Le cabinet doit donner son avis mardi sur une proposition d’amendements du Code de procédure pénale, qui visent à réduire les pouvoirs du procureur général près la Cour de cassation au profit du ministre de la Justice.   

Le cabinet doit donner son avis mardi sur une proposition d’amendements du Code de procédure pénale, inscrite à l’ordre du jour du Conseil des ministres selon le souhait du président de la République. Les amendements visent à restreindre les pouvoirs du procureur général près la Cour de cassation au profit du ministre de la Justice. L’avis du cabinet a de fortes chances d’être défavorable, selon des sources concordantes et de l’aveu même du camp aouniste. Ces amendements avaient fait l’objet d’une proposition de loi au Parlement en 2018, à l’initiative du député Ziad Assouad (Courant patriotique libre), qui avait aussitôt été renvoyée par le président de la Chambre au Conseil des ministres pour un avis préalable.

En vertu des amendements proposés, le ministre de la Justice aurait le pouvoir de demander directement au procureur de procéder à des poursuites pénales contre des individus que le premier désigne. Selon le texte actuel en vigueur, le pouvoir du ministre consiste d’une manière générale à demander au procureur de mener une enquête pénale, sans pouvoir direct sur les poursuites et arrestations.

Le contexte de 2001 

L’équilibre entre les pouvoirs du ministre de la Justice et ceux du parquet est constamment débattu en droit, pour être souvent décidé en fonction du contexte politique.

Lorsque le Code de procédure pénale avait été amendé en 2001 (en vertu de la loi 359), ce débat avait été tranché dans un sens dicté par les forces dominantes au Liban, à l’époque le régime syrien. Alors que se dessinait une opposition interne à sa présence, le pouvoir syrien avait tout intérêt à renforcer la fonction du procureur général, ce dernier, en la personne de Adnan Addoum, lui étant proche. Le procureur s’est donc vu conférer dans les textes l’ensemble des pouvoirs rattachés aux poursuites pénales.

Mais les amendements de 2001 relatifs aux pouvoirs du procureur, bien que voulus par les régime syrien à l’époque dans un objectif répressif, seraient une garantie effective de séparation des pouvoirs, explique pour Ici Beyrouth le professeur de droit et ancien ministre Ibrahim Najjar.

En droit donc, l’initiative d’inverser l’équilibre des pouvoirs en faveur du ministre de la Justice a cela de grave qu’elle "abolit la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, et viole donc la Constitution", affirme le professeur Najjar.

" Faire du ministre de la Justice le procureur général " 

Au plan politique, cette initiative est dénoncée dans les milieux opposés à Baabda comme un moyen de restreindre le rôle de l’actuel procureur général près la Cour de cassation, le juge Ghassan Oueidate. L’objectif de cette démarche serait de faire en sorte que "la République obeisse au doigt et à l’œil au président de la République et de ses acolytes", selon la lecture critique d’un juriste. Alors que Ziad Assouad défendait des amendements qui visent à "éviter que le procureur soit juge et partie à la fois", il précisait qu’aucun pouvoir supplémentaire n’est accordé au ministre de la Justice.

Or, pour le juriste cité, restreindre les pouvoirs du procureur comme cela est proposé revient carrément à "faire en sorte que le ministre de la Justice soit le procureur, comme cela avait été le cas par exemple en Union soviétique".

L’effet pratique en serait par exemple que le ministre de la Justice puisse intervenir auprès du parquet pour faciliter les arrestations de personnes que le chef de l’État aurait intérêt à poursuivre, y compris le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, selon la lecture juridique critique. En revanche, selon cette même lecture, les amendements n’auraient aucune incidence directe sur les compétences du juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth.