perdre du terrain. Pour sa part, l’Association des banques a décidé de recourir à l’escalade suite à la réunion samedi du Conseil des ministres — supposée trouver un règlement au conflit entre les banques et Ghada Aoun — qui s’est achevée par des conclusions en de-ça des espérances. Le gouvernement n’a fait qu’ajourner l’explosion, a souligné une autre source bancaire. L’ABL a annulé sa conférence de presse qui était prévue dimanche et maintient la grève lundi et mardi prochains. Les portes des banques ouvriront certes mercredi et jeudi prochains pour servir la clientèle, toutefois, durant la dernière semaine du mois en cours, soit à partir du lundi 28 mars de nouvelles mesures seront prises dans le sens d’une escalade si les contours de la situation ne changent pas.

La restructuration des banques

Quelles sont les raisons qui retardent l’amorce d’un processus de restructuration du secteur bancaire recommandée avec insistance par le Fonds monétaire international? Une interrogation on ne peut plus légitime alors que petits et grands déposants suivent, perplexes, le " long métrage américain " qui met en scène la justice et les banques.

À ce questionnement s’ajoute celui de savoir ce qu’il est advenu de la demande formulée par la Banque du Liban en 2020 et 2021 concernant une recapitalisation en deux étapes des banques. À part quelques informations floues et non confirméessur une conformité de la presque totalité des établissements à cette mesure, aucun rapport officiel n’a été communiqué au public. Est-ce à dire que le problème économico-financier est devenu "une affaire politique" et rien d’autre?

Mikati rassurant

Le Premier ministre Nagib Mikati s’est voulu rassurant samedi depuis le Sérail. Il a promis une approbation prochaine du projet de contrôle des capitaux et confirmé une récupération des dépôts bancaires à 90%, selon un calendrier-programme à déterminer dans le cadre du plan de redressement global.