Gebran Bassil, en quête de regain de popularité, serait en train de jouer sur plusieurs plans pour garantir sa victoire et celle de son parti au prochain scrutin.

La prochaine échéance électorale semble inspirer nombre de partis politiques traditionnels qui s’empressent de proposer de nouvelles initiatives et projets de réforme ambitieux avant la tenue des législatives, le 15 mai 2022, afin de tenter de séduire des Libanais désabusés et montés en majorité contre la classe politique.

C’est entre autres le cas du Courant patriotique libre (CPL) dont le chef, Gebran Bassil, la personnalité la plus conspuée par les Libanais durant et après le soulèvement du 17 octobre 2019, a lancé samedi son programme pour un État civil au Liban. Gebran Bassil, en quête de regain de popularité, serait en train de jouer sur plusieurs plans pour garantir sa victoire et celle de son parti au prochain scrutin. Il s’est ainsi engagé à œuvrer pour mettre en application son projet d’un Liban civil, une fois son courant réélu à la Chambre. Celui-ci repose sur l’accord de Taëf et la Constitution dont il souhaite combler les lacunes ou poursuivre la mise en application, évoquant tour à tour la décentralisation administrative et financière et l’élaboration d’une nouvelle loi électorale sur la base de la proportionnalité dans des circonscriptions élargies. Il a en outre proposé une " réflexion sérieuse sur une réforme de l’élection présidentielle ", préconisant une élection au suffrage universel en deux tours " afin de préserver la spécificité de cette fonction, son symbolisme et sa représentativité de tous les Libanais ". Ce programme très ambitieux sera, a priori, le cheval de bataille du CPL pour accéder à la Chambre, selon des échos du camp politique adverse.

Son timing ne fait pas de doute. Sa finalité non plus. S’agit-il seulement d’une stratégie de marketing politique populiste, à moins de deux mois des législatives et à l’approche de la fin du mandat du président Michel Aoun – alors qu’on attribue au chef du CPL une volonté de lui succéder – ou est-ce une façon de rallier le Hezbollah à sa cause, en essayant de lancer le débat sur une réforme du système politique, chère au cœur de la formation pro-iranienne, poussant le zèle jusqu’à préconiser l’élection du chef de l’État au suffrage universel?

La proposition de M. Bassil a convaincu les uns et braqué les autres. Et pour cause: il n’est nulle part question dans cette réforme censée jeter les bases d’un Liban civil, des armes illégales, en l’occurrence celles du Hezbollah, qui par définition sont en contradiction avec le concept même d’un État. Comment peut-on même envisager des réformes aussi importantes à l’ombre d’armes illégales?

" Le passage à un État civil est un long processus qui commence par la mise en œuvre de réformes du système politique, dont l’unification des lois sur le statut civil. Il se poursuit par une déconfessionnalisation du discours et des pratiques politiques, pour enfin aboutir à un vrai système laïc, basé sur la notion de citoyenneté et de droit, indépendamment des appartenances confessionnelles ", a indiqué le député CPL de Baabda, Alain Aoun à Ici Beyrouth. Même son de cloche pour son collègue au sein du parti aouniste, Edgard Maalouf, député du Metn, qui a tenu à souligner que " cette initiative aurait dû être lancée en 2019, mais a été reportée à maintes reprises en raison des mouvements de contestation d’octobre, de la pandémie, de l’explosion survenue au port de Beyrouth, etc. "

Les deux cadres du CPL ont précisé que l’exécution de la proposition relative à l’élection du président de la République au suffrage universel nécessitera du temps et constituera une étape avancée de l’établissement d’un État laïc. Ce suffrage s’organisera en deux tours, selon leurs explications: le premier sera exclusivement réservé aux chrétiens qui sélectionneront les candidats et le deuxième tour consistera à faire participer tous les Libanais à l’élection de ces candidats.

La proposition de M. Bassil a également été bien reçue par les milieux proches du Hezbollah où elle est perçue comme étant " une initiative importante à condition qu’elle se traduise par une action concrète sur le terrain, par le biais de vraies démarches politiques, et qu’elle ne se limite pas à un projet à but purement électoral ", comme nous l’a rapporté une source proche du parti chiite, laissant ainsi entendre que ses motivations seraient d’ordre électoral.

Une initiative inutile "

Les sept points de réforme proposés (colmater les brèches dans la Constitution (i), poursuivre l’application du Pacte national et le développer (ii), le vote d’une loi unifiée pour le statut personnel (iii), une loi sur la décentralisation administrative et financière (iv), une loi électorale sur base de la proportionnelle avec circonscription élargie (v), la création d’un Sénat (vi), et celle d’un fonds pour la gestion des avoirs de l’État, avec la participation du secteur privé (vii) ) proposés par Gebran Bassil lors de son discours samedi ont aussi fait l’objet de lourdes critiques.

" De quelle réforme parle-t-il? Ils (le camp présidentiel) ont détruit le pays durant leur cinq ans et demi au pouvoir. Avant de mentionner l’État civil, qu’il (Gebran Bassil) commence par présenter des excuses pour la loi électorale dont il se dit fier et qui a détruit ce qui restait de notre unité nationale. Qu’il présente des excuses pour sa théorie du " président fort " et des " leaders forts ", s’est indigné Waël Bou Faour, député du Parti socialiste progressiste (PSP).

Une source proche des Forces libanaises (FL) a aussi condamné l’initiative du chef du CPL, la considérant comme une " fuite en avant et de la réalité ", puisque le Hezbollah reste "le véritable détenteur du pouvoir". " Il empêche l’application de la Constitution et des lois, et interdit le rayonnement de la justice et de la liberté ", selon la même source qui a déploré "les efforts inutiles" menés par Gebran Bassil car " le développement du système politique ou sa réforme ne peuvent pas se réaliser sans une vraie appartenance au Liban et en présence d’un parti armé qui agit en dehors du cadre de l’État ". Et de conclure: " Tous ces propos sont inutiles et n’ont aucune valeur tant que le monopole de la force armée n’est pas détenu par l’État libanais ".