Au-delà de l’expédition punitive qu’une Ghada Aoun et autres magistrats mènent contre le secteur bancaire, divers agissements montrent une dérive générale de l’État vers l’arbitraire dans sa pratique quotidienne du pouvoir.

C’est d’abord Heritage Foundation, un organisme privé basé aux États-Unis, qui donne le ton en plaçant le Liban au 13e rang sur 15 pays arabes et au 150e rang mondial sur 180 pays pour ‘l’efficience judiciaire’ (judicial effectiveness). Une mesure qui cumule un ensemble de critères, tels que la protection de la propriété, les droits des citoyens, l’action du gouvernement, la corruption, la prédominance de la loi, l’intégrité et l’équité de l’appareil d’État, etc. Bref, une masse de valeurs qui ne sont plus que de lointains souvenirs. Même si cela touche tous les domaines, on se contentera ici de lister quelques cas qui ont un effet économique.

Les plus visibles médiatiquement concernent donc le secteur bancaire, déclaré ennemi public numéro 1. Là, tous les coups sont permis même au-delà du bon sens, selon une interprétation toute personnelle des lois. Le résultat est que ces mesures entravent certaines activités essentielles des banques.

En abordant le secteur du commerce, on voit un ministre sceller une épicerie qui est plus chère que celle d’en face, et ce, sans fondement juridique, ni même logique. Un commerçant peut très bien hausser ses prix s’il offre, par exemple, un meilleur service clients.

Puis l’autre ministre qui réprimande les propriétaires des générateurs privés, au lieu de trouver une solution au secteur électrique public, ou d’ouvrir le marché à la concurrence. Là, son incohérence devient typiquement kafkaïenne, en disant en substance: ‘’L’État a le monopole de la production électrique, même si nous ne produisons rien du tout ; votre activité est donc illégale, mais ce n’est pas pour cela qu’elle ne doit pas être réglementée ; on est dans un État de droit avec une autorité publique qui se respecte, donc dorénavant toute activité illégale doit être réglementée.’’ Une nouvelle école juridique est née.

Puis voilà la Sûreté générale qui se distingue en s’arrogeant le droit de décider qui peut recevoir son passeport, quand et pourquoi – toutes les raisons ne sont pas valables à leurs yeux.

Et voici la CNSS qui, prétextant un manque de fonds, décide qui elle veut couvrir, quand, pour quelle maladie et dans quel hôpital – certains étant plus privilégiés que d’autres. Un arbitraire qui s’étend aux différentes administrations qui sont sélectives dans l’exécution des formalités car ‘’on assure uniquement deux jours de présence par semaine.’’

Puis encore un ministre, Hezbollahi celui-là, qui veut donner des droits d’amarrage à des armateurs iraniens au Port de Beyrouth, alors que l’Iran est sous sanctions internationales.

Puis l’autre ministre qui décide qui doit prendre quel médicament et suivre quel traitement, comment et pourquoi, en approvisionnant le marché au compte-gouttes, et en préparant une carte de santé nominative.

Puis, voilà encore un responsable qui n’a pas de problème à priver les automobilistes de carburants quand il a envie de punir des fournisseurs qui ne sont pas à son goût.

Puis, enfin, tout un appareil sécuritaire peut décider de boucler des contrevenants pour une infraction minime, alors que des Nouh Zeaïter font de la contrebande de stupéfiants depuis des décennies, et sont d’ailleurs condamnés plusieurs fois par contumace à perpétuité, pendant qu’ils coulent des jours heureux sous le soleil de leur Hermel natal – et alors que nos exportations vers le Golfe s’en trouvent entravées.

Ainsi va le pouvoir au Liban. Il a jugé que ses prérogatives n’étaient pas suffisantes. Il y a ajouté une nouvelle, le droit d’être sélectif. Il fallait y penser.